SUR LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE.
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FRANçAIS,
Au moment où l'assemblée nationale coordonne le sacerdoce à vos lois nouvelles, afin que toutes les institutions de l'empire se prêtant un mutuel appui, votre liberté soit inébranlable, ou s'efforce d'égarer la conscience des peuples. On dénonce de toutes parts la constitution civile du clergé, décrétée par vos représentants, comme dénaturant l'organisation divine de l'église chrétienne, et ne pouvant subsister avec les principes consacrés par l'antiquité ecclesiastique.
Ainsi, nou n'aurions pu briser les chaînes de notre servitude sans secouer le joug de la foi?.... Non, la liberté est loin de nous prescrire un si impraticable sacrifice. Regardez, ô concitoyens! regardez cette église de France dont les fondemens s'enlacent et se perdent dans dans ceux de l'empire lui-même; voyez comme elle se régénère avec lui; et comme la liberté qui vient du ciel, aussi bien que notre foi, semble montrer en elle la compagne de son éternité et de sa divinité! Voyez comme ces deux filles de la raison souveraine s'unissent pour développer et remplir toute la perfection de votre sublime nature, et pour combler votre double besoin d'exister avec gloire et d'exister toujours!...
On nous reproche d'avoir refusé de décréter explicitement que la religion catholique, apostolique et romaine est la religion nationale.
D'avoir changé, sans l'intervention de l'autorité ecclésiastique, l'ancienne démarcation des diocèses, et troublé par cette mesure, ainsi qu'en plusieurs autres points de l'organisation civile du clergé, la puissance épiscopale.
Enfin, d'avoir aboli l'ancienne forme de nomination des pasteurs, et de la faire déterminer par l'élection des peuples.
A ces trois points se rapportent toutes les accusations d'irréligion et de persécution dont on voudrait flétrir l'intégrité, la sagesse et l'orthodoxie de vos représentans. Ils vont répondre, moins pour se justifier que pour prémunir les vrais amis de la religion contre les clameurs hypocrites des ennemis de la révolution. (Une grande partie de l'assemblée applaudit.)
Déclarer nationale la religion chrétienne, eût été flétirir le caractère le plus intime et le plus essentiel du christiannisme. En général, la religion n'est pas, elle ne peut être un rapport social; elle est un rapport de l'homme privé avec l'infini. Comprendriez-vous ce que l'on voudrait dire, si l'on vous parlait d'une conscience nationale? Eh bien! la religion n'est pas plus nationale que la conscience: car un homme n'est pas veritablement religieux, parce qu'il est de la religion d'une nation; et quand il n'y aurait qu'une religion dans l'univers, et que tous les hommes se seraient accordés pour la professer, il serait encore vrai que chacun d'eux n'aurait un sentiment sincère de la religion, qu'autant que chacun serait de la religion, qu'autant que chacun serait de la sienne; c'est à dire, qu'autant qu'il suivrait encore cette religion universelle quand le genre humain viendrait à l'abjurer. (Les applaudissements recommencent.)
Ainsi, de quelques manière que l'on envisage une religion, la dire nationale, c'est lui attribuer une dénomination insignifiante ou ridicule.
Serait-ce comme juge de verité, ou comme juge de son aptitude à former de bons citoyens, que le législateur rendrait une religion constitutionnelle? Mais d'abord y a-t-il des vérités nationales? En second lieu, peut-il jamais être utile au bonheur public que la conscience des hommes soit enchaînée par la loi de l'état? La loi ne nous unit les uns aux autres que dans les points où nous nous touchons. Or, les hommes ne se touchent que par la superficie de leur être; par la pensée et la conscience ils demeurent isolés, et l'association leur laisse, à cet égard, l'existence absolue de la nature. (Les applaudissemens continuent. )
Enfin, il ne peut y avoir de naitonal, dans un empire, que les institutions établies pour produire des effets politiques, et la religion n'étant que la correspondance de la pensée et de la spiritualité de l'homme avec la pensée divine, avec l'esprit universel, il s'ensuit qu'elle ne peut prendre sous ce rapport qucune forme civile ou légale. Le christianisme principalement s'exclut par son essence de tout systèem de législation locale. Dieu n'a pas crée ce flambeau pour prêter des formes et des couleurs à l'organisation sociale des Français; mais il l'a posé au milieu de l'univers pour être le point de ralliement et le centre d'unité du genre humain. Que ne nous blâme-t-on aussi de n'avor pas déclaré que le soleil est l'astre de la nation, et que nul autre ne sera reconnu devant la loi, pour régler les successions des nuits et des jours? (La salle retentit d'applaudissemens.)
Ministres de l'évangile! vous croyez que le christianisme est le profond et éternel système de Dieu; qu'il est la raison de l'existence d'un univers et d'un genre humain; qu'il embrasse toutes les générations et tous les temps; qu'il est le lien d'une société éparse dans tous les empires du monde, et qui se rassemblera des quatres vents de la terre pour s'élever dans les splendeurs de l'inébranlable empire de l'éternité (La droite rit et la gauche applaudit); et avec ces idées sivastes, si universelles, si supérieures à toutes les localités humaines, vous demandez que, par une loi constitutionnelle de notre régime naissant, ce christianisme, si fort de sa majesté et de son antiquité, soit déclaré la religion des Français! Ah! c'est vous qui outragez la religion de nos pères! vous voulez que, semblable à ces religions mensongères, nées de l'ignorance des hommes, accréditées par les dominateurs de la terre, et confondues dans les institutions politiques, comme un moyen d'oppression, elle soit déclarée la religion de la loi et des Césars!
