M E R O V E’ E ou M E R O V E C ,

MEROUEE, OU MEROUEC Roy III. Duquel
les Rois de la premiere Race ont pris le nom
de M E R O V I N G I E N S. 19

C H I L D E R I C R O Y I V.                                                                                                                       23
C L O V I S R O Y V.                                                                                                                                   27
C H I L D E B E R T I. R O Y VI.                                                                                                               43
C L O T A I R E I. R O Y V I I.                                                                                                                 63
C H E R E B E R T I. R O Y V I I I.                                                                                     65
C H I L P E R I C R O Y I X.                                                                                                 70
C L O T A I R E II. R O Y X.                                                                                                                      86
D A G O B E R T I. R O Y XI.                                                                                                                  130
C L O V I S II. R O Y XII.                                                                                                                       140
C L O T H A I R E III. R O Y XIII.                                                                                                          148
C H I L D E R I C II. R O Y XIV.                                                                                                             152
T H I E R R Y I. R O Y XV.                                                                                                                      158
C L O V I S III. R O Y XVI.                                                                                                                    167
C H I L D E B E R T II. ou le Jeune, R O Y XVII.                                                                                  169
D A G O B. II. ou le Jeune, R O Y XVIII.                                                                                              180
C H I L P E R I C II. R O Y XIX.                                                                                                               185
T H I E R R Y II. dit de Chelles, R O Y XX.                                                                                            190
        I N T E R R E G N E
C H I L D E R I C III. dit l'Infenfé, R O Y XXI.                                                                                       202

        Seconde Race des Rois qui ont regné en
          France, & qu'on nomme CARLIENS,
                     ou C A R O L I N G I E N S.

P E P I N dit le Bref, R O Y XXII.                                                                                                             209
C H A R L E S I. dit le Grand, ou Charlemagne, R O Y XXIII.                                                          222
L O U I S I. dit le Debonnaire, R O Y XXIV.                                                                                        282
C H A R L E S II. dit le Chauve, R O Y XXV.                                                                                        310
L O U I S II. dit le Begue, R O Y XXVI.                                                                                                352
L O U I S III. & C A R L O M A N, R O Y XXVII.                                                                                356
C H A R. III. dit le Gras, R O Y XXVIII.                                                                                              365
E U D E S, R O Y XXIX.                                                                                                                              372
C H A R L E S dit le Simple, R O Y XXX.                                                                                                  377
R A O U L, R O Y XXXI.                                                                                                                             394

Es Romains donnerent le nom de G A U L E à cette eftenduë de terres, qui eft entre les Alpes & les Pyrennées, la Mer Mediterranée, l'Ocean, & le Rhin : Maintenant, à la referve des Païs-bas, & de quelques autres qui relevent pour la plûpart, de l'Empire d'Allemagne, elle fe nomme F R A N C E du nom des François, qui l'ont foûmife à leur puiffance. Jules Cefar avoit achevé de la conquerir environ 48. ans avant la naiffance de J E S U S-C H R I S T. De forte que quand les François s'y eftablirent tout-à-fait, elle avoit efté prés de cinq fiecles fous les loix de cét Empire.

Or fans compter le païs que les Gaulois avoient conquis delà les Alpes, depuis ces Monts jufqu'à la petite Riviere de Rubicon, & qui fut nommé Gaule Cifalpine à l'égard des Romains : Elle fut divifée premierement par Augufte en quatre parties, Gaule Narbonnoife, qu'ils nommerent Province, parce qu'ils avoient fubjugué la premiere & reduit en Province ; Gaule Aquitanique, Gaule Celtique, & Gaule Belgique. Ils donnoient à ces trois dernieres le nom de Gaule cheveluë ; Et quand on difoit abfolument la Gaule, on entendoit la Celtique. Puis par fucceffion de temps, & gous divers Empereurs, elle fut repartie en dix-fept Provinces, fçavoir cinq Viennoifes, du nombre defquelles eftoient la Narbonnoife premiere & la feconde ; Trois Aquitaines ; Cinq Lyonnoifes, fi l'on y comprenoit la Sequanoife ; Quatre Belgiques, dont il y en avoit deux appellées Germanies, parce que des peuples Germains s'y eftoient venus habituer de longtemps ; Et deux Belgiques proprement dites.

Chacune de ces Provinces avoit fa Metropole : fçavoir les cinq Viennoifes, Vienne, Narbonne, Aix, Tarentaife, & Embrun ; Les trois Aquitaines, Bourges, Bordeaux, & Eaulfe ; Les cinq Lyonnoifes, Lyon, Rouën, Tours, Sens, & Befançon ; Les deux Germanies, Mayence, & Cologne ; Les deux Belgiques, Treves & Rheims.

Sous ces dix-fept Metropoles il y avoit plus de cent Citez ou Villes chefs de peuples, dans lefquelles l'Eglife mit depuis des Sieges Epifcopaux. Sous ces Citez il y avoit un beaucoup plus grand nombre d'autres villes qu'ils nommoient oppida. On en comptoit douze cens fermées de murailles, quand les Romains conquirent la Gaule ; mais ils abatirent la clofture de la plufpart, ou la laifferent tomber en ruine.

Des Gouvernemens de ces dix-fept Provinces, il y en avoit fix Confulaires, & onze fous des Prefidens envoyez par l'Empereur. Conftantin le Grand y mit des Comtes dans les Citez, & des Ducs dans quelques villes des frontieres. La Juftice s'y rendoit felon le Droit Romain, mais comme je le croy, quelques Couftumes Municipales confervées. Elles eftoient peu vexées de gens de guerre ; parce que les Legions, jufques bien avant dans le quatriefme Siecle, vivoient avec affez d'ordre, & que d'ailleurs il n'y en avoit prefque que dans les Provinces limitrophes. Mais comme le païs eftoit bon & riche, & les peuples extremement foufmis, on les accabloit de toutes fortes d'exactions, tellement que leur abondance faifoit leur mifere, & leur obeïssance aggravoit leur oppreffion.

L'an 330. quand Conftantin le Grand divifa la charge de Prefet du Pretoire en quatre, la Gaule en eut un, qui avoit fous foy trois Vicaires, un dans la Gaule mefme, un dans l'Efpagne, un dans la Grand' Bretagne. Le premier qui eut cette charge fut le pere de S. Ambroife portant mefme nom que fon fils. Ce Prefet refidoit ordinairement dans la ville de Treves ; qui par cette raifon fut la capitale des Gaules, jufqu'à ce qu'ayant efté quatre fois faccagée par les Barbares, l'Empereur Honorius voulut transferer cette prerogative, à la ville d'Arles ; qui en fuite fut diftraite de Vienne, & fit la dixhuitiefme Metropole.

