C H I L D E B E R T I.
R O Y VI.
THIERRY
Roy de Mets, ou d'Au- ftrafie âgé de 28. à 30. ans. |
CLODOMIR d'Orleans âgé de 16. à 17. ans. |
CHILDEBERT de Paris âgé de 13. à 14. ans. |
CLOTAIRE de Soiffons âgé de quel- ques 12. ans. |
CEs quatre freres divifèrent le Royaume entre eux, & tirérent leurs partages au fort. Thierry eut toute l'Auftrafie & les terres d'au delà du Rhin, les trois autres de la Neuftrie. Ils eftoient tous Rois efgalement & fans dépendance l'un de l'autre, mais pourtant toutes ces parties enfemble ne faifoient qu'un corps de Royaume. Les Hiftoriens comptent leur fucceffion par les Rois de Paris, parce que cette Ville a depuis efté la capitale de toute la France.
Cinq ou fix ans durant, ces Princes demeurérent en repos, les trois fils de Clotilde eftant encore jeunes, & peut-eftre les deux derniers fous la tutelle de leur mere ; Il femble que peu aprés la mort de leur pere, les Vifigoths reprirent fur eux le païs de Rouërgue & quelques autres voifins du Languedoc.
PAPES.
HORMISDAS le 26. Juillet 414. S. 9. ans. JEAN I. le 13. Aouft. 523. S. 2. ans, 9.mois & demy. BONIFACE II. le 15. Oct. S. I. an. JEAN II. en Dec. 431. S. 3. ans, 4. mois. AGAPET en Juil. 534. S. I. ans. SILVERE en Juin 536. S. 4. ans. VIGILE en 540. S. 15. ans. |
![]() |
Tiré de l'Abbaye
de S. Germain des Prez où il eft enterré. Le fang des Arriens dont rougirent les plaines, De montagnes de corps leur païs tout couvert, Et leurs Chefs mis à mort, font des preuves certaines, De ce que les François firent fous Childebert. |
La France commença alors d'eftre divifée en Oofterrich ou partie Orientale, dite par corruption Auftrie & Auftrafie, & en Weftrich ou partie Occidentale, & par corruption Neuftrie. L'Auftrafie comprenoit tout ce qui eft entre la Meufe & le Rhin ; & mefme en deça de la Meufe, Rheims, Châlons, Cambray, & Laon. De plus, l'ancienne France, & tous les peuples fugjuguez au delà du Rhin, comme les Bavarois, les Allemands, & une partie des Turinges en dépendoient, depuis la Meufe en deçà jufqu'à la Loire. L'Aquitaine n'êtoit pas comprife fous le nom de France, ni la Bourgogne, mefme lors qu'elle eut efté conquife, ni la Bretagne Armorique, au moins la Baffe, parce que c'eftoit un eftat indépendant.
Gondebaud Roy de Bourgogne mourut l'an 516. Il avoit compofé ou rédigé une Loy appellée de fon nom la Loy Gombete, qui fut longtemps en ufage chez les Bourguignons, comme la Salique l'eftoit parmy les François. Il avoit deux fils, Sigifmond & Gondemar. Le premier luy fucceda en tout fon Eftat ; Et comme il avoit efté converti depuis plufieurs années par les inftructions d'Avitus Evefque de Vienne, il abjura l'Arrianifme dés fon advenement à la Couronne, & ramena avec luy tout fa nation à la foy Orthodoxe.
Un capitaine Danois nommé Cochiliac, exerçant la piraterie, avoit fait une defcente fur les terres du Royaume de Thierry proche de l'embouchure du Rhin. Lors qu'il vouloit fe rembarquer avec fon butin, arrive le Prince Theodebert, fils aifné de Thierry, qui le charge, le tuë, & ayant couvert la mer & la terre du fang de ces pirates, regagne tout ce qu'ils avoient pillé.
Sigifmond avoit en premiéres nôces efpoufé Oftrogothe fille de Theodoric Roy d'Italie, dont il avoit un fils nommé Sigeric. Aprés la mort de cette Reine, il mit dans fon lict une de fes fervantes, laquelle ayant conçû une haine de maraftre contre le jeune Prince, le rendit fi criminel envers fon pere par fes fréquentes calomnies, qu'il le fit eftrangler avec une ferviette comme il eftoit endormi. Mais auffitoft il fut fi touché de repentir, qu'il fe retira durant quelque temps pour pleurer fon crime, dans le Monaftére d'Agaune, qu'il avoit fait bastir ou fort augmenter, en l'honneur du Martyr S. Maurice & de fes compagnons.
La Justice Divine, comme il eft à croire, fufcita les Rois François pour le chaftier. Quoy qu'il euft marié fa fille foeur de Sigeric avec le Roy Thierry, les trois autres freres ne laifférent pas de confpirer fa perte, y eftant incitez par leur mere Clotilde, qui avoit encore dans le coeur le defir de venger la mort de fon pere. Si toutesfois il faut croire cela d'une fi pieufe Princeffe.
En peu de jours ils fe rendirent maiftres d'une grande partie de la Bourgongne, foit par le gain de quelque bataille, ou par la défection mefme des Bourguignons. Sigifmond appréhendant d'eftre livré par fes propres fujets, fe traveftit en Moine & fe retira fur le haut d'une Montagne inaceffible. Il n'y avoit pas encore demeuré long-temps, que quelques-uns de ceux qu'il croyoit fes plus fidéles ferviteurs, l'allérent trouver & luy confeillérent de fortir de là comme d'un lieu peu feur, & de fe retirer dans l'Eglife de S. Maurice, l'afyle le plus facré de toutes ces Provinces-là. Quand il fut prés de la porte de ce Monaftere, les traiftres le livrérent entre les mains des François ; Clodomir l'emmena luy, fa femme & fes enfants, & les enferma dans un Chafteau des environs d'Orleans.
Quant à Gondemar, s'eftant fauvé à la fuite, il recueuillit peu aprés les desbris de fon frére & fe mit en poffeffion du Royaume. Clodomir ne le pût fouffrir, & fe ligua avec Thierry fon aifné pour achever de l'accabler. Avant que partir il réfolut de fe desfaire de Sigifmond. Sainct Avi Abbé de Miçy s'efforça en vain de l'en deftourner par fes fainctes remonftrances, y ajouftant de la part de Dieu des menaces de repréfailles fur fa tefte & fur fa famille : mais il le traitta de ridicule, & fit cruellement maffacrer Sigifmond, fa femme & fes enfans, & jetter leurs corps dans un puis.
Les menaces du Sainct Abbé eurent bien-toft leur effet. Il eftoit impoffible que Thierry n'euft dans l'ame un jufte reffentiment de la mort de Sigifmond fon beaupere ; Ainfi quand il vit Clodomir engagé bien avant dans la meflée (c'eftoit dans une bataille qu'ils donnérent à Gondemar prés d'Autun) il l'abandonna & le laiffa perir. Les Bourguignons l'ayant reconnu à fa longue chevelure Royale, luy couperent la tefte & la fichérent au bout d'une lance. Mais ce fpectacle au lieu d'eftonner les François redoubla leur furie : ils vengérent fa mort par un horrible carnage de Bourguignons, & conquirent une partie de ce Royaume, fçavoir celle qui eftoit la plus voifine du Royaume d'Orleans.
Clodomir eftoit âgé de quelques trente ans. Il laiffa trois fils encore enfans, Theodebalde, Gontaire & Clodoalde, que Clotilde leur grand'mere prit le foin d'eflever, efperant que lors qu'ils feroient en âge, leurs oncles leur rendroient le Royaume de leur pere. Clotaire fon frere puifné efpoufa auffi-toft fa veuve, elle s'appelloit Gondioche ; Tant les Princes de cette premiére Race avoient peu de confidération pour leur Sang, eftant auffi brutaux dans leurs amours que dans leurs vengeances.
THIERRY
en Austrafie à Mets. |
CHILDEBERT
en Neuftrie à Paris. |
CLOTAIRE
en Neuftrie, à Soiffons. |
LE Royaume de Bourgongne ne fut partagé entre ces freres que plufieurs années aprés, & Thierry n'y eut aucune part.
Theoderic Roy des Oftrogoths & des Vifigoths le plus grand Prince d'entre les Rois Barbares, s'il n'euft pas efté Arrien, eftant fur la fin devenu perfecuteur des Catholiques, meurt à Rome le 2 de Septembre. Il laiffa fes Royaumes aux deux fils de fes filles, fçavoir celuy d'Efpagne ou des Vifigoths à Amalaric, & celuy d'Italie ou des Oftrogoths à Athalaric, qui estoit fous la tutele de fa mere Amalafuinte. Il donna auffi à ce dernier la Provence, qui comprenoit alors la Narbonnoife feconde, partie de la Viennoife premiére & toute la cinquiefme : & à l'autre la Narbonnoife premiére, qu'on nommoit autrement Septimanie, & qui dés ce temps-là eftoit auffi connue par les François fous le nom de Gothie, parce qu'elle eftoit poffedée par les Goths.
Amalaric reftabli en fon Royaume redoutant les armes des François, demande leur foeur Clotilde en mariage.
