Félismond, roi d'Epire, après avoir obtenu d'Hermante des preuves non équivoques de l'amour qu'elle a conçu pour lui, la délaisse pour épouser Parthénie. Hermante, désespérée, a recours à la magie pour ramener son infidèle. Un anneau enchanté lui rend le coeur de Félismond, qui non-seulement abandonne sa nouvelle épouse pour reprendre les chaînes d'Hermante, mais qui veut encore faire mourir Parthénie. Il charge Evandre de cette sanglante commission ; mais ce fidèle serviteur se contente de dérober Parthénie à tous les regards en l'enfermant dans un château fort. Clarismond, seigneur de la cour d'Epire, épris de la beauté de Parthénie, se flatte de profiter du mépris que le roi témoigne à sa jeune épouse; instruit du lieu qui la recèle, il cherche à séduire la suivante de Parthénie par l'entremise d'une certaine Clariane, qui avait procuré à Hermante la bague magique. La fidèle domestique de Parthénie découvre à sa maîtresse les projets de Clarimond. Assistés d'Evandre elles se mettent en embuscade et reçoivent Clarimond à coups de pistolets. Clariane, troublée de cet événement inattendu, et arrêtée par Evandre, fait connaître le talisman moyen duquel Hermante s'est emparée du coeur de Félismond. Par les soins d'Evandre Hermante est bientôt dépouilée de sa bague merveilleuse, et Félismond déplore la perte tragique de Parthénie : mais Evandre lui rend sa fidèle épouse.
Cette pièce singulière présente, parmi les nombreux épisodes dont elle est remplie, des scènes bien faites et originales : quelques-une d'entre elles offrent des situations du théâtre à cette époque, con on ne reprochera jamais à Rotrou d'avoir outragé la pudeur plus qu'aucun de ses contemporains. Cette pièce obtint un grand succès, qui doit être attribué en partie à la barbarie des pièces du théâtre de ce temps.
ACTEURS.
Hermante, maîtresse de Félismond.
Félismond, roi d'épire.
Parthénie, reine d'épire.
Le Duc, oncle de Parthénie.
évandre, gentilhomme de Félismond.
Clarimond, amant de Parthénie.
Cléanor, père de Parthénie.
Thesandre, confident de Clarimond.
Clariane, nourrice d'Hermante.
Léonie, suivante de Parthénie.
Le grand-prêtre.
Vous qui ne respirez que d'horreurs et que carnages,
Puissances des enfers, Parques, discordes, rages,
Du Styx et du Léthé quittez les tristes bords
Pour exercer ici vos tragiques efforts;
Que je sois sule en butte à vos funestes oeuvres;
Mégères, j'ai du sang pour toutes vos couleuvres;
J'ai trop, j'ai trop régné sur un perfide coeur,
Il faut qu'un autre objet enfin en soit vainqueur,
Et qu'Hermante honteuse, infâme, délaissée,
Ne trouve plus de lieux même dans sa pensée.
O sensible douleur! je survis cet affront,
Mon sein n'en rougit pas aussi-bien que mon front!
Mon sang, souillé qu'il est, coule encor dans mes veines,
Et la peur de mourir prolongera mes peines!
Non, non, il faut mourir. Quels supplices, quels fers
A cette malheureuse ouvriront les enfers?
Quoi! du coup de ma mort mon bras se peut défendre!
J'osai la mériter, et je ne l'osai prendre!
En la punition la peur vient m'assaillir,
Et je fus si facile et si prompte à faillir!
Meurs, triste objet d'ennuis, mais rends ta mort célèbre;
Fais de toute l'Epire un théâtre funèbre;
Ne médite qu'horruer, que carnage, qu'éffroi;
Va tuer Parthénie entre les bras du roi;
Meurs! mais en périssant fait périr ta rivale,
Et qu'ainsi que l'amour la mort vous soit égale;
Frappe d'un même coup deux coeurs qui furent siens,
Et d'une même main romps deux mêmes liens;
N'attends pas que l'objet qui fait naître ta peine
Emporte dessus toi la qualité de reine;
Romps ce fatal hymen qui doit joindre leurs jours,
Perds ses prétentions, sa vie et ses amours.
Quel trouble, quels ennuis excitent cette rage,
Et de quelle rougeur est peint ce beau visage?
Tes conseils suborneurs, supplice de mes yeux,
Me rendent aujourd'hui l'opprobre de ces lieux;
Toi seule as allumé cette impudique flamme,
Si vaine et si fatale au repos de mon âme.
Il faut que de ces mains je déchire le sein
Où tu conçus pour moi ce damnable dessein;
Il faut que de mes dents j'arrache cette langue
Qui me fit une sale et funeste harangue.
Par toi, monstre d'enfer , peste de cette cour,
Je perdis mon honneur et je perdrai le jour.
Quel soudain changement! quelle ardeur insensée!
Quel trouble, quel transport agite sa pensée?
Traîtresse, j'ai le fruit de ces sales avis
Dont tu m'as tant préssée et que j'ai trop suivis :
Mon honneur étouffé, mon espérance morte,
Sont les heureux succès que ton conseil m'apporte :
Voilà cette grandeur, ce sceptre, ces honneurs,
Que m'ont fait espérer tes discours suborneurs!
Qu'à vos justes douleurs mon trépas satisfasse,
Et que le ciel me juge indigne de sa grâce,
Si je n'avois du roi ce solennel serment,
Qu'il devoit s'abaisser par votre avancement,
Que vous partageriez son rang et sa fortune,
Et qu'il trouvoit sans vous la lumière importune.
C'est ainsi que l'amour dépouille la vertu :
Il dépouille l'éclat dont il est revêtu,
Prend le titre d'enfant, se bande le visage,
Se laisse captiver, offre, promet, s'engage,
Et, quand par cette ruse il se voit triomphant,
Change au nom du tyran la qualité d'enfant;
En l'acquisition il met toute sa gloire,
Et, quand il a vaincu, méprise sa victoire :
Qui tâche à l'acquérir tâche de s'en priver :
Et des refus dépend l'heur de se conserver.
Mais son mépris en moi trouve une âme sensible.
Qu'on invente une mort épouvantable, horrible;
Qu'on apprête à mes yeux les flammes et les fers;
Que le roi, s'il se peut, fasse ouvrir les enfers,
Rien ne me peut ravir le dessein légitime
De mériter la mort au moins par un beau crime.
Qui peut perdre l'honneur et ne se cacher pas,
Peut d'un front assurté voir l'horreur du trépas.
Dieux! que proposez-vous? quel crime, quel carnage?
Qui pour vaincre se perd n'a qu'un triste avantage.
En cette extrémité consultez la raison,
Armez votre vertu contre sa trahison;
Ou, si votre fureur vous en doit la vengeance,
De ma mort seulement tirez cette allégeance,
Qui ne peut résister à vos moindre efforts.
O combat! ô vengeance indigne d'un courage
Qui veut voir une reine immolée à sa rage!
Tes yeux privés du jour, et ton sang répandu,
Et ce bras ne doit-il qu'être ton homicide
Pour rendre à mes désirs les voeux de ce perfide?