Depuis Augufte jufqu'à Galien, la paix de ces Provinces ne fut troublée que par deux revoltes, celle de Sacrovir & de Florus en l'an 23. de J E S U S-C H R I S T, & celle de Civilis, Tutor & Clafficus beaucoup plus dangereufe en l'an 70. Après la mort de l'Empereur Decius les Barbares commencerent à les tourmenter par de frequentes incurfions. Les cent premieres années il n'y eut que les François & les Allemands qui en firent en deçà du Rhin : mais après, le mal redoubla par les devaftations horribles des Vandales, Alains, Bourguignons, Sueves, Vifigoths & Huns, qui ne finirent que par la ruine de l'Empire et de l'Occident.

Quant à l'origine des François, la commune opinion eft qu'ils font Germains naturels, & que Franc eft un nom de Ligue, qui en leur langue fignifioit libre ou comme d'autres disent feroce, indomptable. Certes les Autheurs des 3^e & 4^e Siecles par le nom de Germain entendent prefque toûjours les François. Pour le temps auquel ils commencerent de paroiftre, ce fut juftement deux ans après la grande défaite de l'Empereur Decius dans la Mefie, qui arriva l'an 254. par les Goths & autres peuples de la Scythie. Les Goths n'avoient commencé de fe faire connoiftre que douze ans auparavant qu'ils fortirent de leur païs (c'eftoit la Scythie Européene entre le Pont Euxin & le Tanaïs) pour ravager les provinces de l'Empire. Ils eftoient divifez en Oftrogoths & en Vifigoths ; c'eft à dire felon quelques-uns, Goths Orientaux, & Goths Occidentaux.

Apres cette défaite toutes les digues de l'Empire Romain eftant rompuës de cofté-là, il fe deborda des torrens de toutes fortes de Barbares, defquels jufques-là on n'avoit point ouï parler. C'eft pour cette raifon entre autres, & parce que les François avoient auffi beaucoup des mœurs & des couftumes des Scythes (comme d'ufer de flefches, d'exercer la Fauconnerie, d'avoir plufieurs Ducs ou Cans) qu'on peut conjecturer qu'ils font originaires de Scythie. Mais il n'eft pas poffible ; & il feroit inutile de dire de quel endroit, parce que tous les Scythes eftoient vagabonds, & qu'en peu de temps ils fe trouvoient à deux cens, à trois cens lieues loin des païs, qu'ils avoient habitez peu auparavant.

La premiere fois donc, qu'il en foit fait mention ; c'eft l'an 256. fous l'Empire de Gallus & de Volufian, qu'ils pafferent le Rhin prés de Mayence, & qu'Aurelian, qui n'eftoit encore que tribun d'une Legion, en tua 700. dans une rencontre, & en fit 300. prifonniers, qui furent vendus à l'encan.

Depuis cette premiere irruption, il fe paffa prés de 180. ans jufqu'au temps qu'ils conquirent, ou qu'ils impetrerent des Romains quelques terres dans la Gaule, fçavoir dans les païs de Cologne, de Tongres*, & contrées voifines. Ce qui arriva vers l'an 416. Il s'en eftoit logé quelque bande dans la Toxandrie dés le temps de Julien l'Apoftat vers l'an 358. mais on ne fçait pas fi on leur permit d'y prendre racine.

Pendant ces deux Siecles, ils continuerent leurs incurfions avec divers fuccés, fe retirant toûjours avec leur butin dans la Germanie. Ils y occupoient la plufpart des terres qui font entre le Mein & le Rhin, le Vefer & l'Ocean, tantoft plus tantoft moins eftendus felon qu'ils eftoient forts ou foibles, & qu'ils eftoient preffez par les autres Nations, fpecialement par les Allemands du cofté du Mein, & par les Saxons du cofté de la Mer.

Ces derniers venant du païs qu'on nomme aujourd'huy Holftein, s'emparerent de la Frife & païs maritimes en deçà de l'Elbe : puis à mefure que les François s'habituerent dans la Gaule, ils occuperent la plufpart de ceux qu'ils avoient tenus delà le Rhin.

La Nation Françoife eftoit divifée en plufieurs peuples, Frifons grands & petits, Saliens, Bructeres, Angrivariens, Chamaves, Sicambres, Cattes ; & elle en avoit comme je croy plufieurs autres dans fon alliance, & plufieurs auffi fous fa domination.

Souvent les Romains les allerent attaquer dans leurs bois & dans leurs marefcages, & penferent deux ou trois fois les exterminer, particulierement Conftantin le Grand : mais ils repullulerent toûjours.

Ils avoient plufieurs Chefs ou Commandans, Rois, Princes, Ducs ou Generaux, qui n'avoient l'autorité abfoluë que dans la guerre.

Quelquefois ils fe rendoient ftipendiaires des Romains, quelquefois leurs fujets : mais auffitoft que le temps changeoit, & qu'ils trouvoient quelque occafion de piller, ils ne fe croyoient plus obligez d'entretenir les traitez. C'eft pour cette raifon que les Autheurs de ce temps-là les accufent de legereté, de menfonge & de perfidie. Mais on reconnoift bien d'ailleurs qu'ils eftoient les plus belliqueux des Barbares, qu'ils avoient de l'humanité, de l'hofpitalité, & beaucoup d'efprit & de fens.

Souvent il y en avoit en mefme temps qui fervoient l'Empire, & d'autres qui luy faifoient la guerre. On en trouve grand nombre pendant tout ce temps-là qui eftoient eflevez aux dignitez de Conful, de Patrice, de Maiftre de la Milice, de Grand Treforier, & autres. De forte qu'ils gouvernoient à la Cour de plufieurs Empereurs, comme des deux Theodofes, d'Honorius, & de Valentinian III.

Le dernier jour de l'an 406. les Alains & les Vandales traifnant avec eux les Bourguignons, les Sueves & plufieurs autres peuples Barbares, pafferent le Rhin, & firent une irruption dans les Gaules, la plus furieufe qu'on euft encore veuë.

Quelques-uns conjecturent que ce fut pour lors que fe fit le maffacre de Saincte Urfule & de fa glorieufe bande, que l'on a voulu nommer les onze mille Vierges, quoy que dans les tombeaux qu'on dit être de ces Martyrs, on ait trouvé auffi des offemens d'hommes & d'enfans. Il y a trois ou quatre differentes opinions fur ce fujet-là, mais pas une fans des difficultez indiffolubles.

Ces Barbares ayant ravagé toute la Germanie premier & la Belgique deuxiefme, fe jetterent dans l'Aquitanie. L'an 409, quelques bandes de Vandales & de Sueves, pafferent de là en Efpagne. Deux ans après les autres eftant espouvantées de la marche d'Ataulfe Roy des Vifigoths qui venoit d'Italie, prirent le mefme chemin & les fuivirent. Il en demeura pourtant quelques-unes d'Alains dans le Daufiné & fur les rivages de la Loire, qui eurent des Rois plus de foixante ans durant ; mais à la fin ils fubirent la domination des Vifigoths & des Bourguignons.