Le Roy de Thuringe (peut-eftre que c'eftoit Bafin) avoit eu trois fils, Hermenfroy, Baderic & Bertier. Le premier avoit efpoufé Amalabergue fille d'Amalafrede, qui eftoit foeur de Theoderic Roy des Oftrogoths, & veuve de Trafimond Roy des Vandales. A l'inftigation de cette mefchante & ambitieufe femme, non content d'avoir ofté la vie & la part du Royaume à Bertier, il s'eftoit encore ligué avec Thierry Roy de Mers, & avec fon aide avoit fait pareil traittement à Baderic fon autre frere. Cette anné 531. Thierry fe fafchant qu'il ne luy donnoit aucune part de la defpouille de ce dernier, comme il luy avoit promis, fit partie avec fon frere Clotaire pour conquerir la Turinge. Hermenfroy leur vint au devant & les combattit. A l'abord ils furent un peu en defordre, leurs chevaux tombant dans des foffes recouvertes de branches & de gafons : mais s'eftant démeflez de ces pieges, ils le poufferent jufques fur les bords de l'Oneftrud, où il y eut fi grand carnage des fiens, que les corps morts faifoient un pont de travers de la riviere. Il fe retira avec peine du peril & s'enferma dans une fortereffe.
L E R O Y A U M E D E T U R I N G E E N T I E R E M E N T C O N Q U I S E T E S T E I N T, demeura à Thierry, Clotaire fe contenta du butin & des captifs, parmi lefquels fe trouva le Prince Amalafroy & la jeune Radegonde, enfans de Bertier. Il fit foigneufement eflever Radegonde, & l'efpoufa à quelques années de là. Mais par le confeil de quelques mefchans il fit tuer Amalafroy, & Radegonde enfuite fe fepara d'avec luy, & alla fonder le Monaftere de Saincte Croix de Poictiers, où elle acheva fainctement fes jours.
Cependant Thierry de retour de fon Royaume attira Hermenfroy dans fa Cour, luy ayant juré toute feureté ; puis fauffant cruellement fa foy, un jour qu'ils fe promenoient enfemble fur les murailles de Tolbiac, il fe trouva un homme qui le précipita du haut en bas. Amalabergue caufe de toutes ces tragedies fe fauva avec fes enfans en Afrique vers fa mere.
La mefme année fur un faux bruit qui courut que Thierry avoit efté tué à la guerre de Turinge, Arcadius l'un des Senateurs d'Auvergne, convia Childebert de s'emparer de la ville de Clermont, qui eftoit du partage de Thierry. Le peuple & les Seigneurs du païs eftant bien aifes de s'ofter de la domination des Auftrafiens ; pafférent facilement fous fienne : mais comme il fceut que Thierry revenoit victorieux, il fortit de l'Auvergne, & paffa en Septimanie pour faire la guerre à Amalaric Roy des Vifigoths.
Il avoit pour prétexte de cette guerre les outrages que ce Prince Arrien faifoit à fa foeur Clotilde, en haine de ce qu'elle perfeveroit conftamment dans la Religion Catholique. Amalaric perdit la bataille prés de Narbonne, qui eftoit fon Siége Royal ; Et comme il penfoit s'enfuïr dans fes vaiffeaux, il fut tué, foit dans cette ville-là, foit dans Barcelonne, ou par les François, ou par Theudis mefme, qui luy fucceda. Clotaire neantmoins ne gagna rien que du butin, & l'honneur d'avoir vengé fa foeur, qui mourut par les chemins comme il la ramenoit, car la Septimanie demeura tousjours aux Vifigoths. Mais leurs Rois naturellement timides, transférérent leur Siége Royal à Toléde, pour s'efloigner à l'avenir de femblables irruptions.
Childebert & Clotaire s'eftant affociez, achévent de pouffer Gondemar, le prennent prifonnier dans un combat, l'enferment dans une Tour (où apparemment il acheva le refte de fes jours) & envahiffent tout ce qui luy reftoit de païs. Ainfi L E P R E M I E R R O Y A U M E D E B O U R G O G N E F U T E S T E I N T , aprés avoir duré quatre-vingts dix ans, & demeura uni à la France : mais il retint fon nom, fes Loix, & fes Magiftrats particuliers. Ses Gouverneurs fe nommoient ordinairement Patrices.
Les deux freres defirant partager la Bourgogne entre eux, mandent à la Reine Clotilde leur mere, qu'elle leur envoyaft les trois fils de Clodomir pour les mettre en poffeffion du Royaume de leur pere. Clotilde le crût d'autant plus facilement, qu'en effet ils ne l'avoient point encore partagé entre eux : mais lors qu'ils eurent ces innocents entre leurs mains, ils maffacrérent inhumainement les deux aifnez, le troifiefme nommé Clodoald ou Cloud, fut fauvé par les B R A V E S de fon pere, & aprés avoir demeuré caché quelque temps, il affeura fa vie en fe coupant les cheveux luy-mefme, & fe confinant dans une faincte retraite au bourg de Nogent prés Paris, qui garde encore aujourd'huy fes Reliques & fon nom.
Comme Thierry de Mets refufa d'accompagner fes deux freres contre Gondemar, les François Auftrafiens fe fâchant qu'ils n'auroient par leur part au pillage de la Bourgongne, ménacérent de ne le plus reconnoiftre. Dans la premiere & feconde Race, ils fe font fouvent donnez cette liberté. Il falut pour les appaifer qu'il les menaft en Auvergne, qui s'eftoit revoltée contre luy pour fe donner à Childebert, d'où ils enlevérent une multitude innombrable de captifs, & tout ce qui fe pouvoit emporter.
Un Seigneur nommé Munderic, foy difant du Sang Royal, fe portoit pour Roy & fe faifoit fuivre par la populace. Thierry à fon retour d'Auvergne, l'inveftit dans le chafteau de Vitry ; comme il ne le pouvoit avoir par la force, il y employa le parjure : Aregife un de fes Capitaines luy engagea fa foy qu'il feroit le bien receu, & quand il fut hors de la place, il donna le fignal à fes gens de le maffacrer. Munderic s'en eftant apperceu, le prévint & le tua d'un coup de dard ; & aprés mettant l'efpée à la main avec ceux ces fiens qui l'avoient fuivi, il vendit bien chérement fa vie.
La mefme année V I T E S T E I N D R E L E R O Y A U M E D E S V A N D A L E S , & l'Afrique avec les Ifles de Corfe, de Sardaigne, & les Baleares, retourna à l'Empire, aprés en avoir efté feparée 107. ans. L'Empereur Juftinian fous pretexte de prendre en main la deffenfe du Roy Hilderic, fur lequel Gilimer avoit ufurpé le Royaume, y envoya le Grand Capitaine Belifaire, qui mit fin à cette conquefte en moins de fix mois, ayant heureufement vaincu ces Barbares Arriens en quelques combats, pris Carthage, & receu à compofition le Tyran Gilimer qui s'estoit enfermé dans une fortereffe.
Les Vifigoths pendant les guerres de Bourgongne & de Turinge, avoient pris plufieurs places de la Septimanie. Les Princes Gontier & Theodebert, qui eftoient fils, le premier de Clotaire, & l'autre de Thierry, eurent ordre de leurs peres de les recouvrer. Gontier s'en revint fans rien faire ; Theodebert prit quelques chafteaux dans la contrée de Beziers, mais fe laiffa prendre luy-mefme à la beauté de l'artificieufe Deuterie, Dame de Cabriere, qui le reçut dans fon chafteau & dans fon lict.
De la Septimanie il porta fes armes en Provence, croyant avoir meilleur marché des Oftrogoths. Comme il l'avoit fort esbranflée & desja pris des oftages de la ville d'Arles, il reçût la nouvelle que fon pere eftoit fort malade à Mets : il partit en diligence, & y arriva peu de jours avant qu'il mouruft.
Thierry regna un peu plus de 23. ans, & en vefcut quelques 55. Il n'avoit de fils que Theodebert : mais un docte Hiftorien luy donne auffi une fille nommée Theodechilde. Il croit que c'eft elle qui fut mariée à Hermegifcle Roy des Varnes, dont Procope raconte une memorable aventure, & qui eftant revenuë en France, entre grand nombre d'oeuvres pieufes, baftit le monaftere de Saint Pierre le Vif prés de Sens.
Il eft bon de remarquer que les Bavarois eftoient fous fon obeïffance, puifque dans les Eftats ou Affemblée Generale de Châlons, il redigea leurs Loix par efcrit. Ils eftoient originaires de Germanie ; on ne fçait pas de quel Canton : mais qu'ils avoient mefme langue que les Lombards. Vers le temps de la mort d'Odoacre Roy d'Italie, ils eftoient venus occuper la partie du Norique qui eft fur les rives du Danube, & avec le temps ils en avoient auffi gagné la partie Mediterranée, & mefme la feconde Rhetie qui étoit fituée entre les rivieres de l'Orein & du Lec, de forte qu'ils avoient pour bornes la Pannonie, la Sueve, l'Italie & le Danube. Peut-eftre que Clovis les avoit fubjuguez dés le temps qu'il fubjugua les Allemands : mais ils avoient tousjours gardé leurs Loix & un Duc de leur Nation, qui eftoit confirmé par le Roy d'Austrafie. Il faloit qu'il fuft de la Race des Agilolfingues ou defcendans d'Agilolfe, qui apparemment les avoit amenez en ce païs-là.