Sans doute, là où une croyance absurde a enfanté un régime tyrannique; là où une constitution perverse dérive d'un culte insensé, il faut bien que la religion fasse partie essentielle de la constitution.
Mais le christianisme, faible et chancelant dans sa naissance, n'a point invoqué l'appui des lois, ni l'adoption des gouvernemens. Ses ministres eussent refusé pour lui une existence légale, parce qu'il fallait que Dieu seul parût dans ce qui n'était que son ouvrage; et il nos manquerait aujourd'hui la preuve la plus éclatante de sa vérité, si tous ceux qui professèrent, avant nous, cette religion sainte, l'eussent trouvée dans la législation des empires.
O étrange inconséquence! quels sont ces hommes qi nous demandaient avec chaleur et une amertume si peu chrétienne, un décret qui rendît le christianisme constitutionnel? Ce sont les mêmes qui blâmaient la constitution nouvelle, qui la présentaient comme la subversion de toutes les lois de la justice et de la sagess, qui la dénonçaient de toutes parts comme l'arme de la perversité, de la force et de la vengeance: ce sont les mêmes qui nous disaient que cette constitution devait perdre l'état et déshonorer la nation française. O hommes de mauvaise foi! pourquoi voulez-vous donc introduire une religion, que vous faites profession de chérir et d'adorer, dans une législation que vous faites gloire de décirer et de haïr? Pourquoi voulez-vous unir ce qu'il y a de plus auguste et de plus saint dans l'univers, à ce que vous regardez comme le plus scandaleux monument de la malice humaine? Quel rapport, vous dirait Saint Paul, peut-il s'établir entre la justice et l'iniquité? Et que pourait-il y avoir de commun entre Christ et Bélial? (On applaudit.)
Non, Français! ce n'est ni la bonne foi, ni la piété sincère qui suscitent au milieu de vos représentans toutes ces contestations religieuses; ce sont les passions des hommes, qui s'efforcent de se cacher sous des voiles imposans, pour couvrir plu impunément leurs ténébreux desseins.
Remontez au berceau de la religion; c'est là que vous pourrez vous former l'idée de sa vraie nature, et déterminer le mode d'existence sous lequel son divin fondateur a voulu qu'elle régnât dans l'univers. Jésus-Christ est le seul de tous les sages qui se sont appliqués à instruire les hommes et à les rendre bons et heureux; qui ne les ait envisagés sous aucun rapport politique, et qui n'ait , en aucune circonstance, mêlé à son enseignement des principes relatifs à la législation des empires. Quelle que soit l'influence de l'évangile sur la moralité humaine, jamais, si Jésus-Christ, ni ses disciples ne firent entendre que l'institution évangelique dût entrer dans les lois constitutionnelles des nations. Il n'ordonne nulle part à ceux qu'il a choisis pour publier sa doctrine, de la présneter aux législateurs du monde comme renfermant des vues nouvelles sur l'art de gouverner les peuples: Allez et instruisez les hommes, en disant : voici que le royaume de Dieu approche, et lorsque vous entrerez dans une ville ou un hameau, demandez qui sont ceux qui veulent vous écouter, et restez y autant qu'il le faudra pour leur apprendre ce que vous devez leur enseigner; mais si l'on refuse de vous écouter, sortez, et soyez en tout prudens comme les serpens, et simples comme les colombes. (On applaudit.)
L'évangile est donc par son institution une économie toute spirituelle, offerte aux mortels, en tant qu'ils ont une destination ultérieure aux fins de l'association civile, et considérée hors de toutes leurs relations politiques : il est proposé à l'homme, comme sa seconde raison, comme le supplément de sa conscience; et non à la société, comme un nouvle objet de mesures législatives. L'évangile a demandé, en paraissant au monde, que les hommes les reçussent et que les gouvenrnemens le souffrissent. C'est là le caractère extérieur qui le distingua, dès son origine, de toutes les religions qui avaient tyrannisé la terre; et c'est aussi ce qui doit le distinguer, jusqu'à la fin des temps, de tous les cultes qui ne subsistent que par leur incorporation dans les lois des empires.
C'est donc une vérité établie sur la nature des choses, sur les lumières du bon sens et sur l'essence même de l'institution évangélique, que vos représentans, ô Français! ne devaient, ni ne pouvoir décreter nationale la religion catholique, apostolique et romaine.
Mais puisque le christianisme est une économie toute spirituelle, hors de la puissance et de l'inspection des hommes, pourquoi nous sommes-nous attribué le droit de changer, sans l'intervention spirituelle, l'ancienne démarcation des diocèses?
Certes, on devrait nous demander aussi pourquoi nou sommes chrétiens? Pourquoi nous avons assigné sur le trésor national, aux ministres de l'évangile et aux dépenses du culte, la plus solide partie des revenus de l'état? (La partie droite murmure.)
D'après les élémens de la constitution chrétienne, son culte est l'objet de l'acceptation libre des hommes, et de la tolérance des gouvenremens. Il ne peut être réputé que souffert, tant qu'il n'est reçu et observé que par un petit nombre de citoyens de l'empire; mais dès qu'il est devenu le culte de la majorité de la nation, il perd sa dénomination de culte toléré : il est alors un culte reçu; il est de fait la religion du public, sans être, de droit, la religion nationale : car une religion n'est pas adoptée par la nation, en tant qu'elle est une puissance, mais en tant qu'elle est une collection d'hommes.
Dans cet état du culte, son exercice n'ayant aucune correspondance avec l'ordre civil, il en résulte plusieurs conséquences.