Les Vandales & les Sueves occuperent la Galice, les Silinges la Betique, & les Alains partie de la Lufitanie & de la Province de Carthagene. Seize ans après les Vandales pafferent en Afrique, mais cependant Vallia Roy des Vifigoths, qui commbattoit pour les Romains, extermina entierement les Silinges, & affoiblit fi fort les Alains, que ne pouvant plus fubfifter d'eux-mefmes, ils fe rangerent fous Gunderic Roy des Vandales. Les Sueves fe maintinrent prés de deux Siecles és Espagnes : Et enfin leur Royaume fut auffi efteint par Leuvilgilde Roi des Vifigoths l'an 588.

Tous ces Barbares eftoient divifez en diverfes bandes, qui avoient chacune leur Chef, & rodoient & couroient fans ceffe. Si bien qu'on en voit en mefme temps d'une mefme Nation en des lieux fort efloignez les uns des autres, & dans des interests tout contraires.

L'an 408. Stilicon, que l'on accufoit de les avoir attirez, eft maffacré par l'ordre d'Honorius. Alaric Roy des Vifigoths fon bon amy, pour venger fa mort affiege la ville de Rome par trois fois & la derniere il la prend par trahifon le 20. jour d'Aouft de l'an 410. Sur la fin de la mefme année il meurt dans la Calabre prés de Cofence, comme il s'appreftoit de paffer en Afrique. Ataulfe fon coufin luy fucceda ; & efpoufa Placidie foeur de l'Empereur Honorius, qu'il avoit prife dans Rome.

L'an 412. Ataulfe paffe dans la Gaule Narbonnoife, & s'empare de Narbonne. Il n'y demeura que trois ans. Le Comte & Patrice Conftantius, qui depuis fut Empereur & efpoufa Placidie fa veuve, le contraignit de paffer en Efpagne, où il fut tué par les fiens dans Barcelonne vers le mois de Septembre de l'an 415. Ils eflurent Sigeric en fa place, & le traitterent de mefme dés le feptiefme jour. Vallia fon fucceffeur fut rappellé dans les Gaules par Conftantius qui luy donna la feconde Aquitaine, avec quelques villes des Provinces voifines, entre autres celle de Toulouze, où il eftablit le Siege de fa Royauté l'an 419. Mais il mourut peu de mois après, & Theodoric luy fucceda. Sous ce Roy & fous Evaric ou Euric, les Vifigoths fe rendirent maiftres de toutes les trois Aquitaines & des deux Narbonnoifes.

JU S Q U E S icy peu de François avoient reçû la lumiere de l'Evangile, ils adoroient encore des Arbres, des Fontaines, des Serpens, & des Oifeaux : Mais les Gaulois eftoient prefque tous Chreftiens, horfmis ceux qui habitoient dans des lieux moins acceffibles, comme font les païs de Montagnes, de Bois, & de marefcages, ou dans les Germaniques & dans les belgiques, qui eftoient toûjours troublées par les incurfions des Barbares. La Foy leur avoit efté prefchée par les Difciples des Apoftres, & dés le fecond Siecle il s'eftoit eftabli plufieurs Eglifes dans les Gaules, au moins dans la Narbonnoife, & dans la Lyonnoife premiere. Sous l'Empereur Decius vers l'an 250. il y fut envoyé de Rome plufieurs Saincts Predicateurs qui en planterent d'autres en divers endroits ; comme Saturnin à Toulouze, Gatien à Tours, Denis à Paris, Auftremonius à Clermont, & Martial à Limoges. Les perfecutions des Empereurs Payens les avoient fort ébranlées ; Conftantin les raffura. Depuis, les incurfions des Barbares les deftruifirent encore, fpecialement dans les Belgiques & dans les Germaniques, & l'impiété Arienne les troubla dans les Aquitaines ; Clovis les remit & les dota de grands biens.

Durant le quatriefme Siecle, l'Eglife Gallicane produifit un grand nombre de faincts Evêques ; Sur tout Hilaire de Poictiers invincible deffenfeur de la Saincte Trinité, Maximin & Paulin de Treves, qui combattirent pour la mefme caufe, & en mefme temps que luy. Le grand Sainct Martin de Tours, pareil aux Apoftres, Liboire du Mans, Severin de Cologne, Victrice de Rouën, tous quatre contemporains, Servais de Tongres, plus vieux de quelques années, & Exupere de Toulouze qui vivoit encore l'an 405.

Vers le milieu du mefme Siecle, plufieurs de ceux qui s'eftoient voüez à Dieu dans la vie Monaftique, vinrent du cofté d'Italie s'habituer dans les Ifles de Provence, & dans les montagnes des Provinces Viennoifes ; comme quelque temps après il en fortit grand nombre du cofté d'Irlande, qui fe logerent dans les forefts des Lyonnoifes & des Belgiques. Leur exemple & l'amour de cette faincte profeffion attira beaucoup de gens dans les Monafteres & dans la Solitude ; mais fous la conduite des Evefques, & la difcipline des Canons. Il y en avoit de quatre efpeces principales ; De ceux qui vivoient en communauté, on les nommoit Cenobites ; De ceux qui après y avoir vefcu fe retiroient dans la Solitude pour afpirer à une plus grande perfection, c'eftoient les Hermites ou Anachoretes ; De ceux qui fe mettoient par petites bandes de trois ou quatre enfemble fans Chef & fans Regle certaine ; Et de ceux qui alloient par païs fous couleur de vifiter les lieux Saincts & les perfonnes les plus avancées dans la pieté. Il y en avoit auffi qui fe renfermoient eftroitement dans une cellule, foit dans les villes ou dans le defert, on les nommoit Inclus ou Reclus. Tous vivoient du travail de leurs mains, & la plufpart donnoient leurs biens aux pauvres, quoy qu'à la rigueur ils ne fuffent pas obligez d'y renoncer. Ils n'en eftoient pas mefme exclus quand ils retournoient au monde : mais ce retour eftoit confideré comme efpece de defertion.

Les Conciles eftant tres-neceffaires pour conferver la pureté de la Foy & de la difcipline Ecclefiaftique, il s'en tint plufieurs en Gaule. L'an 314. l'Empereur Conftantin en fit affembler un à Arles où il y avoit des deputez de toutes les Provinces d'Occident, pour terminer la difpute des Donatiftes d'Afrique. Il y en eut un à Cologne en 346. qui condamna Eufratas Evefque de cette ville-là, qui nioit la Divinité de J E S U S-C H R I S T ; Un à Arles en 353. Un à Beziers en 356. Un à Paris l'an 362. tous trois pour l'affaire des Ariens ; Les deux premiers leurs furent favorables contre S. Athanafe, le troifiefme les condamna. Un à Valence en l'an 374. pour la difcipline. Un à Bordeaux l'an 385. où la caufe de Prifcillian ayant efté renvoyée par l'Empereur Gratian, cet Heretique voyant bien qu'il y alloit eftre condamné, appella au Tyran Maximus, mais ce fut à fon grand malheur. Un à Treves l'année d'après, où l'Evefque Itacius fut accufé d'avoir contre l'efprit de l'Eglife, pourfuivi Prifcillian & fes Sectateurs à mort : fa cabale y fit approuver fa procedure fanguinaire, qui pourtant fut condamnée par les plus Saincts Evêques. Un à Turin l'an 397. à l'inftance des Evêques de la Gaule pour le differend de Proculus de Marfeille, & pour celui d'entre les Evefques d'Arles & Vienne. Proculus pretendoit ordonner des Evefques dans quelques Eglifes de Provence, qui avoient efté démembrées de la fienne, ou qu'il avoit inftituées : on luy accorda cet honneur pour fa perfonne feulement ; Les Evefques d'Arles & de Vienne difputoient le droit de Metropole, on le partagea entre eux par provifion. Cette caufe ayant efté portée au Sainct Siege, & diverfement jugée par trois ou quatre Papes differens, fut terminée l'an 513. par Symmaque, qui conformément à la Sentence de Leon, adjugea feulement à Vienne, les Evefchez de Valence, de Tarentaife, de Genéve & de Grenoble, & tout le refte à Arles.