CHILDEBERT
en Neuftrie, à Paris. |
CLOTAIRE &
en Neuftrie, à Soiffons. |
______________
\/ |
THEODEBERT âgé d'environ 30. ans, en Auftrafie. |
LE oncles de Theodebert s'eftoient preparez à envahir le Royaume de fon pere, fa diligence rompit leur coup. Aprés qu'il fe fut accomodé avec eux en achetant la paix, & qu'il eut noüé en apparence une eftroite amitié avec Childebert, qui luy promettoit fa fucceffion, parce qu'il n'avoit point d'enfans : il fit venir Deuterie & l'efpoufa publiquement, mefprifant Wifgarde fille de Wacon Roy des Lombards, qu'il avoit fiancée du vivant de Thierry fon Pere.
On met en cette année l'érection en Royaume, vraye ou fabuleufe, de la terre d'Yvetot en Normandie, qui fut faite, ce dit-on, par le Roy Clotaire, en fatisfaction de ce qu'il avoit tué de fa main dans l'Eglife, & un jour de Vendredy Sainct, un nommé Gautier qui en eftoit Seigneur.
Athalaric Roy d'Italie, meurt dans l'âge d'adolefcence. Amalafuinte fa mere efpoufe Theodad fils l'Amalafrede foeur du Roy Theoderic, & l'efleve dans le Thrône, mais peu aprés l'ingrat la fait mourir fur un foupçon d'adultére.
La mort d'Amalafuinte caufa la ruine des Oftrogoths. Juftinian avec qui elle avoit tousjours entretenu amitié, donna charge à Belifaire de venger fa mort & de recouvrer d'Italie. D'abord la Dalmatie, les Ifles de Sicile & de Sardagne, enfuite l'Abbruzze, la Lucanie, la Campanie ou terre de Lavour, fe rendent à luy fans refiftance, & la ville de Naples eft furprife par l'ouverture d'un aqueduc. Theodad y envoye une armée fous la conduite de Vitiges fon gran Efcuyer : mais les Ostrogoths qui l'avoient pris en haine, eflifent ce Vitiges ; pour s'affeurer le Diadéme fait mourir Theodad, & efpoufe Matafuinte fille d'Amalafuinte.
Lors que Theodad mourut il eftoit en traitté avec les François & leur offroit la Provence & deux mille livres d'or, s'ils vouloient embraffer fa deffenfe. Vitiges eftant preffé par Belifaire, & ne fe fentant pas affez fort pour refifter aux Imperiaux & aux François, exécuta ce que fon prédéceffeur avoit propofé, & livra la Provence & l'argent aux François. S'il en faut croire Procope, Juftinian confirma cette ceffion par Lettres patentes. Il femble qu'ils la diviferent en deux Provinces, celle de Marfeille, & celle d'Arles.
Theodebert ne faifoit point fcrupule de prendre de tous les deux partis pour avoir moyen de les accabler tous deux. Il avoit fait couler dix mille Bourguignons en Italie, qui ayant joint Oraia l'un des Chefs de Vitiges, lui avoient aidé à reprendre Milan.
Comme il crut que les deux partis eftoient fort affoiblis, il entra dans le Milanois avec deux cens mille hommes. L'armée des Romains & celle des Oftrogoths eftoient campées l'une vis à vis de l'autre prés de Pavie : toutes deux s'imaginoient qu'il venoit à leur fecours : & fon deffein eftoit de les furprendre toutes deux. Il charge donc & desfait les Vifigoths, & puis va fondre fur les Romains qu'il taille en pieces. Mais la famine & la pefte les vengérent bien-toft de cette perfidie. Quand il vit que fes troupes periffoient à milliers, il repaffa les Monts en diligence, de peur que Belifaire qui eftoit en Tofcane ne le vinft charger.
Enfuite Vitiges eftant affiégé dans Ravenne par Belifaire, ne laiffa pas d'avoir recours aux Rois François, qui luy promirent d'aller à fon aide avec cinq cens mille hommes : mais avant qu'ils y fuffent arrivez, il avoit compofé avec Belifaire, & eftoit paffé à Conftantinople, où de Roy il devint Officier de l'Empereur. Les Vifigoths eflûrent en fa place Theodebalde Gouverneur de Vérone ; Et celuy-là ayant efté tué trois ans aprés, ils luy fubftituérent le fameux Totila, qui prit & faccagea la ville de Rome par deux fois, en 547. & en 550.
La Reine Deuterie devint fi furieufement jaloufe de fa propre fille, parce que le Roy fon mary commençoit à la regarder, qu'elle la fit perir d'une cruelle & ingenieufe maniére, ayant fait atteler à fon char des Taureaux indomptez, qui la précipitérent de deffus le pont de Verdun dans la Meufe. Les François qui dans les deux premiéres Races & bien avant dans la troifiefme, ont eu droit de fe mefler des mariages de leurs Rois, offenfez d'un acte fi defnaturé, & d'ailleurs touchez d'une jufte pitié pour Wifgarde, que Theodebert avoit fiancée il y avoit fept ans, obligérent le Roy de repudier Deuterie, & de reprendre Wifgarde. Celle-cy ne vefcut que deux ans, & fit place à une troifiefme femme.
L'année d'aprés, Childebert fon oncle & luy fe jettérent à l'improvifte fur Clotaire. Il n'eut le temps que de fe retirer avec ce qu'il put ramaffer de gens, dans le fort de la Foreft d'Arelaune proche des bords de la Seine, & d'encombrer les avenuës par de grands arbres qu'il fit abatre de travers. Comme ils eftoient prefts de le forcer dans ce pofte, le Ciel efmû par les prieres de la Reine Clotilde, excita une miraculeufe tempefte, qui ne touchant point au camp de Clotaire, & foudroyant le leur, les eftonna tellement, qu'ils luy envoyerent demander la paix & fon amitie.
Theudis regnoit alors fur les Vifigoths. Les François eftant tousjours leurs ennemis mortels, Childebert & Clotaire pafferent les Pirenées & ravagerent tout l'Arragon. La ville de Sarragoffe eftant affiegée, les habitans s'aviferent de faire une Proceffion generale à l'entour de leurs murailles en habit de Penitens & de deuil, portans au lieu de banniere la Tunique de S. Vincent Martyr, leur Patron. Ce fpectacle extraordinaire eftonna Childebert & le flefchit, en forte qu'il fe contenta de quelques prefens que l'Evefque luy fit, entre lefquels eftoit la robe de S. Vincent, qu'il apporta à Paris, où il baftit une Eglife à l'honneur de ce Martyr, & y mit cette precieufe Relique.
Les Autheurs Efpagnols difent, qu'au retour les François furent battus au paffage des Montagnes par un des Generaux Vifigoths, qui s'appelloit Teudifcle : Si cela eft ainfi, il y a apparence qu'ils firent deux voyages confecutifs en Efpagne.
L'an 548. Theudis Roy des Vifigoths fut tué dans fon Palais, & ce Theudifcle eflevé au Throfne : mais à deux ans de là il fut traitté de même, & Agila mis en fa place.
Tandis que les Imperiaux & les Oftrogoths eftoient attachez l'un à l'autre, Theodebert, qui eftoit desja maiftre de la Rhetie, de la Vindelicie & de la Sueve, voulut faire fon profit de cette guerre, & par fes Lieutenans (Hamingue eftoit le principal) fe rendit maiftre de la Petite Italie, c'eft à dire de ce qu'on a nommé depuis, Lombardie. Aprés quoy, les troupes de Juftinian ayant eu quelque avantage fur les fiennes, cét Empereur eut la vanité de mettre parmi fes tîtres celuy de Francique, c'eft à dire vainqueur des François.
Theodebert ne le pouvant fouffrir vouloit traverfer la Pannonie & la Mefie, & porter toutes fes forces en Thrace, pour luy fiare voir que les François n'eftoient point vaincus. Comme il fe preparoit à cette expedition, un funefte accident luy ofta la vie. Un jour eftant à la chaffe (exercice fatal à plufieurs Princes) un Taureau fauvage pourfuivi par fes veneurs, & qu'il attendoit l'efpieu à la main, rompit une branche qui le frapa fi rudement à la tefte, que la fiévre luy en prit, dont il mourut, dans la 14e de fon Regne & vers la 43e de fon âge. Il avoit un fils & une fille Theodebalde né de Deuterie luy fucceda en fes Eftats ; Prince foible d'efprit & de corps, qui devint impotent & perclus depuis la ceinture en bas. Bertoaire garda fa virginité, & fervit en grande devotion à l'Eglife.
Vers le temps de la mort de Theodebert, arriva auffi celle de la Reine Clotilde, qui finit fainctement fa vie à Tours. Elle s'y eftoit retirée pour prier Dieu fur le fepulcre de S. Martin où eftoient alors les plus grandes dévotions des Gaulois & des François.
Comme Theodebert avoit efté Prince de vaftes entreprifes, il avoit fort chargé fes fujets d'impofts, mefme les François. Partenius en avoit efté le principal autheur & le Miniftre ; c'eftoit un homme horriblement gourmand, comme le font prefque tous les gens de cette forte, qui prenoit de l'aloë pour digérer les viandes dont il fe gorgeoit, & qui lafchoit fon ventre encore plus vilainement qu'il ne le rempliffoit. Les François s'étant efmeus pour en faire juftice, il pria deux Evêques de le conduire à Tréves : il n'y fut pas plus en fureté qu'à Mets, le peuple le cherchant pour le tuer, & l'ayant tiré d'un coffre d'Eglife où ces Prélats l'avoient caché, luy fit cent outrages, & aprés l'attacha contre un poteau, où il l'affomma à coups de pierre.