Premièrement, l'autoirté ecclésiastique peut partager, entre les pasteurs, la conduite spirituelle des fidèles, suivant telle divisions ou démarcations que lui prescrira sa sagesse; et le gouvernement, qui n'est lié par aucun point au régime religieux, n'a rien à voir, ni à réformer dans des circonscirptions qui n'ont pas de visibilité politique.
Secondement, dans cette situation du culte, qui fut si long-temps la seule que l'ancien sacerdoce ait demandée aux puissances de la terre, la subsistance des ministres, la construction et l'entretien des temples, et toutes les dépenses du cérémonial religieux, sont une charge étrangère au fisc, car ce qui n'appartient pas à l'institution politique, ne peut être du ressort de la dépense publique.
Troisièmement, mais du moment que l'institution chrétienne, adoptée par la majorité des citoyens de l'empire, a été allouée par la puissance nationale, du moment que cette même puissance, prenant sur elle toutes les charges de l'état temporel de la religion et pourvoyant à tous les besoins du culte et de ses ministres, a garanti, sur la foi de la nation et sur les fonds de son trésor, la perpétuité et l'immutabilité de l'acceptation qu'elle a faite du christianisme, dès lors, cette religio a reçu dans l'état une existence civile et légale, qui est le plus grand honneur qu'une nation puisse rendre à la sainteté et à la majesté de l'évangile ; et dès lors aussi, c'est à cette puissance nationale, qui a donné à l'institution religieuse une existence civile, qu'appartient la faculté d'en déterminer l'organisation civile, et de lui assigner sa constitution extérieure et légale. Elle peut et elle doit s'emparer de la religion, selon tout le caractère public qu'elle lui a imprimé, et par tous les points où elle l'a établie en correspondance avec l'institution sociale. Elle peut et elle doit s'attribuer l'ordonnance du culte dans tout ce qu'elle lui a fait acquérir d'éxterieur, dans toute l'ampleur physique qu'ele lui a fait contracter; dans tous les rapports où elle l'a mis avec la grande machine de l'état; enfin, dans tout ce qui n'est pas de sa constitution spirirtuelle, intime et primitive. C'est donc au gouvernement à régler les démarcations diocésaines, puisqu'elles sont le plus grand caractère public de la religion, et la manifestation de son existence légale. Le ministère sacerdotal est subordonné, dans la répartition des fonctions du culte, à la même autorité qui prescrit les limites de toutes les autres fonctions publiques, et qui détermine toutes les circonscriptions de l'empire.
Eh! que l'on nous dise ce que signigie l'intervention de l'autorité spirituelle dans une distirbution toute politique? Une nation qui, recevant dans son sein, et unissant à son régime la religion chrétienne, dispose tellement le systèem de toutes ses administrations, que partout où elle trouve des hommes à gouverner, là aussi elle prépose un premier pasteur à leur enseignement religieux : une telle nation s'attribue-t-elle un pouvoir sacerdotal? Entreprend-elle quelque chose sur les consciences, sur les dogmes de la foi, sur ses sacremens, sur ses rapports et ses dépendances hierarchiques?
Mais, nous dit-on, la juridiction spirituelle des évêques a changé avec l'ancienne division des diocèses; et il faut bien que le pontife de Rome intervienne, pour accorder aux évêques des pouvoirs accommodés à la nouvelle constitution.
Que ceux d'entre nos pasteurs qui ont le coeur droit et l'esprit capable d'observation, s'élevent au-dessus des idées et des traditions d'une théologie inventée pour défigurer la religion, et la subordonner aux vues ambitieuses de quelques hommes, et ils reconnaîtront que le fondateur du christianisme semble avoir constitué son sacerdoce d'après la prévoyance de sa destinée future, c'est-à-dire, qu'il l'a fait tel qu'il pût se prêter à toutes les formes civiles des états où l'institution chrétienne serait adoptée, et s'exercer dans toutes les directions et selon toutes les circonscriptions qui lui seriaent assignées par les lois des empires.
Est-ce en donnant à chacun d'eux une portion de puissance, limitée par des bornes territoriales, que Jésus-Christ instititué les apôtres? Non: c'est en conférant à chacun d'eux la plénitude de la puissance spirituelle, en sorte qu'un seul, possédant la juridiction de tous, est établi le pasteur du genre humain. Allez, leur dit-il; répandez vous dans l'univers; prêchez l'évangile à toute créature...JE VOUS ENVOIE COMME MON PERE M'A ENVOYE.
Si donc au moment de leur mission, les apôtres se fussent partagé l'enseignement de l'univers, et qu'ensuite les puissances fussent venues changer les circonscriptions qu'ils s'étaient volontairement assignées, aucun d'eux se serait-il inquiété que sa juridiction ne se trouvât point la même? Croit -on qu'ils eussent reproché à l'autorité publique de s'attribuer le droit de restreindre ou d'étendre l'autorité spirituelle! Pense-t-on, surtout, qu'ils eussent invoqué l'intervention de saint Pierre, pour se faire réintégrer dans les fonctions de l'apostolat, par une mission nouvelle?
Et pourquoi auraient-ils recouru à ce premier chef de l'église universelle? Sa primauté ne consistait pas dans la possession d'une grande puissance spirituelle, ni dans une juridiction plus éminente et plus étendue. Il n'avait pas reçu de mission particulière; il n'avait ppas été établi pasteur des hommes par une inauguration spéciale et séparéd de celle des autres apôtres. Saint Pierre était pasteur en vertu des mêmes paroles qui donnèrent à tous ses collègues l'univers à instruire, et le genre humain à sanctifier. ( La partie droite murmure.) Aussi voyons-nous saint Paul et les autres apôtres établir des évêques et des prêtres dans les différentes contrées où ils ont porté le flambeau de l'évangile, et les instituer pasteurs des troupeaux qu'ils ont conquis au christianisme dès son origine : et nous ne voyons nulle part qu'ils aient invoqué, pour remplir cet objet sacré, l'autorité de saint Pierre, ni que les nouveaux pasteurs aient attendu de la lui l'institution canonique.