Noftre marge n'ayant pû porter les noms des Papes fans s'embaraffer, il a efté jugé à propos de les mettre à cofté des Rois, durant le regne defquels ils ont tenu le Pontificat. Et cependant on a crû qu'il faloit ranger icy ceux de ce quatriefme Siecle, & jufqu'au Roy Faramond. Silveftre I. tint donc le S. Siege depuis le I. de Fevrier de l'an 314. jufqu'au dernier de Decembre de l'an 336. Du temps de fon Pontificat Conftantin le Grand fe convertit à la Foy & le Saint Concile de Nicée fut affemblé l'an 324. Marc gouverna depuis le 16 de Janvier enfuivant jufqu'au 7. d'Octobre de la mefme année. Jules I. depuis le 27. du mefme mois jufqu'au 13. d'Avril de l'an 352. Liberius depuis le 8. de May jufqu'au 3. de Septembre de l'an 367. Damafe depuis le 15. de ce mois-là jufqu'à l'onziéme de Decembre de l'an 384. En 381. fut le Concile de Conftantinople. Sirice fut Pape depuis le 12. de Janvier jufqu'au 24. de Février de l'an 398. Anaftafe depuis le 14 de Mars de cette année-là jufques vers la fin d'Avril de l'an 402. Innocent I. depuis le 14. de May jufqu'au 28. Juillet de l'an 417. Et Zozime depuis le 18. D'Aouft, jufqu'au 26. de Decembre de l'an 418.

DU R A N T la grande revolte des peuples Armoriques ou maritimes, (c'eftoient ceux des coftes de Flandre, Picardie, Normandie & Bretagne) qui arriva vers l'an 412. les François s'étant joints avec eux, occuperent la partie de la Germanie feconde, qui fut nommée Ripuaire ; & les peuples Ripuariens ou Ribarols. Les Romains, par traité ou autrement, leur en laifferent la poffeffion libre ; Et ce fut un peu après cela que Faramond commença à regner.

On trouve dans les Hiftoriens de ces temps-là, que les François avoient eu plufieurs Rois avant luy. Je ne parle point de ceux du Moine Hunibaud, ils font auffi fabuleux que l'Autheur ; Mais nous voyons vers l'an 288. Genebaud et & Atec qui vinrent à Tréves demander la paix à Maximian. L'an 307. Afcaric & Radagaife, que Conftantin prit en guerre, & qu'il expofa aux beftes dans les Arenes, en punition de ce qu'ayant donné leur foy à Conftantius fon pere, ils avoient neanmoins repris les armes. L'an 374. un Mellobaudes, qui eftant grand Maiftre de la Milice & Comte du Palais de l'Empereur Gratian, tua & vainquit Macrian Roy des Allemands, & rendit plufieurs autres fervices à l'Empire. Vers l'an 378. Un Richemer qui avoit pareille charge auprés de Gratian que Mellobaudes. L'an 382. un Priam ou Priarius, que quelques-uns veulent avoir été pere ou ayeul de Faramond. L'an 397. Marcomir & Sunnon freres, dont Stilicon relegua le premier en Tofcane, & fit maffacrer l'autre par les fiens mefme, lors qu'il effayoit de remuer pour venger l'exil de fon frere. Et l'an 414. ou 15. Un Theodemer fils de Richemer, qui eut la tefte tranchée avec fa mere afcila, pour avoir attenté contre l'Empire.

Néanmoins la commune opinion a toûjours commencé à compter les Rois de France par Faramond, foit parce que les precedens n'avoient point eu de demeure fixe dans la Gaule, foit parce qu'il reftablit la Royauté parmi les François. En effet il femble que les Romains avoient en quelque façon fubjugué cette Nation, & que depuis le traitement qu'ils avoient fait à Marcomir, à Sunnon & à Theodemer, ils ne vouloient plus fouffrir qu'elle euft des Rois.

Il commença de regner, non en 424. qui eft la commune opinion, mais en 418, année fort remarquable par une grande Eclipfe de Soleil. On peut douter fi Faramond eft un nom propre, ou fi c'eft feulement un Epithete, qui marque qu'il a efté comme le pere & la tige de la nation Françoise : Car Faramond en langue Germanique, fignifie Bouche de Generations.

Pour la maniere de l'inauguration des Rois François, les Seigneurs ou principaux Chefs les ayant eflûs, ou du moins les approuvant, les eflevoient fur un grand Pavois & les faifoient porter dans le Champ où le peuple eftoit affemblé en armes, qui confirmoit ce choix par des acclamations & des applaudiffemens. La mefme ceremonie fe pratiquoit pour les Empereurs & pour les Rois Goths.

Les Hiftoriens Efcoffois commencent le Royaume d'Ecoffe l'an 422. par le Roy Fergus duquel ils tirent toute la fuite de leurs Rois, quoy qu'ils veuillent avec cela qu'on croye, qu'il ne fit que le reftablir, & qu'il s'eftoit formé 300. ans avant la naiffance de J E S U S-C H R I S T ; d'où il avoit duré jufqu'au temps du Tyran Maximus, qui l'avoit ruiné vers l'an 378.

Les Vandales qui avoient paffé des Gaules en Efpagne, furent appellez de là en Afrique par le Comte Boniface revolté contre l'Imperatrice Placidie. Ils y pafferent au nombre de 80000. feulement fous la conduite de leur Roy Genferic, & dans fept ou huit ans en chafferent tout-à-fait les Romains, & y eftablirent leur Royaume.

Les Romains repouffent les François au delà du Rhin, & leur oftent les terres qu'ils leur avoient données en Gaule, ou au moins une bonne partie. Il n'eft pas certain fi cela arriva la derniere année du regne de Faramond, ou la premiere de celuy de Clodion.

On met en celle-cy la mort de Faramond qui auroit à ce compte regné dix ans. On ignore fes actions, le lieu de fa fepulture, le nom de fa femme & celuy de fes enfants, horfmis de Clodion qui luy fucceda.

Une ancienne Chronique luy donne la gloire d'avoir fait rediger la Loy Salique par quatre anciens Seigneurs, & dit qu'ils y travaillerent durant trois Malles ou Affifes : c'eftoit fans doute pour prendre langue des plus Anciens du peuple. On l'appella Salique du nom des Saliens, le plus noble peuple des François.