CHILDEBERT
en Neuftrie, à Paris. |
CLOTAIRE &
en Neuftrie, à Soiffons. |
______________
\/ ______________
\/ |
La Bourgogne à eux
deux.
|
THEODEBALDE âgé quelques 13 à 14 ans, en Auftrafie. |
DEs Ambaffadeurs de Juftinian follicitent Theodebalde d'abandonner la deffenfe des Oftrogoths, & de faire Ligue avec l'Empire. Il refufe l'un & l'autre, & neanmoins envoye les fiens à Conftantinople pour traitter de quelques différends touchant les villes qu'il tenoit en Italie. Ils eurent toute fatisfaction de Juftinian : mais ne fceurent obtenir de luy, quelque inftance qu'ils en puffent faire, à la priére des Evefques d'Italie, qu'il remift dans leurs Siéges, le Pape Vigile & Datius Evefque de Milan, qu'il détenoit & traitoit fort mal.
Une guerre civile s'eftant allumée parmi les Vifigoths, entre le Roy Agila & Athanagilde, ce dernier eut recours à l'affiftance de l'Empereur Juftinian, qui ne manqua pas de prendre une fi belle occafion. Le Patrice Liberius y ayant mené de bonnes troupes de fa part, s'empara de plufieurs villes, & il s'en alloit reconquerir toute l'Efpagne, comme Belifaire avoit fait l'Afrique, fi les Vifigoths n'euffent tué Agila & eflû Athanagilde. Ce qui n'empefcha pourtant pas que les Romains par les alliances qu'ils firent dans le pais, & avec les fecours qu'ils recevoient de temps en temps, ne s'y maintinffent prés de 90. ans, jufqu'au Regne de Suintila qui les en chaffa tout-à-fait.
Totila Roy des Oftrogoths, trop fuperbe des victoires gagnées fur les Romains, eft desfait & tué en bataille par l'Eunuque Narfes Lieutenant de l'Empereur Juftinian. Teia fon fucceffeur a le mefme malheur peu de temps aprés, & Narfes réduit fous les loix de l'Empire la plus grande partie de ce que cette Nation poffedoit. Ainfi fut E S T E I N T L E R O Y A U M E D E S O S T R O G O T H S en Italie où il n'avoit fubfifté que 58 ans.
Les reftes des Oftrogoths ayant imploré le fecours des François, deux Seigneurs Allemands freres (on les nommoit Leutaire & Bucelin ) par la permiffion pluftoft que par l'ordre de Théodebalde defcendent en Italie avec 75000. combattans, partie Allemands, partie François, & la ravagent toute à droit & à gauche jufqu'à l'autre bout.
L'armée de Leutaire qui avoit percé jufqu'à la terre d'Otrante, voulant rapporter fon butin en lieu de feureté, fut battuë auprés de Fano en la Province Emilie, & de là s'eftant retirée par des chemins fort difficiles dans la Venetie, qui appartenoit pour lors à Théodebalde, comme elle penfoit s'y repofer dans une petite ville, les logements eftroits & mal faints y cauferent une contagion fi furieufe, qu'elle l'efgorgea toute, fans qu'il en efchapaft feulement un foldat.
Celle de Bucelin qui demeura dans la terre de Lavour, eftant desja fort affoiblie par de femblables fleaux, fut achevée par une bataille que Narfes luy donna prés de Capouë, d'où il ne fe fauva que cinq hommes. L'année d'aprés, le Duc Amingue autre General de Theodebalde, s'eftant joint aux débris des Oftrogoths que le Comte Vidin avoit ramaffez, eut le mefme fort que Bucelin ; & il ne refta rien aux François en Italie, que les paffages des Alpes.
Aprés de fi fanglantes pertes, Theodebalde acheva fa languiffante vie, eftant dans le vintiefme de fon âge, & dans le feptiefme de fon Regne. Il n'avoit efpoufé qu'une femme, Valdetrade ou Valdrade fille de Wacon Roy des Lombards, dont n'ayant aucuns enfans, fa fucceffion retournoit à fes deux grands oncles. Mais Clotaire, qui eftoit le plus fort, parce qu'il avoit cinq fils, tous portant les armes, s'en empara auffi-toft, & mefme de fa feme qu'il efpoufa. Pour le Royaume, Childebert qui n'avoit que des filles n'ofa lors en dire mot : mais pour la femme les Evefques luy firent de fi fortes remonftrances fur cét inceftes, qu'il la quitta & la maria à Garibald Duc de Baviere.
C H I L D E B E R T
&
en Neuftrie, à Paris. |
C L O T A I R E
en Neuftrie & Auftrafie. |
La Bourgongne à eux deux.
LEs Saxons qui eftoient tributaires des François dés le temps de Thierry de Mets, ayant fçû fa mort, prirent occafion de fe revolter conjointement avec les Turingiens. Clotaire y alla auffi-toft, & les ayant battus prés du Vefer, faccagea tout le païs des uns & des autres.
L'année fuivante ils fe revolterent encore ; mais lors qu'ils le vinrent fur leur frontiere, ils luy envoyerent des Deputez crier mifericorde, & fe foufmettre à toutes fortes de conditions. Les François n'y voulurent point entendre & s'opiniaftrerent à les chaftier ; Et parce qu'il refufoit de les mener au combat, ils defchirerent fa tente, & le forcerent de fe mettre à leur tefte. Auffi furent-ils vaincus avec un horrible carnage, & le Roy offrit aux Saxons la paix qu'il leur avoit refufée.
Son frere Childebert jaloux de fes profperitez, les fufcita pour la troifiefme fois à reprendre les armes, & au mefme temps pouffa fon fils Chramne à fe rebeller contre fes commandemens. Clotaire luy avoit donné le gouvernement d'Aquitaine, où il s'eftoit conduit fi tyranniquement, qu'il y avoit de grandes plaintes contre luy. Son pere l'avoit donc mandé en Cour pour luy faire rendre compte de fes actions. Comme il eut refufé d'y venir, il envoya fes deux autres fils Caribert & Gontran en Aquitaine, pour le contraindre d'obéïr ; Et cependant il marcha contre les Saxons, qu'il atterra par plufieurs desfaites, & leur impofa un tribut de 500 boeufs.
Tandis qu'il eftoit en Saxe, il courut un bruit qu'il y avoit efté tué : Childebert fe jetta fur la Champagne & la ravagea : les deux jeunes freres efpouvantez fe retirérent en Bourgogne ; Chramne les y pourfuivit, & de là vint à Paris, où il s'obligea par ferment envers Childebert, de ne fe reconcilier jamais avec fon pere.
Childebert revenant de Champagne, fut atteint d'une fâcheufe maladie, qui l'ayant tenu quelque temps en langueur, ne finit que par la mort. Sainct Germain Evefque de Paris l'enterra dans l'Eglife de Sainct Vincent, qu'il avoit baftie. Entre fes vertus excelloient fa charité pour les pauvres, & fon zele pour la Religion. La premiére luy fit rompre fa vaiffelle d'or & d'argent pour faire l'aumofne ; L'autre fe fignala par quantité de fainctes fondations, & par les foins de provigner la Foy, & d'en conferver la pureté. Car il fit un Edit pour defmolir les Temples des Payens ; Et le Pape Pelage eftant foupçonné des erreurs condamnées par le Concile de Chalcedoine, il luy envoya demander fa profeffion de Foy, afin de mettre ordre à ce fcandale.
Sa femme Ultrogothe luy furvefcut longtemps, & mena une faincte vie avec deux filles qu'elle avoit euës de luy. On les nommoit Chrotberge & Chrotefinde ; Elles ne furent point mariées. Leur oncle Clotaire, foit en haine de leur pere, ou de peur qu'elles ne prétendiffent à fa fucceffion, les detint en prifon avec leur mere, jufqu'à tant qu'il fe fuct affuré du Royaume.
Voicy le premier exemple de la Loy Salique, en faveur des mafles pour la Couronne. Clotaire fucceda à l'exclusion de fes niéces ; Et il fut fi heureux qu'ayant furvefcu fes trois freres aifnez, il rejoignit en fa perfonne toute la fucceffion du grand Clovis.
C L O T A I R E I.
R O Y VII.
PAPES.
|
![]() |
Un Roy ne peut
fouffrir qu'on choque fa puiffance, Sur tout lors qu'il s'agit d'un vifible attentat ; CLOTAIRE nous l'apprit, quand par fa violence, Il fit mourir fon fils qui troubloit fon Eftat. Malheureux ! quelque fens que les Races futures Puiffent jamais donner à telles aventures. |
LE Prince Chramne deftitué de la protection de Childebert, fe reconcilie avec fon pere : mais peu aprés il s'en efloigne, & fe retire en Bretagne auprés de Conober, l'un des Princes de ce pais-là ; Car il y en avoit plufieurs, & qui ne relevoient point des François. Son pere le pourfuit chaudement & le combat proche de la Mer, les Bretons font desfaits, Conober tué dans la meflée, & Chramne fait prifonnier. Le cruel pere ordonna à fes gens de le brufler avec fa femme & fes enfans : ce qu'ils executerent tout fur le champ, ayant mis le feu dans une chaumiere, où ils les avoient enfermez.