O légère vengeance! ô faux soulagement!
Suis, sans plus consulter, suis ton ressentiment;
Porte le coup mortel au sein de Parthénie :
Qu'elle n'obtienne pas ce qu'un ingrat me nie.
Quoi! ta rivale auroit les fruits de ton honneur!
Il seroit son époux, et fut ton suborneur!
Et l'on diroit partout, pour accroître ta peine :
Il a joui d'Hermante, et Parthénie est reine.
Ah! c'est trop consulter : enfers, hommes, ni dieux,
Ne peuvent divertir ce dessein furieux.
Madame, sans passer à ces efforts extrêmes,
Réclamons des enfers les puissances suprêmes :
Je connois un vieillard dont les secrets divers
Peuvent faire changer et périr l'univers :
Il arrête d'un mot la lumière naissante;
Il brise les rochers, il aplatit les monts,
Et dispose à son gré du pouvoir des démons :
Que j'aille de ce pas consulter sa science,
Et vous l'estimerez après l'expérience.
Reposez sur mes soins cet important souci,
Et que dans un moment je vous retrouve ici.
Ma chère Clariane, obligez une amante,
Et ne la flattez point d'une inutile attente.
J'ai reconnu vos soins, et j'ose présumer
Qu'un naturel instinct vous oblige à m'aimer.
Signalez aujourd'hui cette vertu si forte :
D'un favorable effet la cause ne m'importe;
J'emploîrois tous mes moyens pour toucher ses esprits;
Et les crimes sont beaux dont un trône est le prix.
Si vous ne rangez tout sous votre obéissance,
Ses efforts seront vains et l'enfer sans puissance;
Un autre dieu pourra ce que ne peut l'Amour.
Sa maison n'est pas loin ; attendez mon retour.
(Elle sort.)
Puisque le ciel est sourd et se rit de ma flamme,
Enfers, assistez-moi, c'est vous que je réclame;
Toi leur prince et leur dieu ; vous qui les habitez,
Mânes, ombres, démons, noire divinités,
C'est de votre pouvoir que j'attends l'assistance
Qui doit, malgré le ciel, couronner ma constance;
c'est à vous seulement que je puis... . Mais voici
Cet infidèle objet qui cause mon souci.
Que fait Hermante ici, pensive et solitaire?
Ainsi que votre amour sa belle humeur s'altère.
Quoi! tu crois qu'un second éteigne un premier feu?
Qu'il l'allume ou l'éteigne, il m'importe fort peu.
O dieux! quelle froideur à tes flammes succède!
Le mal est bien cruel qui n'a point de remède.
Puisque cette froideur t'est un soulagement,
T'aimant comme je fais j'aime ton changement.
Et moi dont le malheur et l'amour fut extrême,
Je hais la perfidie et le perfide même.
Quoi! tu joins l'arrogance à l'infidélité?
Pourquoi la souffrez-vous avec impunité?
N'épargnez point mes jours, ordonnez des supplices
A ce qui fut jadis votre âme et vos délices;
Privez du jour ces yeux qui furent vos soleils;
Qu'on dresse de ma mort les tristes appareils;
Que le même flambeau qui fait cette journée
Eclaire pour ma mort et pour votre hyménée;
J'obéis sans contrainte à mon ressentiment :
Le dessein de mourir fait parler librement.
L'amour que j'eus pour toi fut assez violente
Pour me faire souffrir cette humeur arrogante :
On doit ce privilège à des désespérés;
Tu venges ces attraits que j'ai tant révérés;
Méprise cet ingrat, ce traître, ce barbare.
Adieu; la patience est une vertu rare.
(Il sort en riant.)
Il joint la raillerie à sa légèreté,
Et cette peine est due à ma simplicité :
Mais si l'effet succède à l'espoir qui me flatte,
Il sera l'importun et je serai l'ingrate;
Du prix d'un diadème et d'un coeur tout de feu
Le traître achètera ce qu'il prise si peu.
Voici de qui j'attends cet effet que j'éspère.
Eh bien?
Tout vous succède et tout vous est prospère.
Réprimez ces fureurs, séchez ces tristes yeux :
Aujourd'hui même Hermante est reine de ces lieux;
Un charme vous élève à cet honneur extrême,
Et range sous vos lois l'Epire et son roi même :
Une bague enchantée aura cette vertu.
Relevez seulement ce courage abattu,
Songez à soutenir cette gloire infinie,
Et méditez des lois pour toute l'Albanie.
O doux et rare effet de ton affection!
Mon sang peut-il payer cette obligation?
Pour te récompenser est-ce assez que je meure?
Quand sera-t-elle prête?
Au plus tard dans une heure.
Combien d'impatience à mon espoir se joint!
Je t'attends au palais.
Je ne tarderai point.
(Elles sortent.)
Que ce ne siot orgueil, mépris, ni perfidie,
Je la perds toutefois, que veux-tu que je die?
Ne me plaindrai-je pas? dois-je bénir mon sort,
Et voir sans déplaisir l'appareil de ma mort?
Je lui reproche à tort le titre d'infidèle :
Un diadème au front fait l'inconstance belle;
Et ce point, cher Thersandre, augmente mon malheur,
De sentir et n'oser témoigner ma douleur.
Le temps modère tout; mais perdre Parthénie,
Le désir et l'espoir de toute l'Albanie,
Et que les dignités emportent sur l'amour
Cet objet le plus beau qui respire le jour,
C'est là que la constance excède le courage;
Ce sensible accident est un objet de rage.
Mais vos efforts sont vains contre sa majesté,
Et vous devez céder à la nécessité.
Si je pouvais au moins lui reprocher ma peine
Et la nommer ingrate, insensible, inhumaine,
J'aurois en mn malheur quelque soulagement;
Mais je souffre, et ne puis me plaindre justement :
Elle quitte l'Amour pour suivre la Fortune;
L'un lui seroit plus doux, mais l'autre est moins commune;
Où brille son éclat ce dieu n'est plus connu :
La Fortune est parée, et l'Amour va tout nu.
Ces extrêmes regrets, cette plainte assidue,
Témoignent un grand droit de l'avoir prétendue.
Reçut-elle jadis votre inclination,
Et fut-elle sensible à votre affection?
Autant à ce doux air que porte la lumière
Sont sensibles les fleurs de la saison première.
Jamais une telle union n'engagea deux esprits;
Nous étions l'un de l'autre et l'objet et le prix;
Elle baisoit ses fers, je vantois mon servage,
Et notre affection croissoit comme notre âge.
De tout obstacle enfin nos feux étient vainqueurs;
L'Amour alloit unir nos corps comme nos coeurs,
Lorsque cette beauté si rare et si charmante
Fit briller à la cour sa lumière naissante.
Là, cet aveugle enfant qui lui donna ma foi
Du trait qu'il ma tiré blessa le coeur du roi;
Là, ces foudres d'amour qui n'épargnent personne
Mirent la servitude avec une couronne :
Elle vint chez le roi, le vit et le vainquit;
Et mon espoir mourut quand son désir naquit.
On célèbre aujourd'hui ce fatal hyménée :
Telle est de mon amour la triste destinée.