IL fut furnommé le Chevelu, parce qu'à mon avis il introduifit la couftume que les Rois & ceux de leur Sang portaffent la chevelure longue, bien peignée & dreffée, non feulement fur le haut de la tefte, comme avoient fait tous les Princes de cette nation avant luy, mais auffi fur le derriere. Le refte des François avoit les cheveux coupez en rond un peu au deffous des oreilles.

On ne fçait s'il leur reftoit encore quelque terre dans la Gaule. Il eft certain que Clodion au commencement de fon regne habitoit delà le Rhin, & qu'il le paffa l'an 431. pour faire une irruption, mais il fut battu & rechaffé par Aëtius.

Il fe contint quelques années fans rien entreprendre, faifant fon fejour au Chafteau de Difparg fur l'autre bord du Rhin : mais ayant appris par fes Efpions qu'il n'y avoit point de garnifons dans les villes de la feconde Belgique, il partit en diligence avec fes gens, & tenant fa marche fecrete par la foreft Charbonniere, c'eft le Haynaut, fe rendit maître de Bavay, de Cambray, & de quelques autres places voifines.

Les Anglois Saxons fubjuguent la Grand' Bretagne. Ils y avoient été appellez par les habitans naturels, qui étant abandonnez des Romains, s'étoient fait des Rois de leur Nation ; Et ces Rois ne fe trouvoient pas affez forts pour fe deffendre des Pictes & des Ecoffois ; qui eftoient des peuples habitans aux Montagnes du pays, que l'on nomme aujourd'huy Efcoffe. Les Anglois donnerent le nom d'Angleterre à leur conquefte, & y eftablirent fept Principautez ou petits Royaumes, qui enfin ont tous efté reünis enun.

Les Bretons ou habitans de la Grand' Bretagne eftant tourmentez par ces Barbares, s'attroupent par bandes & paffent dans la Gaule Armorique. Elle eftoit encore aux Romains, qui leur permirent de s'établir dans les pays de Vennes, & de Cornouailles, d'où avec le temps s'eftant eftendus dans les Evefchez de Treguier & de Leon, & jufqu'à la Loire & aux confins de l'Anjou, ils donnerent le nom de Bretagne à cette Province, qui le garde encore aujourd'huy.

Les Bourguignons peuple de Germanie ou de Scythie (car il y en avoit en l'une & en l'autre) aprés avoir long-temps demeuré fur les bords du Rhin dans la Germanie premiere, obtinrent des Romains le pays des environs de Geneve : Et là ils multiplierent tellement en peu de temps, qu'ils s'emparerent de la Province de Vienne, de celle des Sequanois, & de la premiere Lyonnoife. Ils avoient reçû la Foy Chreftienne l'an 430. par les Predications de S. Sever Evefque de Tréves ; mais quelques années aprés ils tombérent dans l'herefie d'Arrius.

Il y avoit donc cinq Dominations dans la Gaule, des Romains, des François, des Vifigoths, des Bourguignons, & des Bretons.

Clodion pourfuivant fes conqueftes durant la confufion extréme des affaires de l'Empire, reçût un grand efchec par la valeur Aëtius, dans le païs d'Artois prés du Vicus Helene, peut-eftre que c'eft Lens. Neanmoins Aëtius n'eftant que trop empefché ailleurs, n'acheva point de l'accabler, fi bien que reprenant haleine, il fe rendit maiftre de l'Artois & s'élargit jufqu'à la Somme, ayant pris la ville d'Amiens, qui fut fon Siege Royal & celuy de Merovée.

Il envoya mefme, ce dit un Moderne, fon fils aifné affieger la ville de Soiffons ; Où ce Prince ayant perdu la vie, le Pere en fut fi touché qu'il en mourut, aprés avoir regné vingt ans. Ce fut fur la fin de l'an 447. ayant auparavant eftabli Merovée tuteur de fes fils.

Il eft certain qu'il en laiffa deux ; & je trouve qu'ils fe nommoient Clodebaud & Clodomir. Quelques Modernes luy en donnent trois, qu'ils nomment Renaut, Auberon, & Ragnacaire ; Et d'Auberon ils font defcendre le Senateur Ansbert, & de mafle en mafle Pepin le Bref premier Roy de la feconde Race. Mais pour Ansbert, d'autres ont prouvé qu'il étoit iffu de Tonnace Ferreole, Prefet du Pretoire des Gaules.

SELON la plûpart des Autheurs les plus approchans de ce temps-là, il n’eftoit pas fils de Clodion, mais feulement fon parent. On conte que fa mere fe baignant au bord de la Mer, il fortit des flots un Taureau Marin, qui la rendit enceinte de ce Prince. Cette fable femble eftre fondée fur ce que Mer veich fignifie Veau de Mer.

Or foit qu’il fuft feulement tuteur des enfans de Clodion ou autrement, les François l’eflûrent pour leur Roy ou Commandant General. Ce fut dans la ville d’Amiens.

Les enfans de Clodion ayant efté privez de la fucceffion paternelle, leur mere les emmena au delà du Rhin : où il femble qu’ils difputerent entre eux cette partie-là de leur fucceffion ; mais qu’avec le temps elle vint auffi à Merovée, on ne fçait pas comment.

Aprés qu’Attila Roy des Huns, qui fe faifoit nommer le Fleau de Dieu, eut pillé toutes les Provinces de l’Empire dans l’Orient, & qu’il eut tué fon frere Bleda pour envahir fon Royaume, il voulut auffi faccager celles de l’Occident. Il traverfa les Pannonies & la Germanie, entra en Gaule avec 500000. combattans fous pretexte d’aller attaquer les Vifigoths jufques dans l’Aquitaine : & aprés avoir faccagé & bruflé Mets, Tréves, Tongres, Arras, & toutes les villes qui fe trouverent fur fa marche, paffa à cofté de Paris & vint affieger Orleans. La ville avoit déja capitulé, & partie de fes troupes eftoient entrées dedans, quand Aëtius General des Romains, Merovée Roy des François, & Theodoric Roy des Vifigoths ayant joint leurs armées enfemble, les chargerent à l’improvifte, & les repoufferent, ayant pavé toutes les ruës de morts.

Peu de temps aprés ils luy donnerent une grande bataille, in campis Catalaunicis, que l’on interprete la plaine de Châlons en Champagne ; mais quelques-uns s’imaginent avec probabilité, que ce fut in campis Secalaunicis, en Soulongne prés d’Orleans. Attila y perdit prés de 200000. hommes . Theodoric Roy des Vifigoths fut tué dans la mêlée, & le lendemain Thorifmond fon fils eflû Roy par les Vifigoths.