Une fi cruelle action luy caufa un cruel repentir, il effaya en vain d'apaifer ce remords par fes devotions & par des grands dons, qu'il fit aux Eglifes. Comme il eftoit revenu de chaffer dans la foreft de Cuife, il s'alluma une fievre ardente dans fes entrailles, dont il mourut à Compiegne. Il eftoit dans le 61. de fon âge, & fur la fin du 49. de fon Regne.
Ses quatre fils conduifirent fon corps avec grande pompe de Preftres pfalmodians, dans la ville de Soiffons, où ils le firent inhumer, comme il l'avoit ordonné, dans l'Eglife & devant l'Autel de S. Médard.
Il avoit efpoufé quatre ou cinq femmes. Entre-autres il tint deux foeurs à la fois, Ingonde & Haregonde. De la premiere il laiffa trois fils, Cherebert, Gontran, Sigebert, & une fille nommée Clodofvinde, qui efpoufa Alboin Roy des Lombards. De Haregonde il eut Chilperic : & de Ghinfine le malheureux Chramne. Plufieurs autheurs affez anciens luy donnent une fille nommée Blitilde, & la marient avec le Senateur Ansbert, qu'ils font ayeul paternel de S. Arnoul. La Chronologie a de la peine à s'y accorder.
C H E R E B E R T ,
R O Y VIII.
CHEREBERT
Roy de Paris, âgé de 40. ans. |
GONTRAN d'Orleans & de Bourgongne, âgé de 36. ans. |
SIGEBERT d'Auftrasie, âgé de 25. à 30 ans. |
CHILPERIC de Soiffons âgé de 20. à 25. ans. |
LE Royaume fut pour la feconde fois partagé en quatre pour fes quatre fils ; Ce qui fut caufe d'une infinité de guerres civiles, de meurtres, de trahifons, de pillages, & de calamitez.
Avant que leurs partages fuffent faits, Chilperic le plus jeune de tous s'eftoit faifi des trefors du pere, qui eftoient à Brefne, & enfuite de Paris : mais il en fut chaffé par les trois autres. Cela fait ils tirerent au fort, qui donna le Royaume de Paris à Cherebert, celuy d'Orleans & bonne partie de celuy de Bourgongne à Gontran, (il refidoit à Châlon) celuy d'Auftrafie à Sigebert, & celuy de Soiffons à Chilperic.
Outre cela chacun d'eux avoit une part dans l'Aquitaine, comme avoient eu auffi les quatre fils de Clovis, & dans la Provence ; afin que tous fuffent obligez de les garder à forces communes.
Les Auftrafiens avoient nommé à la charge de Maire du Palais un Seigneur nommé Chrodin ; Il refufa de l'accepter, parce qu'il voyoit que tous les Grands du païs eftans fes parens, euffent crû pouvoir commettre impunément toutes fortes de violences fur les peuples, & qu'il n'auroit pas eu affez de féverité pour les chaftier. Il leur confeilla donc d'en eflire un autre que luy : Et comme ils s'en furent rapportez à fa probité, il leur nomma Gogon qui étoit fa nourriture, & luy prenant le bras, fe le paffa pardeffus le col, en figne qu'il le reconnoiffoit pour fon Superieur.
PAPES.
|
![]() |
Tiré de la
ville de Blaye où il eft enterré. Dans les divifions que font à tout propos Les freres de ce Roy partageant leur Empire, Luy feul demeure en paix, & gouftant le repos, Fait connoiftre que c'eft le feul bien qu'il defire. |
Les Avarois peuple Hun, fuyant la tyrannie des Turcs, qui eftoient auffi de la mefme Nation, avoient quité leur païs natal, & eftoient venus au fervice de l'Empereur Juftinian. Aprés fa mort ayant efté rebutez par Juftin, ils cherchérent leurs aventures ailleurs : & ayant percé jufqu'au milieu de la Germanie, ravagérent la Turinge, qui eftoit des terres de Sigebert. Ce Roy, fans avoir peur de ces Barbares, qu'on faifoit fi terribles, les attaqua prés de rivages de l'Elbe, & les ayant mattez par un grand combat, les renvoya avec honte fur les rives du Danube dont ils eftoient venus.
Chilperic cependant fe rua fur fes terres & défola toute la campagne de Rheims. Sigebert eftant de retour le rembarra fortement, & prit fon fils Theodebert prifonnier avec la ville de Soiffons. Dans l'année mefme cette querelle fut terminée par une paix, fuivie de la délivrance du jeune Prince ; mais non pas d'une parfaite reconciliation.
En 570. C O M M E N ç A L E R O Y A U M E D E S L O M B A R D S E N I T A L I E , leur Roy Alboin s'eftant fait couronner à Milan cette année-là, aprés avoir conquis tout le païs depuis les Alpes jufqu'à la Tofcane, à la réferve de l'Exarchat de Ravenne, qui demeura encore à l'Empire. Le nom des Lombards venoit ou de ce qu'ils portoient longue barbe ; ou de ce qu'ils s'armoient de longs bards ; c'eftoit une efpéce d'arme d'haft ; leur premiere habitation fut fur les bords ulterieurs de l'Elbe, d'où eftant fortis & ayant changé fouvent de demeure quatre cens ans durant, ils s'eftoient enfin pofez dans la Pannonie du temps de l'Empereur Juftinian. De là leur Roy Alboin Prince fort belliqueux, en avoit amené quelques troupes en Italie au fervice des Romains, du temps de l' Eunuque Narfes. Or ils avoient tellement pris gouft à l'habitation d'un païs fi riche & fi delicieux, que ce grand Capitaine eftant mort, ils y pafferent tout l'an 568. avec leurs femmes & leurs enfans, fous la conduite du mefme Roy. Il y amena auffi trente mille Saxons qui le voulurent fuivre, & les reftes des Gepides, dont il avoit efteint le Royaume en Pannonie.
Le voifinage les mit bien-toft aux mains avec les François, & caufa une mortelle inimitié entre eux. Comme ils eftoient fort avares, & enorgueillis de leurs victoires, ils ne fe contentoient pas du butin de l'Italie : mais ils faifoient fouvent des incurfions dans la Rhetie & dans la Provence. Dés cette année quelques bandes fans Chef s'eftoient jettées dans le païs de Valais, mais au lieu d'en remporter du butin, elles y laifferent la vie.
L'année fuivante ils defcendirent plus forts dans le Royaume de Bourgongne, & d'abord desfirent en une fanglante bataille, l'armée que le Roy Gontran avoit envoyée contre eux, & tuerent le General. C'eftoit Amat Patrice ou Gouverneur de la Province d'Arles : mais comme ils voulurent y revenir une troifiefme fois, & qu'ils ravageoient le païs des environs d'Ambrun, le Patrice Mummole fucceffeur d'Amat les envelopa, & aprés leur avoir fermé les chemins par des abatis de grands arbres, donna fi vertement fur ces pillards, embarraffez de leur butin, qu'il les tua prefque tous ou les fit prifonniers. Il n'eft rien de fi defordonné qu'eftoit la licence que tous ces quatre Rois des François fe donnoient dans leurs mariages. Gontran aprés avoir eu pour maiftreffe une fervante qu'il avoit oftée à quelqu'un de fa Cour, efpoufa bien-toft aprés pour prendre une de fes fuivantes : elle s'appelloit Auftrigilde Bobile. Chilperic avoit répudié la Reine Audovere, bien qu'il en euft trois fils, pour aimer Fredegonde, l'une de fes femmes de chambre. Cherebert chaffa Ingoberge, qu'il avoit efpoufée dés le vivant de Clotaire, & fe conjoignit avec Meroflede, fille d'un ouvrier en laine : puis encore avec Marcovefe fa foeur, quoy qu'elle euft le voile facré, & aprés avec Theodegilde fille d'un Paftre.
Le Roy Sigebert au contraire defirant un mariage legitime & bien afforti, efpoufa Brunechilde ou Brunehaud fille d'Atanagilde Roy des Vifigoths. Quelque temps aprés Chilperic fuivit fon exemple, & ayant quité pour un peu de temps les amours de Fredegonde, demanda auffi Galefuinte, foeur de Brunehaud. Le pere la luy accorda : mais non fans beaucoup de repugnance, & fans l'avoir obligé luy & les Seigneurs fes fujets à faire de grands fermens, qu'il n'en auroit jamais d'autre, tandis qu'elle feroit en vie.
Cherebert eftant allé en Saintonge, qui eftoit de fon partage, mourut au chafteau de Blaye fur la Garonne, & fut enterré au mefme lieu dans l'Eglife de Sainct Romain. Il n'avoit gueres moins de 49. ans, & en avoit regne neuf. Il n'eut que trois filles, Berte de la Reine Ingoberge, & Berteflede & Crodielde de quelque maiftreffe. Ces deux derniéres furent voilées, mais fort mauvaifes Religieufes. Berte fut mariée à Etelbert Roy de Cantorbie en Angleterre, & le plus puiffant de tous les Rois Anglois. On la luy donna à condition qu'elle auroit libre exercice de la Religion Chreftienne, & pour cela elle emmena un Evefque avec elle. Ce fut une tres-belle, & encore plus vertueufe Princeffe qui difpofa l'efprit de fon mari à embraffer le Chriftianifme, & qui infinua la civilité & la politeffe parmi les Anglois, qui eftoient fort barbares.