Si vous fûtes unis d'un accord si parfait,
Le temps à vos désirs produira quelque effet.
Que voit-on que l'hymen ne permette de faire
Si l'inclination n'établit ce mystère?
Vous possédez son coeur quand il pare son front :
Elle épouse le roi, mais aime Clarimond.
Je ne conçus jamais ces erreurs insensées :
La même honnêteté gouverne ses pensées.
Avec ce jour fatal mon espoir doit finir,
Et la mort seulement nous pourra réunir.
Assiste toutefois à la cérémonie,
Observe exactement les yeux de Parthénie;
Vois si quelque regard, quelque soupir secret
Ne témoignera point encor quelque regret
Et quelque souvenir de sa première flamme.
Adieu; je sonderai jusqu'au fond de son âme.
(le temple s'ouvre; tout le monde est à l'autel.)
Toi dont toute l'Epire attendoit ce beau jour,
Saint démon de ces lieux où toute chose abonde,
Et que l'on peut nommer les délices du monde,
De ces globes d'azur dont tu régis le cours
Entends nos voeux communs et répands ton secours
Et toi dont le pouvoi préside à ce mystère,
Sacré fils de Vénus, puissant dieu de Cythère,
Choisis tes plus beaux traits, détache ton bandeau,
Et d'un fue pur et saint allume ton flambeau;
Signale ton pouvoir par cette illustre marque,
Que ta main sous tes lois asservit un monarque
Craint et chéris des siens, toujours victorieux,
Et de tous le plus grand et le plus glorieux.
Que sa chaste moitié par lui peuple l'Epire
De rois sous qui dans peu tout l'univers respire;
Serre d'un noeud si fort leurs pudique amours,
Que jamais accident n'en termine le cours.
Que les dieux et les destinées
Les préservent de tous les malheurs,
Et dessus, un siècle d'années,
A pleines mains versent des fleurs.
Sire, promettez-vous de rendre à cette belle,
Sous ce joug chaste et saint, une ardeur mutuelle;
Que toujours vos désirs répondront à ses voeux,
Que vos flammes croîtront à l'envi de ses feux,
Et que ce dieu par qui vos âmes sont bléssées,
Comme je joins vos mains unira vos pensées?
Que je meure au moment que cet objet vainqueur
Ne me sera pas cher à l'égal de mon coeur,
Et que hors de ses bras toutes autres délices
Ne seront pas pour moi des fers et des supplices.
Et vous en qui le ciel a si prodiguement
Mis tout ce qu'on peut voir de rare et de charmant,
Ne promettez-vous pas à la foi qu'il vous donne
De partager ses soins ainsi que sa couronne,
Et de le révérer sur tous ceux de ces lieux
Comme le seul objet agréable à vos yeux?
Oui.
Par le saint pouvoir d'Amour et d'Hyménée,
J'unis vos jours, vos corps et votre destinée :
Que ce noeud chaque jour devienne plus étroit,
Que contre vos plaisirs le feu perde son droit,
Qu'ils ne cessent jamais, qu'ils donnent à l'Epire
De neuf mois en neuf mois les fruits qu'elle désire;
Et que la terre un jour voye de toutes parts
Trembler ses habitans dessous ces jeunes Mars.
(Les trompettes sonnent. -Hermante entre d'un air grave ayant au doigt une bague enchantée. Elle n'est vue que de Félismond.)
Où s'est imprudemment ma liberté rangée?
Sous quelle étroite loi s'est mon âme engagée?
Hermante espéroit mieux, et sa fidélité
Fait un juste reproche à ma facilité.
Qu'elle éblouit les yeux d'une douce lumière!
Tel le soleil éclate en la saison première;
Et elle se fait voir la beauté de sa soeur
Alors qu'elle a dessein de plaire à son chasseur.
Sa vue à mes regards fixement attachée
Prouve assez clairement que son âme est touchée.
Inutile regret, pourquoi viens-tu si tard?
Sire, la compagnie attend votre départ.
(Bas à Hermante.)
Allons. Confus, saisi, la parole interdite,
J'implore ta pitié, j'ai trahi ton mérite.
Pardonne, belle Hermante, à mon ressentiment
Cette ingrate action de mon aveuglement :
Un juste repentir à mon oubli succède;
Mais il n'est point de mal qui n'ait quelque remède.
La mort sera le mien.
Espère mieux; adieu.
Qu'un importun respect me tire de ce lieu.
O dieux! quel changement.
Que dessus son visage
Cette altération m'est un triste présage!
N'ésperez toutefois qu'un salutaire effet,
Puisque cette alliance est un choix qu'il a fait.
(Ils sortent tous, excepté Hermante.)
Voici l'arme qui rompt une chaîne si forte.
Enfers, dessus les cieux votre pouvoir l'emporte.
Superbes habitans de ces champs azurés
Qui par notre ignorance étiez seuls révérés,
Cédez à d'uatres dieux cet orgueilleux empire;
Les enfers désormais vont gouverner l'Epire :
De leur seule vertu soyons reconnoissans,
Et qu'au lieu de monter descendent nos encens!
O dieux! que me dis-tu?
Jugez si l'assemblée
Par cet étonnement doit pas pas être troublée :
Tous étoient interdits, chacun étiot confus
Et surpris, moi sur tous si jamais je le fus.
La reine, parmi nous seule égale à soi-même,
Feignoit de ne pas voir ce changement extrême;
Tous en font jugement, mais assez inégal,
Et chacun toutefois en préjuge du mal.
Pour moi, qui fus ravi de voir cette inconstance,
Pour venir vous trouver j'ai quitté l'assistance;
Et je pense vous faire un assez doux rapport,
Sachant que cet hymen vous afflige si fort.
En quoi m'importe, hélas! leur amour ni leur haine,
Si pour la posséder toute espérance est vaine?
Je connois Parthénie, et sais que sa vertu
Ne se peut ébranler, quelqu'effort qu'elle ait eu :
Elle suivra les lois où son devoir l'engage;
Elle aimera ce prince, ou constant ou volage;
Son honneur est trop pure, et pour me résister
Elle n'a seulement qu'un enfant à dompter.
On méprise aujourd'hui cette fausse victoire
Qui pour tant de travail nous vaut si peu de gloire;
Et la possession du véritable honneur,
Ce n'est pas où la femme établit son bonheur;
Elle veut sembler chaste et n'aime pas l'être,
C'est assez de bien feindre et de la bien paroître;
Ce titre avec l'effet lui seriot importun :
Seule elle en a le nom, mais le vice est commun.
Tenter ce vain remède à ma mélancolie,
C'est inutilement mettre Osse sur Pélie;
Mais puisque je me sens bléssé de traits si forts
Que toute autre allégeance excède mes efforts,
Et puisqu'il faut mourir, qu'au moins ma mort soit belle;
Pour la ressentir moins qu'elle me vienne d'elle :
M'ayant ôté le coeur avec les traits d'Amour,
Qu'avec ceux de la Mort elle m'ôte le jour.
Livrons à son honneur une atteinte secrète;
Le danger du combat excuse la retraite.