Quoi! les pontifes de notre culte ne reconnaissent plus, dans leur mission, le même caractère dont les apôtres furent revêtus? S'il est vrai que le sacerdoce chrétien n'a été institué qu'une fois pour tous les siècles, la puissance apostolique ne subsiste-t-elle pas aujourd'hui dans ses évêques, comme successeurs des apôtres dans l'universalité de sa primitive institution? Chacun d'eux, au moment de sa consécration, n'est il pas devenu ce que fut chaque apôtre au moment pù il reçut la sienne aux pieds du pasteur éternel de l'église? Et n'est-il pas ENVOYE comme Jésus-Christ l'a été par son père? Enfin n'a -t'il pas été investi d'une aptitude applicable à tous les lieux, à tous les hommes, et toujours subsistante, sans nulle altération, au milieu de tous les changemens, de tous les croisemens, et de toutes les variations que peuvent éprouver les démarcations des églises?
Veillez votre conduite, dit saint Paul aux évêques qu'il avait établis en Asie; veillez votre conduite et celle du troupeau pour lequel le Saint-Esprit vous a consacrés évêques, en vous donnant le gouvernement de l'église de Dieu que Jésus-Christ a fondée par son sang.... Pesez ces paroles, et demandez-vous si saint Paul croyait à la localité de la juridiction épiscopale.
Les évêques sont donc essentiellement chargés du régime de l'église universelle, comme l'étaient les apôtres: leur mission est actuelle, immédiate et absolument indépendante de toute circonscription locale. L'onction de l'épiscopat suffit aussi à leur institution, et ils n'ont pas plus besoin de la sanction du pontife de Rome, que saint Paul n'ut besoin de celle de saint Pierre. (Les applaudissements redoublent.) Le pontife de Rome n'est, comme saint Pierre le fût lui-même, que le pasteur indiqué pour être le point de réunion de tous les pasteurs, l'interpellateur des juges de la foi, le dépositaire de la croyance de toutes les églises, le conservateur de la communion universelle, le surveillant de tout le régime intérieur et spirituel de la religion.
Or, tous ces rapports n'établissent aucune distinction ni aucune dépendance réellement hiérarchique entrle lui et les évêques des autres églises : et ceux-ci ne lui doivent, en montant sur leur siège, que l'attestation de leur union au centre de la foi universelle, et de leur volonté d'être pasteurs dans l'esprit et dans le sens de la croyance catholique, et de correspondre au saint siège, comme au principal trône de l'autorité que Jésus-Christ a donnée à son église.
On ne connut jamais, dans l'antiquité ecclésiastique, d'autres formes pour l'installation des pontifes. Je professe, écrivait autrefois un évêque au pape saint Damaze, que je suis uni de communion à votre sainteté, c'est-à-dire à la chaire de saint Pierre. Je sais que l'église a été bâtie sur cette pierre. Celui qui mange la pâque hors de cette maison, est un profane. Qui n'amasse pas avec vous, est un dissipateur. Voilà la détermination précise du rapport que Jésus-Christ a établi entre saint Pierre et les autres apôtres, et la seule règle de la correspondance à maintenir entre Rome et toutes les églises de la catholicité; et c'est aussi la seule dont l'assemblée nationale ait recommandé l'observation aux premiers pasteurs de l'église de France.
C'est en recourant à cette source antique incorruptible de la vraie science ecclésiastique, que les bons esprits se convaincront aussi que les évêques métropolitains reçoivent, par leur seule occupation du siège désigné pour métropole, tous les pouvoirs nécessaires pour exercer leurs fonctions. Les bornes purement territoriales, que des considérations d'ordre et de police ont forcé de prescrire à la puissance épiscopale, sont les seules limites qu'on lui ait jamais reconnues dans l'empire français.
Les métropoles ne sont elles-mêmes que des établissements de police. L'épiscopat du métropolitain n'est pas différent de celui de ses évêques suffragans. Sa supéririté sur eux, il ne la tient pas d'une mission particulière; mais seulement de la suprématie de la ville où son siége est établi. Cette espèce de hiérarchie sacerdotale était toute calquée sur la hiérarchie civile, et les empereurs désignaient à leur gré le siége de ces établissemens.
Loin d'avoir rétréci la puissance épiscopale, et d'avoir élevé le simple sacerdoce au niveau de l'épiscopat, dans les dispositions que nous avons statuées sur son régime, nous lui avons plutôt rendu cette immensité qu'il eut dans son origine, nous avons détruit toutes ses limites où un ancien et épais nuage de préjugés et d'erreurs e, avait concentré l'exercice: à moins que ce n'eût été rompre la gradation hiérarchique qui distingue les premiers pasteurs et les pasteurs inférieurs, que de donner à l'évêque de chaque église un conseil, et de régler qu'il ne pourrait faire aucun acte d'autorité, en ce qui concerne le gouvernement du diocèse, qu'après en avoir délibéré avec le presbytère diocésain. Comme si cette supériorité que le pontife possède de droit divin sur son clérgé, l'affranchissait du devoir imosé de droit naturel à tous les hommes chargés d'un soin si vaste et difficile, d'invoquer le secours et de consulter les lumières de l'éxperience, de la maturité et de la sagesse! comme si dans ce point, de même que dans tous les autres, l'assemblée nationale n'avait pas rétabli l'usage des premiers siècles de l'église! tout s'y faisait par conseil, dit Fleury, parce qu'on ne cherchait qu'à y faire régner la raison, la règle, la volonté de Diey.... En chaque église l'évêque ne faisait rien d'important sans le conseil des prêtres, des diacres et des principaux de son clérgé; souvent même il consultait tout le peuple, quand il avait intérêt à l'affaire, comme aux ordinations.