C H I L P E R I C ,
R O Y IX.
GONTRAN
en Neuftrie & Bourgongne, à Châlons. |
SIGEBERT
en Auftrafie, à Mets. |
CHILPERIC
en Neuftrie, à Paris. |
LEs trois freres de Cherebert repartagérent auffi-toft fon Royaume entre eux, & mefme la ville de Paris, & y mirent cette condition, qu'ils confirmérent par ferment fur la Châffe de quelques Martyrs, qu'aucun des trois n'y entreroit fans le confentement des deux autres, & que celuy qui l'entreprendroit perdroit fa part & de cette ville & du Royaume de Cherebert.
Chilperic, nonobftant fes fermens folemnels, fe rejoignit bientoft avec fa Fredegonde ; Et afin d'avoir liberté de l'efpoufer, il fit eftrangler Galefuinte dans fon lict. Ses freres eurent horreur de ce crime, & luy firent la guerre ; Sigebert plus fortement que les autres, y eftant incité par fa femme Brunehaud. A laquelle il falut qu'il accordaft, pour reparation de ce meurtre, les païs de Bourdelois, Limofin, Quercy, Bearn & Bigorre, qu'il avoit donnez à fa foeur pour don nuptial, & dont il s'eftoit refaifi.
PAPES.
|
![]() |
Tiré fur
fa fepulture qui eft à S. Germain des Prez. Ce Roy bien que vaillant, ne pût vaincre l'effort Que fit fur fon efprit une mefchante femme : Elle noircit fa vie, elle caufa fa mort, Et fes lafcivetez le rendirent infame. |
Les Avarois rompirent le traité, & firent une feconde irruption dans la Turinge. Sigebert s'eftant prefenté pour les combattre, fur le poinct de la meflée, au lieu d'armes ils fe fervirent d'enchantemens diaboliques, & firent paroiftre des fpectres affreux aux yeux des François ; peut-eftre qu'ils avoient des mafques hideux, ou qu'ils fe noircirent le vifage. Quoy qu'il en foit, ils les efpouvanterent tellement, qu'ils les mirent en defroute & les acculerent dans un deftroit, où ils les inveftirent de tous coftez. Sigebert ne put fe tirer de cette extremité qu'à force d'argent, & en leur fourniffant encore des vivres, dont ils avoient grand befoin.
Au partir de là il fit la guerre à Gontran, pour luy ofter la ville d'Arles & la joindre à celles d'Aix, d'Avignon & de Marfeille, qu'il tenoit en Provence. Firmin Comte d'Auvergne & Audover, s'en eftant approchez avec des troupes, les Bourgeois fe rendirent facilement à eux, & puis les chafferent encore plus facilement. Car lors que Celfe Patrice d'Arles parut là de la part de Gontran, ils leur perfuaderent de fortir pour le combattre, les affurant que vaincus ou vainqueurs, ils les recevroient dans leur ville : mais quand Celfe les eux pouffez, & qu'ils voulurent rentrer, ils leur fermerent les portes au nez. Ainfi leurs troupes furent toutes taillées en pieces ou noyées dans le Rhofne, & eux faits prifonniers. Sigebert ayant manqué fon entreprife, s'accorda plus aifément avec Gontran.
L'an 574. Alboin Roy des Lombards fut empoifonné par Rofemonde fa feconde femme, cruellement outrée de ce qu'il l'avoit contrainte en un feftin de boire dans le crane de Cunimond Roy des Gepides fon pere. Clephus luy avoit fuccedé ; Et peu aprés celui-cy ayant efté affaffiné par un de fes gens mefme, les Lombards ne voulurent plus de Rois, & commirent le gouvernement à trente Ducs, dont chacun poffedoit une ville. Trois des plus puiffans entreprirent de conquerir par droit de bienfeance la partie de la Gaule, qui eft entre les Alpes & le Rhofne, & entrerent avec trois corps d'armée. Mais le Patrice Mummole les battit en plufieurs rencontres, & les chaffa tous trois.
Dans la divifion du Royaume de Cherebert, la Touraine & le Poitou eftoient efcheus à Sigebert, Chilperic brufloit d'envie de s'en accomoder à quelque prix que ce fuft. Cet injufte defir caufa une cruelle guerre, la defolation de plufieurs Provinces, & enfin la mort de Sigebert ; le Roy Gontran leur aifné faifoit tout fon poffible pour les retenir, & quand il ne le pouvoit pas, il fe laiffoit quelque-fois aller au plus fort.
Aprés deux ou trois accommodemens, Chilperic qui ne démordoit point de fon deffein attira Gontran à fon parti, reprit les armes & fe jetta dans la Champagne, tandis que d'un autre cofté fon fils Theodebert entroit dans le Poitou. Sigebert l'ayant fçû prit une forte refolution de le pourfuivre jufqu'à la mort. Ayant donc affemblé tous ces peuples feroces d'au delà du Rhin, il penetra fans refiftance jufques fur les bords de la Seine. Au mefme temps il envoya Gontra-Bofon & Gondefigile en Poitou pour en chaffer Theodebert. Ce jeune Prince eftant abandonné des fiens, ne laiffa pas de combattre : mais il fut pris, tué & defpouillé par l'ordre de Gontran-Bofon ; qui depuis craignant la colere de Chilperic, fe refugia dans Sainct Martin de Tours.
Avec la trifte nouvelle de la mort de fon fils, Chilperic reçût auffi celle de l'accommodement de Gontran avec Sigebert. A l'heure accablé de douleur & d'eftonnement, il fortit de Rouën où il s'étoit retiré, & s'alla enfermer avec fa femme & fes enfans dans Tournay. Tout fe donnoit à Sigebert, Paris luy ouvrit les portes, & fa femme Brunehaud animée par la vengeance, y vint auffi-toft avec fes enfans, pour y eftablir fon throfne, & pouffer le reffentiment de fon mari contre Chilperic. Pour cét effet il détacha une partie de fon armée qu'il l'affigea dans Tournay ; Et luy avec l'autre corps fe campa à Vitry, où il receut les fermens des Seigneurs Neuftriens, qui ayant abjuré fon frere, le reconnurent pour leur Roy, & l'efleverent fur le Pavois.
Il ne reftoit à Chilperic que le courage déterminé de Fredegonde, ce fut affez pour le fauver. Elle fçût fi bien enchanter par fes careffes deux Bourgeois de Térouënne, hommes robuftes & brutaux, qu'ayant approché Sigebert, fous pretexte de l'entretenir de quelque grande affaire, ils le poignarderent dans fa tente ; où ils furent auffitoft tuez par fes foldats, comme elle le fouhaitoit.
Sigebert eftoit à peu prés dans la 44e de fon âge, & dans la fin de la 14e de fon regne. Il avoit un fils âgé feulement de quatre ans & huit mois, nommé Childebert, & deux filles Ingonde & Clodofuinde : la premiere fut mariée à Hermenigilde fils de Leuvigilde Roy des Vifigoths ; la feconde fiancée feulement à Recarede, frere aifné d'Hermenigilde. Son corps fut inhumé à S. Mard de Soiffons auprés de fon pere, par l'ordre duquel il avoit achevé cette Eglife.
GONTRAN
Roy de Bour- gongne, à Châlon. |
CHILPERIC
Roy de Soiffons & de Paris, en Neuftrie. |
______________
\/ |
CHILDEBERT II. dit le Jeune, âgé de 5. ans, en Auftrafie.. |
LA mort de Sigebert fut fuivie d'une fubite & generale revolution, les Auftrafiens leverent le fiege de Tournay, & ayant rejoint ceux qui eftoient à Vitry, fe retirerent en confufion : les Neuftriens fe remirent fous l'obeïffance de Chilperic : & Brunehaud fe vit inveftie & gardée dans Paris où elle eftoit avec fes enfans, fans pouvoir s'evader. Mais l'addreffe du Duc Gombaud le plus grand Seigneur d'Auftrafie, trouva moyen de fauver le pupille Childebert, l'ayant devallé pardeffus les murailles dans une corbeille, & donné à un homme fidelle, qui feul le porta dans la ville de Mets.
Desja une partie des Auftrafiens avoient fait leur compofition avec Chilperic : mais les autres en plus grand nombre s'eftant affemblez felon la couftume, efleverent le jeune Prince fur le Siege Royal le jour de Noël, & le mirent fous la protection de Gontran, fi bien que Chilperic perdit l'efperance d'envahir fon Royaume : mais il s'empara de celuy de Paris, & relegua Brunehaud à Roüen, & fes deux filles à Meaux.
Il avoit envoyé Morovée fon fils aifné de la Reine Audovere, pour fe faifir du Poitou, qui eftoit du Royaume de Childebert : Merovée, au lieu d'executer ce deffein s'en alla à Tours, & delà à Rouën, où il fe laiffa fi fort furprendre aux charmes de Brunehaud, âgée pour lors de 28. ans, qu'il l'efpoufa, Pretextat Evefque de Rouën, parrein du jeune Prince faifant le mariage. Le pere y accourut, & ayant par paroles trompeufes tiré les nouveaux efpoux d'une Eglife, où ils s'eftoient fauvez, il donna des gardes à Brunehaud & emmena fon fils avec luy.