Typhée en son orgueil rencontra son tombeau;
Et son crime fut grand, mais son renom est beau.
Le respect en amour est une vertu lâche :
Ce dieu donne à qui s'offre, et rit de qui se cache.
La crainte ne produit que de honteux mépris;
Et les témérités quelquefois ont des prix.
Ecoute : Clariane, une vieille en qui l'âge
Des mystères d'amour a mis un long usage,
Et qui m'aima toujours, me peut en ce besoin
Témoigner son adresse et fournir de son soin;
Car de telle entreprise un homme est incapable,
Et ce sexe à soi-même est bien plus redoutable;
Il se donne un accès et plus libre et plus prompt;
Et l'une l'autre enfin la femme se corrompt.
Mais surtout quand de l'or l'agréable lumière
Fera de ce dessein l'ouverture première,
Quel effet n'aura point sur les débiles yeux
De ce corps tout usé ce métal précieux!
Cherchons-la de ce pas.
Je connois cette femme :
Elle peut bien, sans doute, obliger votre flamme;
C'est un esprit expert, rusé, subtil, adroit,
Et puis lo'r enhardit l'âme la plus timide :
L'avarice est d'amour une mauvaise guide.
(Ils sortent.)
Toi qui sous le respect de tes divines lois
Ranges également les peuples et les rois,
O ciel, étends sur moi ton bras épouvantable.
Que tarde ton courroux? punis ce détestable.
Quel plus lâche infracteur te peut-il immoler?
Je n'embrasse tes lois que pour les violer :
Ce profane mortel de ton pouvoir se joue;
Il te demande un noeud qu'aussitôt il dénoue;
Il porte dans ton temple un coeur dévotieux,
Et l'emporte en sortant rebelle et vicieux.
Sire, quel changement, quelle douleur vous presse
En une si commune et si juste allégresse?
Tous vos peuples ravis sautent avecque voeux;
L'Epire n'est qu'un feu formé de mille feux;
En cet heureux hymen tout notre bien consiste,
Et de tous ces plaisirs la seule cause est triste!
Chacun vous applaudit, tous par vous sont contens,
Et la mélancolie est votre passe-temps!
Que les astres cruels qui font mon aventure
Ne m'ont au lieu d'un lit ouvert la sépulture?
Tyran des libertés, Hymen, que ton flambeau
Ne m'a-t-il éclairé de l'autel au tombeau?
O servage fatal! ô noce infortunée!
O cent fois malheureuse et maudite journée!
Sire, vous blasphémez contre un lien sacré
Que les plus vicieux ont toujours révéré.
Certaines déités, simples et moins austères,
Laissent imprudemment profaner leurs mystères :
Vénus s'acquiert du droit sur beaucoup de mortels,
Mais on peut sans danger démolir ses autels;
Le dieu de la clarté, Mars, Junon, ni Mercure,
N'exigent point de nous une candeur si pure.
Mais, sire, quand Hymen possède notre foi,
Il veut qu'exactement on révère sa loi;
Et les crimes qu'on fait contre ce qu'il ordonne
Sont suivis de malheurs qui n'épargnent personne.
La reine apour vos yeux eu des charmes si doux,
Et ces noces ont fait tant de princes jaloux!
Méprisez-vous sitôt un bien si delectable,
Et ne trouvez-vous plus votre choix équitable?
Je sais que Parthénie a des attraits charmans;
Je ne veux rien ôter à ses doux ornemens;
Je connois ses vertus, elle est sage, elle est belle,
Et le ciel sait aussi quels respects j'ai pour elle :
Mais pour mes yeux Hermante a des charmes secrets
Qui font mourir de joie et naître mes regrets :
Je connois leur naissance et leur vie inégale,
J'abhorre comme toi ma passion brutale;
Mais un trop fort instinct me bâtit ma prison,
Et mon âme charmée est sourde à la raison.
Hermante, beau sujet de l'ennui qui me touche,
Qu'une importune loi te dérobe à ma couche!
Quoi! ta fidélité ne me pouvoit toucher,
Et je me suis privé d'un bien qui m'est si cher!
Quoi! sire, une faveur qui vous fut si commune
N'a pas éteint encor cette flamme importune,
et laisse si long-temps votre inclination
A ce lascif objet de votre passion?
Ah! c'est trop, cher Evandre, outrager son mérite :
De cette vérité mon oreille s'irrite;
Estime son humeur, parle de ses appas,
Et ne m'entretiens point de ce qu'elle n'a pas.
J'aime ce qui me plaît, et mes lascives flammes
Ne cherchent la vertu ni l'honneur dans les dames;
J'aime au temple leur crainte et leur honnêteté,
Au lit leur belle humeur et leur facilité.
Hermante, cet objet pour qui mon coeur soupire,
Ayant ces qualités, a ce que je désire.
Où brille loin de moi cet astre de ces lieux?
Quels antres, quels enfers la cachent à mes yeux?
Repoussez constamment ces premières atteintes
Qui vous feroient l'objet de nos communes plaintes.
Sire, n'attirez pas sur votre majesté
La colère d'un dieu justement irrité :
Contre ce rude assaut armez votre courage,
Un long calme suivra ce prompt et court orage.
C'est trop, timide roi, combattre tes plaisirs;
Suis, triste Félismond, suis tes jeunes désirs :
Tes amis, tes sujets, les dieux, ni Parthénie,
Ne modereront pas ton ardeur infinie.
Foule aux pieds tout respect : suis ce fatal aimant,
Et péris s'il le faut en ton aveuglement.
Sire!
Toute raison m'est importune et vaine
Dans le dessien que j'ai de soulager ma peine.
Si mon repos t'est cher....
Hélas! plus que le jour.
Au lieu de m'accuser, oblige mon amour;
Cherche cette beauté dont toute âme est ravie,
Accourcis mon attente et prolonge ma vie.
Doux charme de mes sens, quel endroit écarté
Cache à mes tristes yeux ta divine clarté?
L'envie enragera des biens que je t'apprête,
Et de voir que mon coeur soit deux fois ta conquête.
Mais de tous ces assauts mes voeux triompheront,
Mes bras parmi les tiens encor se mêleront,
Nous serons indulgens à nos jeunes caprices,
Et la mort seulement finira nos délices.
O doux ravissement! ce jeune astre d'amour
A mes tristes regards a ramené le jour.
Charme de mes désirs, belle et naissante Aurore,
Crains-tu de m'éclairer, et fuis-tu qui t'adore?
En quels lieux, mon souci, peux-tu dresser tes pas
Où tu trouves un roi captif de tes appas?
Où vous transporte, ô dieux, votre ardeur véhémente?
Vous cherchez Parthénie, et je ne suis qu'Hermante,
C'est cette Hermante aussi que je cherche de voir;
L'autre a sur mes désirs un débile pouvoir.
Que vous profiteroit cette inutile peine,
Et que dois-je prétendre aux désirs de la reine?
Mes sujets seulement relèvent de sa loi;
Mais Hermante est ma reine et captive leur roi.
Je préfère l'éclat de cent moindres couronnes
Au titre spécieux que votre amour me donne.