Non-obftant cette grande perte, Attila eut encore affez de forces pour fe retirer en fon païs, Aëtius ayant congedié les Vifigots & les François, de peur d’eftre obligé de le pourfuivre & de l’achever. Le puifné des deux fils de Clodion s’eftoit jetté entre les bras de ce Patrice, qui l’adopta pour fon fils, & l’autre fous la protection d’Attila. On ne fçait point quel fut leur fort : mais pour Attila, au retour d’une autre irruption qu’il fit en Italie vers l’an 452. il mourut en fon païs comme il eftoit couché dans fon lict auprés d’une nouvelle Efpoufe.

On place communément en cette année 452. la naiffance de la merveilleufe ville de Venife dans le Golfe Adriatique. Ils difent que la terreur des armes d’Attila, aprés qu’il eut pris Aquilée, faifant fuir tous les peuples de ces contrées, il s’en jetta quelques bandes dans l’Ifle de Rialte & autres voifines, qui y fixerent leur habitation, premiers fondemens de ce noble Eftat.

L’empereur Valentinian fait maffacrer Aëtius, le feul qui fouftenoit l’Empire ébranlé & entamé de tous coftez. L’année fuivante il eft tué luy mëme par les amis de ce grand Capitaine, & à la fufcitation de Petronius Maximius, dont il avoit violé la femme. Maximus fe faifit de l’Empire & d’Eudoxe veuve de Valentinian qu’il efpoufa. La joye de fa vengeance & de fa Principauté ne dura que trois mois ; le peuple l’affomma à coups de pierre, dés que Genferie Roy des Vandales, qu’Eudoxe avoit appellé d’Afrique pour la venger, fut aux portes de Rome. Mais ce Barbare faccagea la Ville & prit l’Imperatrice, qui fut emmenée en captivité avec fes deux filles, fe voyant en même temps vengée & punie.

De là s’enfuivit la deftruction entiere de l’Empire d’Occident : car il n’y eut plus de Chef affez puiffant pour reparer ni pour eftayer les ruines de ce grand baftiment ; mais feulement divers petits Commandans, qui eftoient le jouët des Barbares, & qui confumoient ce peu qu’ils avoient de forces à fe pouffer les uns les autres.

Ainfi Merovée & puis Childeric fon fils, eurent le temps propre pour eftendre leurs limites. Merovée pris d’un cofté toute la Germanie premiere ou territoire de Mayence, & de l’autre la partie de la Belgique feconde, qu’on nomme Picardie, une bonne partie de la feconde Lyonnoife, qu’on nomme Normandie, & prefque toute l’Ifle de France.

Il regna prés de 11. ans , & mourut l’an 458. On ne fçait rien ni de fon âge, ni de fa femme, ni de fes enfans, finon que Childeric fon fucceffeur eftoit fon fils.

CE Prince, encore jeune, fort adonné à fes plaifirs, & ayant un Royaume trop paifible, fe licentie à débaucher les femmes & les filles de fes fujets.

Les François qui n’eftoient pas accouftumez à ces infamies, le dégradent de la Royauté, foit par une pure fedition ou par quelque forme de jugement, & eflifent en fa place Aegidius ou Gillon maiftre de la milice des Romains, qui eftoit eftranger, mais en grande reputation de fageffe & de probité. Childeric fçachant qu’aprés cela ils cherchoient encore à le tuer, fe retira en Turinge auprés du Roy Bafin, mais laiffa en France un fidele ami nommé Guyemans, qui luy promit de travailler à fon rappel en tournant l’Efprit des François contre Gillon.

Guyemans fort adroit s’eftant mis dans la confidence de Gillon, l’enhardit à les charger d’impofts ; Et comme ils en faifoient grand bruit il luy confeille d’abattre les teftes des plus remuans, qui eftoient les mefmes qui avoient dégradé Childeric. Alors ils viennent fecretement fe plaindre à Guyemans, qui leur perfuade de rappeller leur Roy naturel. Et lors qu’il les voit dans cette difpofition il luy en donne avis & luy envoye pour fignal la moitié d’un efcu d’or rompu en deux, dont ce Roy avoit emporté l’autre. Les François vont au devant de luy jufqu’à Bar, & le reftabliffent dans la Royauté avec des formes folemnelles.

Peu aprés qu’il fut parti de Turinge, le Reine Bafine charmée de fes bonnes graces, quita fon mari pour le venir trouver. Il la prit pour femme, & dans l’année en eut un fils qu’on nomma Clovis.

Aprés fon retour il employa utilement l’ardeur de fes fujets contre Gillon. Il le pouffa vigoureugement, le força d’abandonner Cologne, prit d’affaut & brufla Tréves, conquit le païs qu’on nomme aujourd’huy Lorraine ; & aprés traverfant la Champagne qui demeura encore ferme dans l’obeïffance des Romains, il fe rendit maiftre de Beauvais, de Paris, & de beaucoup d’autres villes fur l’Oife & fur la Seine ; Les peuples fe donnant aux François pluftot de leur gré que par force, pour fe deflivrer des horribles tailles & des cruelles concuffions des Magiftrats Romains, qui les avoient pouffez à un tel défefpoir qu’ils cherchoient leur falut dans la ruïne de l’Eftat.

Gillon, à ce qu’il femble, avoit appellé des troupes auxiliaires de Saxons, commandées par leur Roy Odoacre, qu’il employoit pour deffendre les villes de deffus la Loire, tant des Wifigoths que des François. Lorsqu’il fut mort, fçavoir l’an 464. le Comte Pol prit le commandement, & Odoacre de fon cofté voulut s’affurer de la ville d’Angers, & fortifia les Ifles de la Loire pour y retirer fon butin : mais Childeric vainquit le Comte Pol prés d’Orleans, & aprés s’eftre emparé de cette ville le pourfuivit jufqu’à Angers, où il entra de force & le renverfa mort fur le pavé. Cela fait, il deflogea les Saxons de leurs Ifles ; Et aprés d’eftant accomodé avec eux, il les employa à donner la chaffe aux Allemands, qui en ce mefme temps avoient fait irruption dans la Gaule.

L’an 476. de l’Ere Chreftienne, & le 1229. de la fondation de Rome, L’E M P I R E R O M A I N F I N I T E N O C C I D E N T , y ayant eu pendant les vingts derniers années neuf ou dix avortons d’Empereurs, dont Romulus qu’ils appelloient Auguftule, fut le dernier. C’eftoit un jeune enfant de dix ou douze ans, à que le Patrice orefte fon pere avoit donné le titre d’Empereur pour gouverner fouf fon nom. Odoacre Roy des Erules ayant tué Orefte, enferma cét enfans dans un Chafteau & donna commencement au P R E M I E R R O Y A U M E D’I T A L I E.

Plufieurs années auparavant Gondioche Roy des Bourguignons eftoit mort, & fes quatre fils Gondebaud, Gondegifile, Chilperic & Gondemar, avoient partagé fon Royaume entre eux. Or l’an 477 Gondebaud l’aifné & le plus habile de tous, s’eftoit ligué avec le fecond pour defpouiller les deux autres. D’abord il fut vaincu & fe tint caché quelque temps : puis comme ils le croyoient mort, il fortit tout d’un coup & les enveloppa dans Vienne. Gondemar y fut bruflé dans une Tour où il fe deffendoit. Chilperic tomba entre les mains du Vainqueur qui le fit maffacrer avec fes deux fils, & jetta fa femme dans la riviere une pierre au col, mais il donna la vie à fes deux filles. Elles s’appelloient Sedeleube & Clotilde ; toutes deux fuivoient la croyance Orthodoxe, quoy que leur pere & tous leurs oncles fuffent Arriens. La premiere fe confacra à Dieu ; pour l’autre, Gondebaud la garda & la fit nourrir dans fa maifon.