Cependant les Seigneurs Auftrafiens, qui étoient venus fe donner à luy, retournerent auprés de Childebert : Godin entre autres qui pour remporter avec luy quelque gage qui le fift bien recevoir, arma les Champenois & fe rendit maîftre de Soiffons, où peu s'en falut qu'il ne furprift Fredegonde. Chilperic y fut en diligence, le vainquit & reprit la ville : mais Fredegonde croyant que Godin n'avoit point fait une fi hardie entreprife fans la participation de Merovée & de Brunehaud, obligea fon mary de faire arrefter ce jeune Prince, & peu aprés de le forcer à fe faire Preftre, & à l'envoyer dans le monaftere d'Auniffe, qui s'appelle aujourd'huy Sainct Calais, du nom de fon premier Abbé.
Les Auftrafiens luy redemanderent leur Reine Brunehaud avec tant d'inftance, qu'il la leur renvoya : Et neantmoins il ne laiffa pas d'envahir les terres de Childebert. Son fils Clovis prit la ville de Saintes : mais le Duc Didier allant pour affiéger celle de Limoges, eut en tefte le Patrice Mummole, que Gontran y envoyoit pour deffendre le bien de fon pupille. Le combat fut fi opiniaftre, qu'il y demeura trente mille hommes de part & d'autre, les trois parts du cofté de Didier, qui s'en fauva avec peine.
Vers le mefme temps Mérovée s'efchappa du Monaftere, & fe refugia dans l'Eglife de Sainct Martin de Tours, pouffé à cela par Gailen fon plus intime confident, qui l'eftoit venu trouver, & attiré par Gontran-Bofon, qui s'eftoit fauvé dans cét afyle, comme nous avons dit. La maraftre Fredegonde favorifoit ce Bofon, pour le mefme fujet que le Roy Chilperic le vouloit faire mourir, & entretenoit un fecret commerce avec luy, afin qu'il fift perir Merovée, comme il avoit fait perir fon frere Theodebert.
Le jeune Prince ayant appris que Fredegonde cherchoit toutes fortes de moyens pour luy ofter la vie, ne fe trouva pas là en feureté. Il en fortit accompagné de ce Bofon, dont il ignoroit les trahifons, & voulut aller trouver Brunehaud, mais les Auftrafiens refuferent de le recevoir. Il demeura donc quelque temps caché & vagabond dans la Champagne ; Aprés quoy ce Bofon & Gilles Evêque de Rheims, fous pretexte de luy livrer la ville de Terouënne, le firent tomber dans des embufches, l'ayant enveloppé & pris dans un village, dont ils donnerent promptement avis à Chilperic. Il y alla en toute diligence : mais il trouva que fon malheureux fils eftoit mort. Il avoit efté poignardé par l'ordre de Fredegonde, qui luy fit croire qu'eftant troublé de l'apprehenfion des tourmens, il avoit emprunté la main de Gailen fon favory pour fe tuer.
Peu auparavant l'Evefque pretextat fon parrein avoit efté accufé devant les Evefques affemblez en Concile à Paris, & ne fe trouvant point de preuves affez fortes des cas qu'on luy impofoit, s'eftoit laiffé induire par deux faux freres, fous affurance que le Roy luy pardonneroit, d'en confeffer plus qu'on ne vouloit ; A caufe dequoy il fut relegué dans une Ifle proche Conftances : neantmoins avec efpoir de retour, parce qu'il pretendoit n'avoir pas efté dégradé, quoy qu'on euft mis Melantius en fon Siege.
La mort ayant ravi les deux fils que Gontran avoit d'Auftrigilde fa feconde femme, quoy qu'il ne fuft pas hors d'âge d'avoir des enfans, n'ayant au plus que 50. ans, il pria les Auftrafiens de luy amener fon neveu Childebert, & l'adopta l'ayant mis fur fon Siege Royal. Ces deux Princes eftant ainfi alliez, envoyerent demander leur part du Royaume de Paris à Chilperic, & luy declarerent la guerre : Chilperic ne fit que s'en mocquer, fe divertiffant à baftir des Cirques à Paris & à Soiffons, où il euft donné au peuple des courfes de chariots, s'il euft trouvé des Chartons qui euffent eu affez d'adreffe.
Les Bretons vers l'an 441. s'eftoient emparez de Vannes ; Depuis, Clovis leur avoit ofté cette ville & conquis auffi celles de Nantes & de Rennes, qui alors eftoient encore gouvernées par des Capitaines Romains. Cette année 578. Waroc ou Guerec Comte Breton ofa bien de refaifir de Vannes, qui eftoit du Royaume de Chilperic, & venir au devant des François, qui s'eftoient campez fur le bord de la Vilaine. Ils avoient quelques bandes de Saxons ou Sefnes-Beffins dans leur armée ; une nuict il paffa la riviere & enleva leur quartier. Mais trois jours aprés fe trouvant trop foible contre une fi grande puiffance, il demanda la paix, jura fidelité au Roy, & rendit la ville de Vannes ; à condition qu'il en demeuroit Gouverneur. Peu aprés il s'en refaifit, & tant qu'il vefcut il donna bien de la peine aux François.
Chilperic & fa mefchante femme Fredegonde accabloient les peuples d'impofts : ils avoient mis une Amphore de vin fur chaque demy arpent de vigne, plufieurs autres charges fur les autres natures de biens, & des tributs fur les teftes de tous les ferfs & même de tous les hommes libres ; En forte que leurs fujets s'enfuyoient de leur Royaume, comme d'un lieu de torture, & s'en alloient peuple ceux de Gontran & de Childebert ; Plus fages en cela que ceux de Limofin : qui s'eftant revoltez contre un Referendaire qui alloit eftablir des droits en ce païs-là, & ayant bruflé fes Regiftres, demeurerent expofez à la rigueur & à l'avarice fanguinaire d'un Intendant, que Chilperic y envoya chaftier leur fedition.
Cette année-là Samfon, le fils aifné de Fredegonde mourut. La fuivante Chilperic fut tourmenté d'une longue fiévre. Comme il en relevoit, deux autres fils qu'il avoit de cette femme, furent atteints d'une dyfenterie, qui affligeoit toute la France, & attaquoit particulierement les enfans. Fredegonde crût que la maladie des fiens venoit du Ciel ; qui vengeoit ainfi les fouffrances des peuples opprimez : elle en fut frappée au coeur, & fit tant par fes remontrances & par fon exemple envers fon mari, qu'il jetta au feu tous les rolles de ces maltoftes, & rapella ceux qui avoient ordre de les lever.
Mais cette penitence forcée ne fauva pas la vie à fes deux fils ; Comme d'autre part les chaftimens de Dieu ne firent que la rendre plus méchante. Elle eftoit outrée de douleur d'avoir perdu tous fes enfans, & de jaloufie qu'il en reftaft encore un à fon mari, de la Reine Audovere ; il fe nommoit Clovis. Ce jeune Prince fe voyant fucceffeur neceffaire, lafcha imprudemment quelques paroles de reffentiment & de menaces. Elle connut par là ce qu'elle en devoit attendre s'il regnoit, & refolut de le prevenir ; Elle l'accufa donc auprés du pere d'avoir empoifonné fes deux fils, le preoccupa tellement de cette calomnie, qu'il abandonna fon fils unique à fa vengeance. La mefchante le fit efgorger & jetter dans la riviere, & enfuite mefme eftrangler la malheureufe Audovere, quoy qu'elle euft le voile facré, & enfermer fa fille Bafine dans le Monaftere de Poitiers, aprés que fes Satellites l'eurent deshonorée. Un pefcheur ayant reconnu le corps du jeune Prince à fa longue chevelure, le mit fous un tombeau de gazon, d'où le Roy Gontran le transfera depuis dans l'Eglife de Sainct Vincent de Paris.
Deux ans auparavant Chilperic avoit envoyé des Ambaffadeurs à l'Empereur Tibere, pour le feliciter, comme je croy, de fa promotion à l'Empire, & nouër quelque Ligue avec luy contre les Lombards. Cette année ils luy rapporterent toute fatisfaction & de tres-riches prefens, entre autres des medaillons d'or du poids d'une livre.
Le Royaume d'Auftrafie & la perfonne de Childebert eftant fous le gouvernement de la Reine Brunehaud, les Seigneurs du païs mefprifoient les commandemens d'une femme, & vivoient avec une extrême licence. Ceux qui luy faifoient le plus de peine, eftoient Ranchin & Gontran-Bofon, Urfion, Bertefroy, & Gilles Evefque de Reims, qui fe liguoient entre eux & opprimoient qui il leur plaifoit. Loup Duc de Champagne, fidelle ferviteur de fon Prince, & Seigneur auffi fage que jufte, leur eftoit infupportable pour fes bonnes qualitez ; ils prirent les armes pour l'accabler, & il affembla fes amis pour fe deffendre. La Reine eut toutes les peines du monde d'empefcher qu'ils n'en vinffent aux mains, jufqu'à fouffrir d'outrageufes paroles d'Urfion : mais elle ne fçût fi bien le mettre à couvert de leur furie, qu'il ne fuft obligé de quiter le Royaume & de fe retirer auprès de Gontran.