Du bandeau que je vuex mon front n'est point encore couvert;
Avecque votre maour ma dignité se perd :
Je suis reine en l'ardeur dont votre âme est atteinte,
Et je deviens sujette alors qu'elle est éteinte :
Vous refusant j'acquiers, je perds en vous donnant,
Et vous me rabaissez presqu'en me couronnant.
Par le premier baiser dont je vous favorise,
Votre feu s'alentit et mon sceptre se brise.
Cruelle!
Une heure a bien relevé mon destin :
Tantôt j'étois Hermante, et je suis reine enfin.
Pour conserver ce rang souffrez que je vous nie
Ce qui demain rendriot ma dignité bannie.
Adieu; la reine attend ce que vous lui devez.
Ses yeux de vos regards sont trop long-temps privés.
(Elle sort.)
Quoi! ni mon repentir, ni mes yeux, ni ma peine....
Mais, dieux! comme elle fuit! suivons cette humaine.
(Il suit Hermante.)
O honteuse fureur! ô fatal accident!
O présage certain d'un malheur évident!
Que ce brutal Amour, ce tyran redoutable,
Est dans les coeurs des rois un monstre détestable;
Et combien de malheurs menacent cette cour,
Où ce grang changement n'est que l'effet d'un jour!
ORGUEILLEUSE beauté, puisque tant de prières
Ne peuvent t'obliger à finir mes misères,
Que je perds à te suivre et mes pas et mon temps,
Et qu'ainsi que mes maux tes pépris sont constans,
Que tardent contre moi les effets de ta haine?
Sois-moi plus rigouruese, ou sois-moi plus humaine,
Que la mort soit le prix de ma ferme amitié;
Sois pour moi sans respect ainsi que sans pitié.
Tels sont des amoureux les discours ordinaires;
Ils réclament toujours ces mmorts imaginaires :
Mais tel qui nous paroît la souhaiter le plus
Ne la demande point qu'assuré du refus.
Moi, que j'exécutasse un projet si barbare!
Que j'ôtasse à l'Epire un monarque si rare!
Que mille fois la mort prévienne ce dessein,
S'il doit être, cruel, dans ce coupable sein.
Prononce seulement cet arrêt favorable,
Mon bras l'accomplira contre ce misérable.
Quoi que votre grandeur vous fasse présumer,
(Le dirai-je en un mot?) je ne vous puis aimer,
Et je ne puis songer sans un regret extrême
D'avoir abandonné mon honneur et moi-même.
J'ai rompu tous les traits dont mon coeur fut touché :
Un tardif repentir vaut mieux qu'on long péché.
Ah! c'est trop, inhumaine, irriter ma constance;
Un pouvoir absolu vaincra ta résistance;
Tu dois à mon amour les plaisirs que je veux;
Et qui manque une fois s'oblige à faillir deux.
Ce repentir est vain où ton esprit se fonde;
La première faveur engage à la seconde;
Mais par un seul regard réprime ces transports;
Et ne m'oblige point aux extrêmes efforts.
Contre ce ferme dessein toute puissance est vaine,
Et de l'indifférence elle produit la haine.
Quelque effort violent qui nous puisse assaillir,
Pouvant souffrir la mort on peut ne point faillir.
Ah! triste Felismond, relâche ton courage
A tous les mouvemens et de haine et de rage,
Et que ton amour cède à ton autorité
Le droit de s'employer contre sa cruauté.
Ne laisse pas le jour aux ingrats qui t'en privent,
Et fais charger de fers les mains qui te captivent;
Que l'horreur d'un cachot épouvantable, affreux,
Te venge du mépris qu'elle fait de tes voeux;
Fais de ce même pas accomplir ton envie,
Et ne revois jamais ces tyrans de ta vie.L
Sire, avant que d'entre en ce funeste lieu,
Qu'un baiser nous sépare et signe notre adieu.
Quoi! vous tenez encor mon ardeur incertaine,
Et sonder votre amour c'est gagner votre haine?
Ouvrez, ouvrez ce sein, ce coup me sera doux :
Voyez-y de quel feu mon coeur brûle pour vous;
Et si vous n'êtes pas satisfait de ses peines;
Augmentez mes tourmens et redoublez mes chaînes.
Reine de mes désirs, doux charmes de mes sens,
Quel plaisir est égal au transport que je sens?
Quels pleurs et quels soupirs sont dignes de ma grâce,
Et pour la mériter que veux-tu que je fasse?
(Il l'embrasse)
O d'un triste combat heureux événement,
Où chacun de nous perd et gagne également!
Tels ne furent jamais les baisers de l'Aurore
Trouvant son favori sur le rivage maure;
Ni tels ceux de Vénus embrassant ce chasseur
Qui naquit d'un inceste et fut fils de sa soeur.
Hermante, par quel sort, résistant à tes charmes,
A de nouveaux vainqueurs ai-je rendu les armes?
Que ce fatal hymen soit maudit mille fois;
J'en abhorre le joug, j'en déteste les lois.
Toute religion et toute crainte est vaine;
Toi seule es mon épouse, et soi seule es ma reine.
Si j'ai tant de pouvoir sur votre majesté,
Que ne puis-je obtenir par son autorité?
Pouvez-vous pas briser quelque noeud qui vous serre?
Ce qu'au ciel sont les dieux les rois le sont sur terre;
E c'est fernir l'éclat de votre dignité
Que de souffrir qu'elle ait un pouvoir limité.
Il n'est rien que j'épargne et rien que je te nie :
Mais comment arracher le sceptre à Parthénie,
Et la priver des droits dont un aveugle amour
Me la fit honorer?
En la privant du jour,
Tout est vôtre, et l'objet de votre moindre envie
Peut s'acheter du prix de la plus belle vie.
Cet avis est cruel.
L'effet en sera doux.
Puis-je voir sans regret qu'une autre soit à vous,
Vous témoigner le jour d'une ardeur sans égale,
Et vous croire la nuit au sein d'une rivale?
Lorsqu'à ces lâchetés un esprit se résout,
Il aime froidement, ou n'aime point du tout.
Pour rendre à ton amour un parfait témoignage,
Et pour franchir la loi d'un ennuyeyx servage,
Je soumets tout respect à tes moindres avis,
Et veux qu'aveuglément tes desseins soient suivis.
J'immole Parthénie à l'ardeur qui m'enflamme;
Tu posséderas seule et mon corps et mon âme :
Mais pour éxecutr ce dessein promptement,
Qui pourrai-je charger de ce commandement?
Evandre m'est fidèle, et peut par sa prudence
S'acquitter dignement de cette confidence :
Cet adroit confident la conduira par eau,
Sur le soir un peu tard, en un proche château,
Et là, subtilement dans le sein de Neptune
Fera précipiter cette femme importune;
Il feindra de la plaindre, et, de retour au port,
Au malheur d'une chute imputera sa mort :
Après, tout est facile.
O dessein salutaire!
Sire, sans consulter, prenez donc cette affaire :
Je vous vais cependant préparer des plaisirs
Que vous confesserez égaux à vos désirs.
Que ma bouche en partant se paie d'une dette.