Le Roy Childeric au retour d’une expedition contre les Allemands eft atteint d’une fievre, & meurt âgé pour le moins de 25. ans, dont il en avoit regné 22. à 23. Il laiffa quatre enfans, un fils qu’on nommoit Clovis, & trois filles, Andeftede qui efpoufa Theodoric Roy des Oftrogoths, Alboflede & Lantilde. Ces deux receurent le Baptefme avec leur frere, Alboflede s’eftant convertie du Paganifme, & Lantilde de l’herefie d’Arrius ; Elles ne furent point mariées.

On conjecture qu’il avoit fon Siege Royal à Tournay, parce que de noftre temps l’an 1654. en fouillant fous quelques maifons, on y a découvert une fepulture, où entre autres fingularitez fort curieufes, s’eft trouvé un anneau fur lequel fon effigie & fon nom font gravez.

CL O V I S ou Louïs, (car c’eft le mefme nom) beau, bien-fait & brave de fa perfonne, n’eft pas fi-toft en âge de commander, qu’il entreprend la guerre contre Siagrius fils de ce Gillon, qui avoit efté mis en la place de fon pere Childeric. Il le combat & le desfait prés Soiffons ; l’infortuné fe refugie vers Alaric Roy des Vifigoths : mais Clovis le contraint par menaces de le luy renvoyer : Et lors qu’il l’a entre fes mains il le fait mourir, s’eftant auparavant affuré de toutes fes places, qui eftoient Soiffons, Rheims, Provins, Sens, Troye, Auxerre, & quelques autres. Ainfi il ne refta plus rien aux Romains dans les Gaules.

PAPES.

FELIX III. le 5. de
Mars S. 12. ans.

GELASE I. en
Mars 492. S. 4. ans.
9. mois.

ANASTASE II.
le 25. Nov. 496. S. 2.
ans.

SYMMAQUE le
20. Nov. 496. S. 15.
ans, 8. mois dont
trois ans fous le
régne suivant.

Combattre & triompher fut tout mon entretien,
J'acquis les noms de Grand, d'Heureux, de Redoutable :
Mais ces titres d'honneur n'ont rien de comparable
Au titre glorieux de P R E M I E R R O Y C H R E S T I E N.

C’eftoit une Loy parmy les François, que tout le butin eftoit apporté en commun, & partagé entre les gens de guerre. Il avoit efté pris un vafe pretieux dans une Eglife par fes troupes. Il demanda par grace qu’on le mift à part pour le rendre à l’Evefque qui l’en fupplioit ; un gendarme infolent s’y oppofa, & donna un coup de hache deffus, difant qu’il en vouloit avoir fa part. Clovis diffimula pour l’heure, mais un an aprés à une reveuë générale, il luy fit querelle fur ce que fes armes n’eftoient pas en bon ordre, & lui fendit la tefte de fa hache ; Coup bien hardy, & qui le fit plus redouter des François.

Dés l’an 489. Theoderic Roy des Oftrogoths eftoit entré en Italie : Aprés plufieurs évenemens, ayant furmonté & fait mourir Odoacre Roy des Erules il y eftablit un puiffant Royaume l’an 494.

Ses victoires & fes conqueftes accroiffent fa renommée & fon Eftat, & l’eflévent au deffus des autres Princes. Il faloit que fa puiffance fuft grande, puifque Gondebaud Roy des Bourguignons eftoit ou fon vaffal, ou fon Officier, peut-eftre grand Maiftre de fa milice.

Sur la fin de l’an 491. il efpoufa Clotilde fille du Roy Chilperic, & niéce de ce Gondebaud, lequel ne confentit à ce mariage que par crainte. Aurelian Seigneur François en fut le mediateur, & eut la Comté de Melun pour recompenfe.

Les Allemands, un des plus puiffans peuples de la Germanie, qui alors occupoient la Souaube, partie de la Rhetie, en deçà du Rhin, la Suiffe, & peut-eftre le païs d’Alface jufqu’à Strasbourg, eftoient entrez hoftilement fur les terres de Sigebert Roy de Cologne ou des Ribarols : Clovis fon parent alla à fon fecours & leur donna bataille prés de Tolbiac ; on croit que c’eft Zulg à dix lieues de Cologne. Au milieu du choc fes gens pliérent & fe mirent en defroute : la grandeur du peril le fit alors fouvenir d’invoquer le Dieu de fa femme, & de faire voeu que s’il l’en deflivroit, il recevroit le Baptefme. Auffi-toft le fort des armes changea, fes gens retournérent à la charge, les ennemis fe mirent en fuite, & laifférent leur Roy & grande multitude des leurs tuez fur la place.

Il pourfuivit chaudement fa victoire, entra dans leur païs & extermina fans mifericorde tous ceux d’au decà du Rhin ; les autres fe fauvérent en Italie fous la protection de Theodoric Roy des Oftrogoths. Il eft à croire qu’à la priere de ce grand Prince, qui eftoit fon beaufrere, il permit à ceux qui le voulurent, de revenir dans leurs maifons ; mais il les fubjugua entierement, leur donna des Comtes & un Duc pour gouverner, & partagea leurs terres entre fes Capitaines. Depuis cét efchec ils n’eurent plus de Rois, & furent peu confiderez jufqu’au temps de l’Empereur Federic II. Sous lequel, à mon advis, ils donnérent leur nom à toute la Germanie.

Comme il revenoit de cette expedition, la Reine fa femme eut foin de luy envoyer de faincts Perfonnages, pour l’exhorter de tenir fa parole, & pour l’inftruire dans la Foy Orthodoxe. Sainct Vaaft qui n’eftoit encore que Preftre, & demeuroit à Verdun, le catechifa par les chemins ; Sainct Remy Archevefque de Reims, puiffant en oeuvres & en paroles, le confirma plus fort dans les fentimens du Chriftianifme.

Ayant donc fait trouver bon ce changement à la plufpart de fes Capitaines, il receut le fainct Baptefme avec grand appareil dans l’Eglife de Reims le jour de Noel de l’an 496. Les Evefques le plongérent dans le facré lavoir : trois mille de fes François y defcendirent aprés luy ; Et cette troupe regenerée avec fon Chef, porta la robe blanche huit jours durant, fuivant la ceremonie pratiquée alors dans l’Eglife.