Mais la même puissance qui possède exclusivement la législation nationale, a-t-elle pu et dû faire disparaître l'ancienne forme de la nomination des pasteurs, et la soumettre à l'élection des peuples.
Oui, certes, elle a eut ce droit, si l'attribution d'une fonction apparaît essentiellement à ceux qui en sont et l'objet et la fin; et le sacerdoce français doit aussi, à cet égard, l'exemple du respect et de l'obéissance.
C'est pour les hommes qu'il existe une religion et un sacerdoce, et non pour la divinité qui n'en a pas besoin. Tout pontife, dit saint Paul, choisi du milieu des hommes, est établi pour le service des hommes, il doit être tel qu'il sache compâtir à l'ignorance, se plier à la faiblesse et éclarier l'erreur.
Et non-seulement l'apôtre proclame ici le droit du peuple aux élection ecclesiastiques, comme dérivant de la nature des choses, mais il l'appuie par des considérations particulières d'ordre et de circonstances. Le service sacerdotal est un ministère d'humanité, de condescendance, de zèle et de charité. C'est pourquoi saint Paul recommande de ne le confier qu'à des homme doués d'une âme vraiment paternelle et sensible, qu'à des hommes dès long-temps exercés aux bonnes actions, et connus publiquement par leurs inclinatins pacifiques et leurs habitudes bienfaisantes. C'est pourquoi aussi il indique pour juges de leur aptitudes aux fonctions de pontifes et de pasteurs du peuple, ceux qui ont été les spectateurs de leur conduite, et les objets de leurs soins.
Cependant, parce que l'assemblée nationale de France, chargée de proclamer les droits sacrés du peuple, l'a rappelé aux élections ecclésiastiques; parce qu'elle a rétabli la forme antique de ces élections, et tiré de sa désuétude un procédé qui fut source de gloire pou la religion aux beaux jours de sa nouveauté, voilà que des ministres de cette religion crient à l'usurpation, au scandale, à l'impiété, réprouvent, comme un attentat à la plus imprescriptible autorité du clergé, le droit d'élection restitué au peuple, et osent réclamer le concours prétendu nécessaire du pontife de Rome!
Lorsqu'autrefois un pape immoral et un despote violent fabriquèrent, à l'insu de l'église et de l'empire, ce contrat profane et scandaleux, ce concordat qui n'était que la coalition de deux usurpateurs pour se partager les droits et l'or des Français, on vit la nation, le clergé à sa tête, opposer à ce brigandage tout l'éclat d'une résistance unanime, redemnder les élections, et revendiquer avec une énergique persévérance la pragmatique, qui seule avait fait jusqu'alors le droit commun du royaume. (On applaudit.)
Et c'est ce concordat irréligieux, cette convention simoniaque qui, au temps où elle se fit, attira sur elle tous les anathèmes du sacerdoce français; c'est cette stipulation criminelle de l'ambition et de l'avarice, ce pacte ignominieux qui imprimait depuis des siècles, aux plus saintes fonctions, la tâche honteuse de la vénalité, qu'aujourd'hui nos prélats ont l'impudeur de réclamer au nom de la religion, à la face de l'univers, à côté du berceau de la liberté, dans le sanctuaire même des lois régénératrices de l'empire et de l'autel !
Mais, dit-on, le choix de pasteurs, confié à la disposition du peuple, ne sera plus que le produit de la cabale.
Parmi les plus implacables détracteurs du rétablissement des élections, combien en est-il à qui nous pourrions faire cette terrible réponse ? Est-ce à vous d'emprunter l'accent de la piété pour condamner une loi qui vous assigne des successeurs dignes de l'estime et de la vénération de ce peuple qui n'a céssé de conjurer le ciel d'accorder à ses enfans un pasteur qui les console et les édifie? est-ce à vous d'invoquer la religion contre la stabilité d'une constitution qui doit en être le plus inébranlable appui, vous qui ne pourriez soutenir un seul instant la vue de ce que vous êtes, si tout à coup l'austère vérité venait à manifester au grand jour les ténébreuses et lâches intrigues qui ont déterminé votre élévation à l'épiscopat (on applaudit); vous qui êtes les créatures de la plus perverse administration; vous qui êtes le fruit de cette iniquité effrayante qui appelait aux premiers emplois du sacerdoce ceux qui croupissaient dans l'oisiveté et l'ignorance, et qui fermait impitoyablement les portes du sanctuaire et la portion sage et laborieuse de l'ordre ecclésiastique? (Agitation du côté droit.)