De mille s'il le faut. Est-elle satisfaite?
Je crois faire les dieux et les hommes jaloux;
Et tes derniers baisers sont toujours les plus doux.
(Ils sortent.)
On le plaint comme vous, et sans un charme étrange
Jamais si promptement un esprit ne change :
Ainsi que son esprit son corps est altéré;
Ses gestes sont confus, son oeil est égaré,
Il pleure et la poursuit avecque tant d'instance,
Que vous le plaindrez même alors qu'il vous offense;
Il accuse le ciel, et, tous respects bannis,
Déteste le lien dont vous êtes unis.
L'amour ne dure pas étant si violente :
J'obtiendrai quelque jour ce que possède Hermante.
Laissons un libre cours à ses jeunes désirs,
et fermons pour un temps les yeux à ses plaisirs :
Un jour les dieux, touchés de mon amour extrême,
Pour me le rendre enfin le rendront à soi-même;
Et je tiens pour effet de ton affection
Que tes soins contre moi servent sa passion.
Ah! commandz plutôt que de cette sorcière
Cette main à vos yeux soit la juste meurtrière;
Coupons racine aux maux dont ces sales amours
Troublent votre repos et menacent vos jours :
L'honneur et les respects dus à la loi divine,
Et le bien de l'état dépend de sa ruine :
Otons-lui ce qu'un jour elle vous peut ravir;
C'est obliger le roi que de le desservir.
Evandre, que ma mort prévienne la pensée
D'irriter cette ardeur dont son âme est bléssée.
Un si pressant instinct me porte à le chérir,
Que si je lui déplais, il m'est doux de mourir.
Ma flamme est sans égale, et jamais la nature
N'a produit une ardeur si forte ni si pure.
Que son coeur inconstant brûle de feux nouveaux,
Il ne me peut déplaire, et ses crimes sont beaux :
Je prêterois mes soins à l'ardeur qui le presse,
Je voudrois en son sein avoir mis sa maîtresse;
J'aime cette beauté parce qu'elle lui plaît,
Et préfère son bien à mon propre intérêt.
Quelle âme de rocher, quel esprit si barbare
Verrait sans s'amollir une amitié si rare?
Madame, espérez tout et du ciel et du temps :
Les charmes cesseront, vos voeux seront contents,
Et nous verrons le roi vous rendre avec usure
Les fruitsd'une amitié si constante et si pure;
Cet infâme lien dont il est arrêté,
Dans peu.... Mais taisons-nous, voici sa majesté.
(Félismond entre avec sa suite; il regarde froidement Parthénie.)
Evandre, écoute un mot.
(Félismond, Evandre sortent avec la suite.)
Sacrés juges des âmes,
Maîtres de l'univers; saints auteurs de mes flammes,
C'est de vous que j'attends la faveur que je veux;
De vous dépend mon bien et le fruit de mes voeux;
Souffrez sa passion, avouez ses délices,
Et que seule pour lui j'en porte les supplices :
Puisque mon amitié consent à son forfait,
elle doit réparer l'injure qu'il me fait.
Répandez sur mes jours l'effet de vos menaces,
Que je sois eule en butte à toute vos disgrâces,
Ses yeux sont éblouis, son coeur est enchanté,
Et son aveuglement fait sa déloyauté.
Laissez un libre cours à son jeune caprice;
Que selon ses désir son dessein réussisse,
Que tout lui soit permis : ansi tous les mortels
D'un respect éternel révèrent vos autels!
Vengeur des innocens, ciel ennemi des crimes,
Suis ton juste courroux; terre ouvre tes abîmes.
O lâhce perfidie! ô dure cruauté!
Quelle offense joint-il à l'infidélité?
O trahison extrême! ô dessein détestable!
Qu'Amour est en un coeur un tyran redoutable!
Bannissez tout respect, et souffrez qu'à ses yeux
Ma main aille étouffer cette horreur de ces lieux.
Que vous ordonne-t-il?
Hélas, le puis-je dire?
Je me suis disposée à tout ce qu'il désire.
Déplais-je à ses regards? faut-il perdre le jour?
C'est un léger effet d'une si forte amour.
Tout ce qu'il veut m'oblige, et je mourrai contente
Si par ma mort l'effet succède à son attente,
Et si de mon trépas dépend sa guérison.
M'ordonne-t-il le fer, la flamme ou le poison?
Il veut que sur le soir, en un vaisseau conduite,
Vers un proche château.... (Puis-je achever la suite?)
L'eau qui vous portera, ce perfide élément....
Eh bien! soit mon tombeau?
Soit votre monument.
O lâche trahison! ô perfidie extrême!
Que tarde, juste ciel, ta puissance suprême?
Ton foudre peut rester inutile en ta main,
Et tu ne punis pas ce barbare dessein!
Ne délibérons point, ma mort est équitable;
Et si je lui déplais, je suis assez coupable;
Je quitterai le jour sans peine et sans ennui,
Et la mort me plaira, puisqu'elle vient de lui.
Evandre, ôte un obstacle à sa bonne fortune;
J'ai déjà trop vécu puisque je l'importune :
Ce que hait un monarque est digne de périr;
Et déplaire à son roi, c'est plus de mourir.
Que le ciel pour mn chef tous ses foudres prépare
Avant que j'éxecute un dessein si barbare!
Coupable de ce crime, où verrois-je le jour?
Plût au ciel que ma mort satisfît son amour,
Que bientôt cette main épuiseroit mes veines,
Et qu'il me seroit cher de divertir ses peines!
En quels lieux écartés de ce fatal séjour
Passerez-vous du temps en l'espoir du retour?
Un lieu qui m'appartient dont l'issue est secrète,
Fort, assez détourné, vous offre une retraite :
C'est là qu'il faut attendre un heureux changement
De la force du temps et de son jugement.
Votre mort cependant qu'on croira dans l'Epire.....
Qu'elle soit vraie, hélas! c'est ce que je désire :
Ni frayeur, ni danger, ne changera ce front;
Je puis avec courage obliger Félismond.
Allons au fond de l'eau prendre ce qu'il m'ordonne;
Ce tombeau me plaira, c'est lui qui me le donne.
Partons; dois-tu, cruel, différer un moment
Cette éxécution de son commandement?
Non, non; ayant conçu cet acte détestable,
Que de l'effet au moins il ne soit point coupable,
Et ne le souillez pas de ce crime odieux
Qui le feroit haïr des hommes et des dieux :
Consentez seulement à prendre asile
Qui rendroit au besoin sa poursuite inutile.
Je vais faire, attendant l'honneur de vous revoir,
Préparer un vaisseau pour partir sur le soir.
(Ils sortent.)
Je sais que nous tentons une entreprise vaine,
Et que mon désespoir naîtra de notre peine :
Mais tous effets sont beaux d'un dessein glorieux;
C'est tomber noblement que de tomber des cieux.
De ce jeune arrogant la chute fut célèbre
Qui du char du soleil fit sa pompe funèbre,
Et, conduisant le jour qu'il ne put gouverner,
Il perdit glorieux ce qu'il ne put donner.
Le temps fera pour vous. Qu'a promis Clariane?