Le plus dangereux de ces factieux eftoit l'Evêque de Rheims ; Comme il s'eftoit fecretement attaché à Chilperic, dont il luy avoit donné des preuves, luy ayant autrefois livré traitreufement la ville de Rheims, & attiré Merovée dans le piége : il fit fi puiffamment agir fa faction, que les Seigneurs Auftrafiens, au prejudice de l'alliance que leur Roy avoit avec fon oncle Gontran, l'obligerent à fe liguer avec Chilperic contre luy. Le leurre eftoit que Chilperic n'ayant pour lors point de fils, luy promettoit fa fucceffion.
Cette Ligue faite, Childebert envoya redemander la moitié de Marfeille à fon oncle, qui bien loin de la vouloir reftituer, fe rendit encore maiftre de l'autre par la trahifon de Dynamius Gouverneur de la Provence pour Childebert. Aprés ce coup Dynamius fe donna à Gontran, comme en revanche le Patrice Mummole, pouffé par quelques intrigues de Cour (tousjours funeftes aux grands Capitaines) quita Gontran pour paffer du cofté de Childebert, & fe fortifia dans la ville d'Avignon ; que ce Roy fans doute luy mit entre les mains pour fa feureté, & pour courir de-là fur les terres de fes ennemis.
L'affaire de Marfeille caufa une rupture entiére entre les Rois : Chilperic qui la defiroit attaqua auffi-toft les terres de Gontran ; & le Duc Didier, par fon ordre, envahit le Perigord & l'Agenois, fans beaucoup de refiftance.
Un autre de fes Ducs nommé Bladafte, ne fut pas fi heureux contre les Gafcons. Car ayant entrepris de les aller chercher jufques dans leur païs pour les chaftier des irruptions qu'ils faifoient à toute heure dans la troifiefme Aquitaine, il y fut enveloppé & fes troupes taillées en pieces. Les Gafcons habitoient pour lors fur les confins de la Cantabrie entre les terres des Vifigoths & des François ; & par leurs courfes fe rendoient formidables aux uns & aux autres, enlevant tout ce qu'ils rencontroient, & aprés fe relançant dans leurs Montagnes.
Il n'y avoit que Chilperic qui fift guerre ouverte au Roy Gontran ; mais le Patrice Mummole avec le fupport fecret des Seigneurs d'Auftrafie, luy ourdiffoit une dangereufe trame. Il y avoit un certain Gondebaud, qui fe difoit fils du Roy Clotaire, & il le pouvoit bien eftre veu la grande multitude de femmes que ce Roy avoit euës. Ce Gondebaud n'ayant pû fe faire reconnoiftre par les Rois fes freres pretendus, s'eftoit retiré à Conftantinople aupres de l'Empereur Tibere. Il arriva que Gontran-Bofon fit un voyage en ce païs-là ; on ne dit point à quel deffein, & qu'il luy perfuada fi bien que les François le fouhaitoient, & que Gontran & Chilperic n'ayant point d'enfans, il recueilleroit facilement cette grande fucceffion, qu'il fe refolut à revenir en France. Tibere dans la veuë de ce qu'il pouvoit eftre un jour, l'affifta de grandes fommes d'argent : il aborda au Port de Marfeille, y fut reçu par l'Evefque, & enfuite regalé à Avignon par Mummole. Mais le mefme Gontran-Bofon qui l'avoit fait revenir, s'eftant mis à perfecuter l'Evefque & ceux qui le favorifoient, il fe retira fagement dans une Ifle à l'embouchûre du Rhofne ; Et alors le traiftre fe faifit de tout fon argent, & prit commiffion du Roy Gontran pour affieger Mummole dans Avignon. Childebert l'ayant fçû y envoya un de fes Ducs qui rompit cette entreprife.
Les Provinces fouffroient horriblement de la cruelle difcorde des Rois, les troupes qui marchoient de tous coftez, ravageoient, brûloient, & tuoient tout. Il n'y avoit plus de difcipline : mais une fi furieufe licence, que les gens de guerre fe ruoient auffitoft fur leurs Chefs quand ils les vouloient retenir, que fur le fimple peuple.
Avec ces cruelles defolations, le Ciel ajoufta une cruelle maladie epidemique, qui courut par toute la France : mais plus furieufement à Paris & aux environs. On la nommoit la pefte en l'aifne, parce qu'elle paroiffoit en ces parties-là. Elle brufloit ceux qui en eftoient atteints, avec d'eftranges douleurs, & faifoit efcarre en peu de temps comme un cautére. La plufpart en mouroient avec des cris & des hurlemens effroyables ; Et on n'y trouvoit point de remede que dans les Eglifes, & fpecialement à celle de Noftre-Dame.
Chilperic avoit affiegé Melun, & commandé à trois de fes Ducs d'attaquer Bourges. Les Berruyers fortirent à l'encontre d'eux & leur donnerent bataille, qui fut fort fanglante pour les uns & les autres. Gontran qui marcha en perfonne pour combattre Chilperic, ayant trouvé un gros de fes troupes qui s'eftoit efcarté pour piller, le tailla en pieces. Chilperic fort refroidi par cét efchec fit jetter des propofitions d'accommodement ; Et Gontran, qui avoit l'efprit doux & paifible, les receut avec joye.
Chilperic fe promettoit qu'aprés cela il fe joindroit à luy pour opprimer Childebert, dans le Royaume duquel il avoit de grandes intelligences par le moyen de l'Evefque de Reims : mais malgré toutes les intrigues de ce factieux, Gontran & Childebert fe reconcilierent ; L'oncle rendit au neveu cette moitié de la ville de Marfeille qui faifoit leur querelle ; Et ils fe liguerent enfemble pour recouvrer à frais communs les villes du Royaume de Cherebert, que Chilperic avoit envahies.
Sur le poinct que Childebert fe preparoit pour attaquer Chilperic, l'Empereur Maurice, moyennant 50000. efcus d'or comptant, l'obligea de porter fes armes en Italie contre les Lombards, qui tenoient la ville de Rome inveftie. Le jeune Prince âgé feulement de 14. ans y alla en perfonne. Leur Roy Autaris n'oppofa point la force à la force, mais retirant fes troupes dans les places, laiffa efcouler le torrent ; Et afin de le deftourner pour tousjours, il foufmit fon Royaume aux François, & fe rendit leur tributaire.
Il eft bon de fçavoir que l'an 584. les Lombards voyant que l'Empereur Maurice vouloit faire de grands efforts pour les exterminer d'Italie, jugerent meilleur pour leur confervation, de remettre leur Eftat en Royauté ayant eflû Autaris fils de Clephus. Que neantmoins leur trente Ducs garderent en propre & à titre hereditaire, les villes qu'ils tenoient : mais que pour cela ils demeurerent obligez envers luy à certains devoirs, particulierement de luy obeïr & de le fuivre en guerre. C'eft là peut-eftre la vraye origine des Fiefs, que les curieux chercherent avec tant de foin. Au moins dit-on qu'ils ont efté eftablis par la Couftume des Lombards.
Aprés plufieurs guerres, Chilperic penfant jouïr de quelque repos fut affaffiné dans la cour de fon Palais de Chelles en Brie. Ce qui arriva vers la fin de Septembre. Un foir à la brune, comme il defcendoit de cheval, au retour de la chaffe, eftant peu accompagné, un meurtrier le frappa de deux coups de couteau, l'un fous l'aiffelle & l'autre dans le ventre. Un Autheur attribuë ce malheureux coup à Brunehaud, mais les autres en accufent fa femme Fredegonde, qui fut obligée, difent-ils, de le prevenir, parce qu'il avoit defcouvert fon adultére avec un Seigneur nommé Landry.
L'Histoire nous dépeint ce Roy orgueilleux, inhumain, malin, diffimulé, & grand fabricateur d'impofts : mais rufé, patient, magnifique, & inftruit dans les belles lettres. On a trouvé de nos jours (c'eftoit l'an 1643.) deux Tombeaux cofte à cofte l'un de l'autre, enfouïs à l'entrée de l'Eglife de Sainct Germain des Prez ; le nom de Chilperic, qui eftoit efcrit fur l'un des deux, a fait conjecturer que c'eftoit le fien & celuy de fa femme. Quoy qu'il en foit, cét autre Tombeau dans la mefme Eglife, fur lequel on voit fa ftatuë, eft un cenotaphe, qui a efté pofé là de ces derniers Siécles.
De tant de fils qu'il avoit eus de divers lits, il n'en reftoit qu'un, qui n'eftoit âgé que de quatre mois, & n'avoit point encore de nom. Il le faifoit nourrir au Bourg de Vitry pres de Tournay, de peur qu'on ne le luy oftaft par poifon ou par malefices, comme il croyoit qu'on luy avoit ofté les autres.
Il avoit auffi de Fredegonde une fille (elle s'appelloit Rigunte) qui eftoit alors en chemin pour aller en Efpagne trouver le Roy Ricarede fils aifné de Leuvigilde, à qui on l'avoit fiancée. Comme elle eftoit à Touloufe la nouvelle vint de la mort de fon pere ; Didier Duc de ce païs-là, pilla tout fon equipage, de forte qu'elle ne paffa pas plus outre, & revint auprés de fa mere ; à qui elle donna bien de la peine, parce qu'elle luy reffembloit.