Comment ces hommes qui font ostentation d'un si grand zèle pour assurer aux églises un choix de pasteurs dignes d'un nom si saint, comment ont-ils donc pu se taire si long-temps, lorsqu'ils voyaient le sort de la religion, et le partage des augustes fonctions de l'apostolat abandonnés à la gestion d'un ministre esclave des intrigues qui environnaient le trône? Les occasions de s'élever contre un sacrilège trafic se présentaient au clergé à des époques régulièrement rennaissantes; mais que faisait-il dans ces assemblées? Au lieu de chercher un remède à la déplorable déstinée de la religion, et d'éclarirer la sagesse d'un prince religieux et juste, sur l'impiété qui laissait le soin de pourvoir de pasteurs l'église de France, aux impitoyables oppresseurs du peuple, ils portaient puérilement aux pieds du monarque un vain et lâche tribut d'adulation, et des contributions dont il imposait la charge à la classe pauvre, assidue et résidente des ouvriers évangéliques. (Nouveaux applaudissements.) Eh! qui ne voit que demander une autre forme de nominations aux offices ecclésiastiques, eût été, dans nos prélats, condamner troup ouvertement leur création anti-canonique, et s'avouer à la face de la nation, pour des intrus qu'il fallait destituer et remplacer?
Que si n'osant réprouver d'une manière absolue le rétablissement de la force élective, pour les offices ecclésiastiques, les prélats répètent encore que le mode décrété par le corps constituant est contraire aux formes anciennes, qui toujours accordèrent au sacerdoce les honneurs de la prépondérance, nous leur demanderont s'ils ont touvé cette influence fondée sur une loi précise de la constitution évangélique, et si elle était un effet des règles sur lesquelles Jésus-Christ a organisé le régiem de la religion? Nous leur demanderons quelles furent les premières élections qui suivirent immédiatement la fondation du christianisme? Multitude des disciples choisis, sur l'invitation des apôtres, sept hommes pleins du Saint-Esprit et de sagesse, pour les aider dans les soins de l'apostolat; ces hommes reçurent des apôtres dans l'imposition des mains, et ils furent les premiers diacres.
Et de nos jours, quand et comment le clergé intervenait-il donc dans le travail de la distribution des places diocésaines et paroissiales? Il y avait des sièges pontificaux à remplir, et le roi les donnait; il y avait des titres, de riches abbayes à conférer, et la cour les conférait: une très grande partie des bénéfices-cures était à la disposition des patrons ou collateurs laïcs, et ces laïcs en disposaient: un non-catholique, un juif, par la simple acquisition de certaines seigneuries, devenaient les arbitres de la destinée de la religion, et de l'état moral d'un grand nombre de paroisses; ainsi les grands titres et les grandes places de l'église se distribuaient sans la participation et même à l'insu du clergé; et ce qui lui restait de droit sur les nominations obscures et subalternes, ne servait qu'à rendre plus publique et plus sensible sa nullité en administration bénéficiale.
Sans doute il fut un âge de l'église où le sacerdoce présidait les assemblées convoquées pour créer des pasteurs, où le peuple réglait, sur le suffrage du clergé, la détermination de son choix. Mais pourquoi non prélats, au lieu de s'arrêter à des temps intermédiaires, où les formes primitives sont déjà altérées, ne remontent-ils pas jusqu'à ces élections si contigües au berceau de l'église, où chaque ville et chaque hameau avait son ponftife, et où le peuple seul proclamait et intronisait son pasteur? Car il faut bien remarquer que l'association du clergé aux assemblées électives date de la diminution des siéges épiscopaux, c'est-à-dire, qu'elle a sa cause dans la difficulté de rassembler la multitude de ceux qui appartenaient à une seule église.
A ces mêmes époques où le sacerdoce était l'âme des assemblées convoquées pour l'élection des ministres du sanctuaire, les évêques pauvres et austères portaient tout le fardeau du ministère religieux: les prêtres inférieurs n'étaient que leurs assistans; c'étaient les évêques seuls qui offraient le sacrifice public, qui prêchaient les fidèles, qui catéchisaient les enfans, qui portaient les aumônes de l'église dans les réduits de l'infortune, qui visitaient les asiles publics de la vieillesse, de l'infirmité et de l'indigence, qui parcouraient de leurs pieds meurtirs et vénérables les vallées profondes, et les montagnes escarpées, pour répandre les lumières et les consolations de la foi dans le sein des innocens habitans des champs et des bourgades. Voilà des faits précisément parallèles à celui de l'influence des évêques sur le choix des pasteurs. Or, voudriat-on transformer ces faits en autant de points du droit ecclésiastique, et prononcer que la conduite des prélats qui n'évangélisent pas leur troupeau, et qui voyagent dans des chars somptueux, est contraire à la constitution essentielle de l'église? (On applaudit à plusieurs reprises.)
Le mode d'élection adopté par l'assemblée nationale est donc le plus parfait, puisqu'il est le plus conforme au procédé des temps apostoliques, et que rien n'est si évangélique et si pur que ce qui dérive de la haute antiquité ecclésiastique.
La coupable résistance, d'une multitude de prêtres aux lois de leurs pays, l'opiniâtreté de leurs efforts pour faire revivre le double despotisme du sacerdoce et du trône, on aliéné d'eux la confiance de leurs concitoyens, et ils n'ont pas de nos jours été appelés en grand nombre dans les corps chargés désormais de proclamer le choix du peuple.
Mais le temps arrivera où une autre génération de pasteurs, s'attachant aux lois, et à la liberté comme à la source de son existence et de sa vraie grandeur, regagnera cette haute considération qui donnait tant d'autorité au sacerdoce de la primitive église, et rendait sa présence si chère à ces assemblées majestueuses, où les mains d'un peuple innombrable potaient solennellement al tiare sacrée sur la tête la plus humble et la plus sage.