De souder avec art cette chaste Diane.
Elle m'a fait savoir un changement soudain.
Quel?
La froideur du roi, son mépris, son dédain,
Avec quelle puissance Hermante le possède :
Et c'et d'où j'ai conçu quelque espoir de remède.
La femme, de nature, aime de se venger.
Où ce ressentiment ne la peut-il ranger?
Je vous viens annoncer une heureuse nouvelle.
Mais ici, Clarimond, il faut être fidèle,
Il faut qu'elle vous soit plus chère que le jour,
Et que votre courage égale votre amour.
Ma chère Clariane, hélas! par quels services
Paroîtrai-je sensible à tant de bons offices?
Que puis-je en ta faveur?
Ecoutez seulement,
Et pour une autre fois gardez ce compliment.
La reine....
Achevez donc.
Doit aller dans une heure
En un château d'Evandre établir sa demeure :
Hermante, qui la hait et souhaite sa mort,
Dessus l'esprit du prince a fait un tel effort,
Que pour la contenter (cruauté sans seconde!)
Il destinoit sa vie à la fureur de l'onde.
Evandre étoit chargé de l'y précipiter :
Mais il est moins cruel que de l'exécuter;
Il emmène la reine, et lui donne un asile
En un de ses châteaux assez loin de la ville :
J'en apprendrai le nom que vous pourrez savoir
Avant notre départ, si je puis vous revoir.
Quand elle habitera cette maison déserte,
Evandre de retour fera croire sa perte,
Abusera la cour, et, déplorant son sort,
A quelque faux naufrage imputera sa mort.
Vous prendrez cependant la saison opportune
Que vous présentera votre bonne fortune.
Mais il faut égaler le courage à l'amour :
Introduit par mes soins sur le déclin du jour,
Assisté de Thersandre, enlevez Parthénie;
Vous la posséderez, toute crainte bannie;
Car on la croira morte, et sans trop de danger
Cet objet de vos voeux ne se pourra venger.
De prétendre autrement ce fruit de votre peine,
Je connois sa vertu, cette entreprise est vaine.
Mais je tarde long-temps : retirez-vous, adieu,
Et dans une heure au plus trouvez-vous en ce lieu.
(Elle sort.)
Quel bonheur est le mien! ô conseil favorable,
Qui me vient toutefois d'un malheur déplorable!
L'occasion est belle.
Avant qu'il siot plus tard,
Allons nous préparer à ce proche départ.
Evandre tient de moi l'ordre de cette charge;
Que ton intention dessus lui se décharge :
Elle aura pour dormir d'un éternel sommeil
Une course commune avecque le soleil.
Cependant ménageons la saison opportune,
Et que j'en aie une autre avecque toi commune.
Qu'il me tarde déjà que dessus ce beau sein
Ma violente ardeur n'accomplît son dessein,
Attendant cet hymen qui te rend souveraine,
et qui donne à l'Epire une si belle reine!
Sire, attribuez tout à l'inclination :
Le seul bien de vous plaire est mon ambition.
Et cette ambition te donne un diadème,
Met mon sceptre en tes mains et t'égale à moi-même.
Ne diffère donc plus ces innocens ébats
Qu'autrefois si charmé je trouvois en tes bras :
Jouissons des plaisirs que l'amour nous propose,
Et rendons les effets aussi doux que leur cause.
Mon ardeur aujourd'hui vous veut faire douter
S'il reste après ce bien quelque bien à goûter.
Au prix du doux effet qui suivra mes promesses
Vénus pour Adonis eut de tièdes caresses;
La femme de Titon ne vient que froidement
Du lit de son époux au sein de son amant;
Enfin pour son chasseur, quand l'univers sommeille,
La courrière des nuits n'a point d'ardeur pareille.
(Ils sortent.)
J'éprouve ton secours à mes jours indulgent;
Mais ton même secours m'outrage en m'obligeant.
Laisse accomplir l'arrêt où mon malheur m'engage ;
Je dois à mon amour ce dernier témoignage;
J'aime de m'immoler à son commandement;
Et lui désobéir c'est l'aimer lâchement.
Madame, pour son bien autant que pour le vôtre,
Permettez qu'à ce temps il en succède un autre;
Croyez qu'un charme étrange a blessé ses esprits.
Ma désobéissance un jour aura son prix;
Le ciel accomplira vos voeux et mon attente;
Vos destins changeront, et vous serez contente.
Un astre injurieux s'est bandé contre vous;
Mais les ciel est injuste ou vous sera plus doux;
Il souffre quelque temps, mais perd enfin le crime;
Il presse l'innocence et jamais ne l'opprime.
En cet heureux espoir que je reçois ton secours;
Moins pour moi que pour lui je conserve mes jours :
Son mal me nuiroit plus que ma propre misère;
Au prix de ses douleurs la mort me seroit chère.
Je crains son repentir sil le doit affliger.
Demain quand le soleil, effaçant les étoiles,
Du palais de la Nuit aura tiré les voiles,
Par des lieux détournés j'irai de votre mort
Pour notre sûreté faire le doux rapport;
Et vous saurez le soir, par mon propre message,
Ce qu'elle aura produit en ce cruel courage.
Après ces longs ennuis vos voeux seront contens.
Attendez ce bonheur et du ciel et du temps.
( Il sort. )
Eh bien ! peux-tu servir ma passion fidèle ?
Monsieur, l'occasion ne peut être plus belle.
Le carosse est-il prêt ?
A quatre pas d'ici.
Un seul empêchement me donne du souci.
Quel ?
C'est que Leonie est toujours à ma suite
Et pourroit ruiner toute notre conduite ;
Toujours loin de la reine elle éclaire mes pas,
Semble nous épier et ne me quitte pas.
L'or peut-il l'attirer en notre intelligence ?
Il faudroit l'éprouver.
Fais donc en diligence.
Ce métal est charmant, rien n'y peut résister,
Joint qu'un esprit si jeune est facile à dompter.
Revenez dans une heure ; armez à l'avantage,
Car Evandre est pourvu d'adresse et de courage.
La porte du jardin, ouverte à ce dessein....
Mais quel soudain frisson me glace tout le sein ?
Bientôt par le succès ta peur sera bannie.
Adieu, retirez-vous ; j'aperçois Léonie.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
( Clarimond et Thérsandre sortent. Entre Léonie. )
Ma chère Léonie, en quel lieu solitaire
Nous confine le ciel ?
Dieux ! qu'il nous est contraire !
Faut-il que désormais ton éloquente voix
N'ait plus que l'entretien des rochers et des bois ?
Ne conteras-tu plus ton amoureuse peine
Qu'à l'écho d'un jardin, d'un mur, d'une fontaine ?
Ah ! que nous respirons en ce triste séjour
Un air bien différent de celui de la cour !
A qui ne l'aé goûté cet air est difficile ;
Mais la nécessité rend la plainte inutile.
Quel espoir de remède à ce malheur est joint,
Et quel chercherons-nous à ce qui n'en a point ?
La mort est le seul mal qui n'a point de remède ;
A des esprits adriots toute infortune cède :
Notre timidité fait nos pires malheurs,
Et tout coeur généreux peut vaincre ses douleurs.