Alors les défiances inquiètes et les soupçons fâcheux disparaîtront; la confiance, le respect et l'amour du pauvre ouvriront aux prêtres les portes de ces assemblées, comme aux plus respectables conservateurs de l'esprit public et de l'incorruptible patriotisme. On s'honorera de déférer à leurs suffrages; car rien n'est en effet plus honorable pour une nation, que d'accorder une grande autorité à ceux que son choix n'a pu appeler aux grandes places de la religion sans leur reconnaître l'avantage des grands talens et le mérite des grandes vertus. Alors le sacerdoce et l'empire, la religion et la patrie, le sanctuaire des mystères sacrés, et le temple de la liberté et des lois, au lieu de se croiser et de se heurter, au gré des intérêts qui divisent les hommes, ne composeront plus qu'un seul système de bonheur public; et la France apprendra aux nation que l'évangile et la liberté sont les bases inséparbles de la vraie législation, et le fondement éternel de l'état le plus parfait du genre humain.
Voilà l'époque glorieuse et salutaire qu'a voulu préparer l'assemblée nationale, que hâteront, de concert avec les lois nouvelles, les lumières et les vertus du sacerdoce, mais que pourraient aussi reculer ses préjugés, ses passions, ses résistances.
Pasteurs et disciples de l'évangile, qui calomniez les principes législateurs de votre patrie, savez-vous ce que vous faites? Vous consolez l'impiété des insurmontables obstacles que la loi avait opposés au progrès de son désolant système; et c'est de vous-mêmes que l'ennemi du dogme évangélique attend aujourd'hui l'abolition de tout culte, et l'extinction de tout sentiment religieux. figurez-vous que les partisans de l'irréligion, calculant les gradation par où le faux zèle de la foi conduit à sa perte, prononcenet dans leur cercles ce discours:
Nos représentans avaient reporté sur ses bases antiques l'édifice du christianisme, et nos mesures pour le renverser étaient à jamais déconcertées. Mais ce qui devait donner à la religion une si grande et si impertubable existence, devient mainetenant le gage de notre triomphe, et le signal de la chute du sacerdoce et de ses temples. Voyez ces prélats et ces prêtres qui soufflent, dans toutes les contrées du royaume, l'esprit de soulevement et de fureur; voyez ces protestations perfides où l'on menace de l'enfer ceux qui reçoivent la liberté; voyez cette affectation de prêter aux régénérateurs de l'empire le caractère atroce des anciens pesécuteurs des chrétiens; voyez ce sacerdoce méditant sans cesse des moyens pour s'emparer de la force publique, pour la déployer contre ceux qui l'ont dépouillé de ses anciennes usurpations, pour remonter sur le trône de son orgueil, pour faire refluer dans ses palais un or qui en était le scandale et la honte. (Il s'élève à droite des murmures qu'étouffent les applaudissemens de la gauche.) Voyez avec quelle ardeur il égare les consciences, alarme la piété des simples, effraie la timidité des faibles, et comme il s'attache à faire croire au peuple que la révolution et la religion ne peuvent subsister ensemble!
Or, le peuple finira par le croire en effet; et balancé dans l'alternative d'être chrétien ou libre, il prendra le parti qui coûtera le moins à son besoin de respirer de ses anciens malheurs. Il abjurera son christianisme; il maudira ses pasteurs; il ne voudra plus connaître ni adorer que le Dieu créateur de la nature et de la liberté. Et alors tout ce qui lui retracera le souvenir du Dieu de l'évangile, lui sera odieux; il ne voudra plus sacrifier que sur l'autel de la patrie, il ne verra ses anciens temples que comme des monumens qui ne sauraient plus servir qu'à attester combien il fut long-temps le jouet de l'imposture, et la victime du mensonge (on murmure dans plusieurs parties de la salle) : il ne pourra donc plus souffrir que le prix de sa sueur et de son sang soit appliqué aux dépens d'un culte qu'il rejette, et qu'une portion immense de la ressource publique soit attribuée à un sacerdoce conspirateur. Et voilà comment cette religion, qui a résisté à toutes les controverses humaines, était déstinée à s'anéantir dans le tombeau que lui creuseraient ses propres ministres!
Ah! tremblons que cette supputation de l'incrédulité ne soit fondée sur les plus alarmantes vraisemblances! Ne croirait on pas que tous ceux qui se font une étude de décrier comme attentatoire aux droits de la religion le procédé que vos représentans ont suivi dans l'organisation du ministère ecclésiastique; ne croirait-on pas qu'ils ont le même but que l'impie, qu'ils prévoient le même dénouement, et qu'ils sont résolus à la perte du christianisme, pourvu qu'ils soient vengés, et qu'ils aient épuisé tous les moyens de recouvrer leur puissance et de vous replonger dans la servitude? c'est-à-dire, que la seule différence qui distingue ici la doctrine irréligieuse de l'aristaocratie ecclésiastique, c'est que la première ne souhaite la ruine de l'irréligion que pour rendre plus sûr le triomphe de la constitution et de la liberté, et que la seconde ne tend à la destruction de la foi, que dans l'espoir de lui voir entraîner dans sa chute la liberté et la constitution de l'empire. L'une n'aspire à voir la foi s'éteindre parmi nous, qu'en croyant qu'elle est un obstacle à la parfaite délivrance des hommes; l'autre expose la foi aux plus grands dangers, dans le dessein de vous ravir ce que vous avez reconquis de vos droits, et de jouir encore une fois de votre abaissement et de votre misère. Enfin l'un ne hait de la religion que ce qui paraît y consacrer des principes favorables aux tyrans, et l'autre la livre volontairement à tous les hasards d'un choc dont elle attend le retour de la tyrannie, et la renaissance de tous les désordres. Ainsi, l'esprit d'humanité qui se mêle aux entreprises de l'incrédulité contre l'évangile, en adoucit et en fait en quelque sorrte pardonner la témérité et l'injustice. Mais comment pourrait être excusé notre sacerdoce du mal qu'il fait à la religion, pour renfoncer les hommes dans le malheur, et recouvrer une puissance dont la privation soulève toutes ses passions et contrarie toutes ses habitudes?
O vous qui êtes de bonne foi avec le ciel et votre conscience! Pasteurs! qui n'avez balancé jusqu'à ce jour à sceller de votre serment la nouvelle constitution civile du clergé, que par l'appréhension sincère de vous rendre complice d'une usurpation, rappelez-vous ces temps anciens où la foi chrétienne, réduite à concentrer toute sa majesté et ses trésors dans le silence et les ténèbres des cavernes, tressaillait d'une joie si pure, lorsqu'on venait annoncer à ses pontifes austères et vénérables le repos du glaive de la persécution; lorsqu'on apprenait la fin d'un règne cruel et l'avènement d'un prince plus humain et plus sage;lorsqu'ils pouvaient sortir, avec moins de frayeur, des cavités profondes où ils avaient érigé leurs autels, pour aller consoler et affermir la piété de leurs humbles disciples, et laisser jaillir de dessous terre quelques étincelles du flambeau divin dont ils gardaient le précieux dépôt. Or, supposons que l'un de ces hommes vénérables, sortant tout à coup de ces catacombes antiques, où sa cendre est confondue avec celle de tant de martyrs, vienne aujourd'hui contempler au milieu de nous la gloire dont la religion s'y voit environnée, et qu'il découvre d'un coup d'oeil tous ces temples, ces tours qui portent si haut dans les airs les éclatans attributs du christianisme, cette croix de l'évangile qui s'élance du sommet de tous les départemenes de ce grand empire.... Quel spectacle pour les regards de celui qui, en descendant au tombeau, n'avait jamais vu la religion que dans les antres des forêts et des déserts! quel ravissement! quels transports! Je crois l'entendre s'écrier, comme autrefois cet étranger à la vue du camp du peuple de Dieu: O Israël! QUE VOS TENTES SONT BELLES! O JACOB! QUEL ORDRE, QUELLE MAJESTE DANS VOS PAVILLONS!....
Calmez donc; ah! calmez vos craintes, ministres du Dieu de paix et de vérité! rougissez de vos exagérations incendiaires, et ne voyez plus notre ouvrage à travers de vos passions. Nous ne vous demandons pas de jurer contre la loi de votre coeur (Plusieurs membres du côté droit se lèvent et s'écrient: C'est sonner le tocsin!) mais nous vous demandons, au nom de Dieu saint qui doit nous juger tous, de ne pas confondre des opinions humaines et des traditions scholastiques avec les règles inviolables et sacrées de l'évangile. S'il est au contraire à la morale d'agir contre sa conscience, il ne l'est pas moins de se faire une conscience d'après des principes faux et arbitraires. L'obligation de faire sa conscience est antérieure à l'obligation de suivre sa conscience. Les plus grands malheurs publics ont été causés par des hommes qui ont cru obéir à Dieu et sauver leur âme. (On applaudit.)
Et vous, adorateurs de la religion et de la patrie! Français, peuple fidèle et généreux, mais fier et reconnaissant, voulez-vous juger les grands changemens qui viennent de régénérer ce vaste empire? Contemplez le contraste de votre état passé et de votre situation à venir. Qu'était la France il y a peu de mois? Les sages y invoquaient la liberté, et la liberté était sourde à la voix des sages. Les chrétiens éclairés y demandaient où s'était réfugiée l'auguste religion de leurs pères; et la vraie religion de l'évangile ne s'y trouvait pas. (Murmures à droite, applaudissemens à gauche.) Nous étions une nation sans patrie, un peuple sans gouvernement, et une église sans caractère et sans régime.
Il n'y avait de régulier et de stable parmi nous que la déflagration de tous les vices, que le scandale de toutes les injustices, que le mépris public du ciel et des hommes; que l'extinction totale des derniers principes de la religion et de la morale. Quel pays, que celui où tout se trouve à la disposition absolue de quelques hommes sans frein, sans honneur et sans lumière, et devant qui Dieu et le genre humain sont comptés pour rien! Et quelle révolution que celle qui fait succéder tout à coup à ce désordre un spectacle où tout se place et s'ordonne selon l'ancien voeu de la nature, et où l'on ne voit plus dissoner que la fureur impuissante de quelques âmes incapables de s'élever à la hauteur d'un sentiment public, et faites pour rester dans la bassesse de leurs passions personnelles!
Français! vous êtes les conquérans de votre liberté, vous l'avez reproduite au sein de ce vaste empire par les grands mouvemens de votre courage; soyez-en maintenant les conservateurs par votre modération et votre sagesse. Répandez autour de vous l'esprit de patience et de raison; versez les consolations de la fraternité dans le sein de ceux de vos concitoyens à qui la révolution a imposé de douloureux sacrifices; et n'oubliez jamais que si la régénération des empires ne peut s'éxecuter que par l'explosion de la force du peuple, elle ne peut non plus se maintenir que dans le recueillement des vertus de la paix. songez que le repos et le silence d'une nation victorieuse de tant d'efforts et de complots dirigés contre son bonheur et sa liberté, sont encore plus redoutable des résistances à la tyrannie qui voudrait tenter de relever ses remparts; et que rien ne déconcerte plus efficacement les desseins des pervers, que la tranquilité des grands coeurs.