Seconde mon dessein, et je tire la reine,
Avant qu'il soit une heure, et nous-mêmes de peine.
Mais fais-moi preuve ici de ta fidélité.
Où ne voudrois-je point servir sa majesté ?
C'est lui rendre en effet un favorable office ;
Mais il faut quelquefois cacher même un service ;
Et tel qui ne peut pas discerner un bienfait,
D'abord peut s'offenser d'un plaisir qu'on lui fait ;
Telle sa majesté, d'amour préoccupée,
Pour ce prince qui l'a si lâchement trompée,
Quelque bien qu'on lui fît le pourroit refuser,
Et même en la servant il la faut abuser.
Tu sais que, par un lâche et détestable crime,
Le roi croit que ce soir on en fait sa victime,
Et que déjà du jour ses beaux yeux sont privés.
Evandre toutefois a ses jours conservés :
Mais quel est son remède en ce malheur extrême ?
Elle éprouve un secours pire que la mort même ;
Et, sans cueillir les fruits de sa jeune saison,
Se fait de ce désert une étroite prison.
Seroit-il pas meilleur que hors de la province
Elle évitât la haine et la fureur du prince ?
Car ce lieu m'est suspect, et les rois ont des yeux
Qui peuvent pénétrer dans les plus sombres lieux.
J'approuve ce dessein ; mais sous quelle conduite
Peut-elle de ce prince éviter la poursuite ?
D'un seigneur qui l'estime avecque passion ;
Et c'est ce que je fie à ta discretion.
Mais la croyant servir son honneur se hasarde.
Oh ! le plaisant danger ! le met-elle en ta garde ?
Quel t'imagines-tu ce fantôme d'honneur ?
La jeunesse ignorante en fait tout son bonheur,
Conserve obstinément cet abus frénétique,
Et tout ce qu'on lui dit pense qu'on le pratique :
Mais par le cours du temps l'amour a sa saison,
Et lui qui n'a point d'yeux les ouvre à la raison ;
Il chasse ces erreurs, et nous fait reconnoître
Que paroître pudique est ce qu'on nomme l'être :
Gouverner avec art son inclination,
Y ménager le temps avec discrétion,
Brûler pour un amant et paroître glacée,
Parler toujours d'un sens contraire à sa pensée,
Et baiser en secret alors qu'on se peut voir,
C'est avoir de l'honneur ce qu'il en faut avoir.
Parthénie, au besoin, comme une autre est capable
D'obliger un amant à sa grandeur sortable,
Et recevoir de lui ces amoureux ébats
Que lui doit son époux et ne lui donne pas.
Oblige de ton aide un amant qui l'adore ;
Faisons à son amour la grâce qu'il implore.
Accepte cependant ce présent de sa part.
Mais que puis-je pour lui ?
Quand il sera plus tard,
Qu'introduit par mes soins il enlève la reine ;
Et ne t'informe point du fruit de notre peine.
C'est un seigneur puissant, libéral, généreux ;
Et, pouvant l'obliger, notre sort est heureux.
Mais Evandre peut-il, sans quelque résistance,
Consentir à l'effet de cette violence ?
Un seul coup en son sein adroitement porté
Peut lever, au besoin, cette difficulté ;
Et le moindre intérêt d'un prince ou d'une reine
Doit rendre tout respect et toute crainte vaine.
Achevons au plus tôt ce dessein important,
Puisqu'il est superflu de délibérer tant.
Je vais à ce seigneur qui m'attend à la prote,
L'avertir de n'entrer surtout qu'avec main-forte.
Toi, proche de la reine, adroite et feignant bien,
Ote-lui tout sujet de se douter de rien :
Qui tarde s'affoiblit, et le ciel autorise
L'adresse de presser une belle entreprise.
Ordonnez seulement ; je veux ce qu'il vous plaît,
Et je vais reconnoître en quel état elle est.
( Elle sort. )
A mon adresse enfin toute chose succède ;
Je puis à toute chose apporter du remède ;
Rien ne peut s'opposer aux desseins que je fais;
Le souhait, en naissant, est suivi des effets.
Le ciel permet leurs cours, l'enfer les éxecute,
Et le plus haut orgueil à mes corps est en butte :
Je dispose du dieu qui préside à l'amour,
Je trouble en un moment tout l'ordre de la cour ;
Mes désirs sont des lois, ma puissance est maîtresse,
Comme d'un dieu sans yeux, d'une aveugle déesse :
La Fortune bâtit ce que je veux dresser,
Et démolit aussi quand je veux renverser ;
Elle ôte en ma faveur, ou laisse dans la boue ;
Et, quand je veux, j'arrête ou fais tourner sa roue.
( Elle sort. )
L'avarice à ce point a gagné sa raison?
O perfidie extrême ! ô lâche trahison!
Madame, en un péril qui de près nous regarde,
L'étonnement est vain, et la plainte retarde.
Songeons à détourner un si pressant danger :
Il paroît que le ciel conspire à nous venger,
Puisque la trahison n'est pas plus tôt conçue
Qu'il vous fait avertir d'en empêcher l'issue.
A quelle heure dis-tu qu'il doit être introduit?
Bientôt, puisqu'il est tard et qu'il fait déjà nuit.
Te l'a-t-elle nommé?
Me parlant de la sorte,
Ses discours m'ont fait naître une frayeur si forte,
Que, sans lui demander ni nom ni qualité,
J'ai seulement appris ce qu'elle a projeté.
Ne délibérons plus ; cette désespérée
Mérite la frayeur qu'elle m'a préparée :
Que, saisie au plus tôt, elle confesse tout.
Il sera malaisée que l'on en vienne à bout ;
Elle a trop sûrement la porte préparée,
Et ce seigneur peut-être en a déjà l'entrée.
Sans plus délibérer, c'est en cette action
Qu'il faut être pourvu de résolution.
Je voudrois pouvoir seul être votre défense,
Je mourrois glorieux en cette résistance,
Pour vous j'affronterois et l'enfer et le sort;
Mais votre enlèvement enfin suivroit ma mort.
Il aura quelque suite, et les plus grands courages
Succombent à la fin à de grands avantages :
Que vos mains pour sa perte imitent vos regards;
Dans un corps de Junon ayez un coeur de Mars :
Des pistolets en main, et vous et Léonie,
Tâchez de seconder mon attente infinie,
Et forcez la frayeur qui vous vient posséder :
Un si juste dessein ne peut mal succéder.
Mais si, pour divertir le mal qu'elle propose,
Elle peut être prise et la porte être close?
. . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . .
Vous sauver de la sorte est tramer votre perte;
Par eux auprès du roi vous serez découverte,
Et lors le ciel en vain nous voudroit secourir,
Et notre sûreté dépendroit de mourir.
Leur perte nous importe; il faut craindre leur fuite,
et que ce ravisseur périsse avec sa suite.
Donc les armes aux mains et le courage au sein,
Attendons le succès de ce juste dessein;
Mourons fidèlement pour un prince infidèle :
Ma vie est importune, et ma mort sera belle.