On a dit que le Ciel en faveur de fa converfion, l’honora luy & les Rois de France fes Succeffeurs, de plufieurs graces miraculeufes & finguliéres ; Que la Saincte Ampoulle fut apportée à fon Baptefme, par une Colombe Celefte ; Que l’Efcu femé de Fleurs de Lys, & l’eftendard de l’Oriflamme furent dépofez par un Ange entre les mains d’un bon Hermite dans la Solitude de Joyenval près de S. Germain en Laye ; Qu’il eut le don de guerir les efcrouëlles, & qu’il l’efprouva fur Lanicet fon favori. Mais Dieu luy fit un préfent beaucoup plus rare & plus précieux que tout cela, quand il luy donna les lumiéres de la Foy Orthodoxe, n’y ayant pour lors de tous les Princes du monde, que luy feul qui ne fuft point dans l’erreur ou dans l’idolâtrie.

Cette converfion ne luy fervit pas peu à contenir les Gaulois, qui eftoient tous Chreftiens, dans fon obeïffance, & pour y attirer les autres qui eftoient fujets des Princes Goths & des Princes Bourguignons, dont la domination leur eftoit odieufe, parce qu’ils les vouloient forcer de fuivre les dogmes d’Arrius.

Le zéle du Chriftianifme ne refroidit pas fon ardeur guerriere ; Gondefigile luy ayant promis, s’il le vouloit affifter à opprimer fon frere Gondebaud, d’en partager la defpouille avec luy, il fe jetta avec fon armée dans les terres des Bourguignons. Gondegifile faifant bien de l’efpouvanté envoya prier fon frere d’accourir à fon aide ; Gondebaud n’y manqua pas, mais quand ce vint au combat, qui fe donna fur les bords de la Riviere d’Ouche prés de Dijon, Gondegifile paffa du côté des François & commença de le charger. Gondebaud voyant que c’eftoit une partie faite, s’enfuit à Avignon, Clovis le pourfuivit & l’y affiégea. Le fage Aredius principal Confeiller de Gondebaud fervit adroitement fon Maiftre en cette occafion ; comme le fiége tiroit en longueur, il feignit de le quiter & alla fe rendre à Clovis. Auprés duquel il fceut fi bien mefnager les chofes, que ce Roy accorda compofition à Gondebaud & le receut pour fon tributaire.

Lors que Clovis fut hors de ce païs-là, & peut-eftre occupé à d’autres affaires, Gondebaud mefprifant de luy payer le tribut, affembla fes forces & affiégea Gondegifile dans Vienne. Un Fontenier, que l’on avoit mis dehors parmi les bouches inutiles, luy enfeigna l’ouverture d’un aqueduct, par où il fit entrer des gens qui furprirent la ville. Son frere s’eftant fauvé dans une Eglife des Arriens, y fut tué avec un Evefque de mefme croyance. Ainfi Gondebaud demeura feul Roy de toute la Bourgongne.

C’eft, à mon advis, en ces années que les François, comme dit Procope, n’ayant pû fubjuguer les Armoriques d’entre la Seine & la Loire les incorporérent avec eux par une confédération mutuelle, qui ne fit q’un peuple des deux. Les garnifons Romaines n’eftant pas affez fortes ni pour fe retirer ni pour fe deffendre, leur remirent les places : mais ne fortirent pas du païs, où ils gardérent encore long-temps leurs Loix, leur difcipline & leurs habits.

Les Bourgeois de Verdun s’eftoient revoltez, on ne dit point pourquoy : Clovis eftant fur le poinct de les forcer, les priéres d’Eufpice Archidiacre de la ville, homme de tres-faincte vie, fléchirent fa colére & obtinrent leur pardon.

Je ne fçay pas précifément en quelle année arriva ce que Procope raconte, que Clovis & Theoderic Roy des Oftrogoths ayant fait un traitté enfemble pour conquerir la Bourgongne & la partager, à condition que fi l’armée de quelqu’un des deux n’y arrivoit pas à poinct nommé, il payeroit certaine fomme à l’autre : le Vifigoths ne fe haftérent pas, & laifférent effuyer tout le peril aux François, puis arrivant aprés que les plus grands coups furent ruez & le païs fubjugué, prirent leur part de la conquefte, en payant la fomme convenuë.

Les uns & les autres ne gardérent pas long-temps ces terres, mais les rendirent toutes à Gondebaud ; qui depuis fe lia fort eftroitement avec Clovis contre les Vifigoths.

Il y a apparence que ce fut durant ces années de paix, que Clovis travailla à reformer la Loy Salique, qui ayant efté faite par les François encore Payens, pouvoit contenir beaucoup de chofes contraires aux moeurs & aux Loix du Chriftianifme. Cette Loy n’eftoit que pour les François de fon Royaume : car ceux de Cologne en avoient une autre, que nous lifons encore aujourd’huy fous le nom de Loy des Ripuariens, conforme néantmoins en beaucoup de chofes à la Salique.

Deux Rois puiffans & jeunes, comme eftoient Clovis & Alaric, ne pouvoient eftre long-temps voifins & bons amis. Divers petits differends les brouillérent enfemble, & les fecrétes pratiques des Evefques d’Aquitaine, qui fe fafchoient d’obeïr à Alaric Prince Arrien, portoient Clovis à la rupture. Les deux Rois s’abouchérent dans l’Ifle d’Or, prés d’Amboife, entre la ville de Tours, qui eftoit au Vifigoth, & celle d’Orleans, qui eftoit au François. Cette entreveuë plaftra leurs differends pour un peu de temps, & Theodoric Roy des Oftrogoths beaupere d’Alaric & beaufrere de Clovis, s’entremit de les accorder, mais tout grand Politique qu’il eftoit, il ne put retenir l’ardeur de Clovis. Ce Conquerant fçachant que les Vifigoths s’eftoient ramolis durant une longue paix, & s’eftant affuré de Gondebaud, par une Ligue qu’il fit avec luy, fe refolut d’attaquer Alaric fous le fpecieux pretexte de Religion. Les François le fuivoient d’un grand coeur, les Aquitains l’y appelloient, le Ciel le guidoit par des fignes & des miracles vifibles : D’abord la ville de Tours fe rendit à luy : Alaric qui affembloit fes troupes à Poitiers luy laiffa paffer la Vienne, puis fe refolut imprudemment de luy donner bataille. Ce fut dans la plaine de Vouglay à dix milles de Poitiers. Clovis ayant exhorté fes foldats, les prémunit du figne de la Croix & leur donna pour mot de guerre le nom du Seigneur. L’armée d’Alaric fut desfaite, & luy tué dans le combat par la main de Clovis mefme.

Le vainqueur divifa fon armée en deux Corps. Avec l’un fon fils Thierry fe rendit maiftre de l’Albigeois, du Rouërgue, du Quercy & de l’Auvergne, & luy avec l’autre du Poitou, de la Saintonge, du Bordelois, de Bordeaux mefme où il paffa l’hyver, puis au printemps de Thouloufe, où eftoit le Threfor des Vifigoths ; à fon retour, de la ville d’Angoulefme, dont les murailles tombérent devant luy ; enfin de toutes les trois Aquitaines, les peuples Catholiques fe jettant à l’envi entre fes bras, pour fe tirer de deffous le joug des Arriens.

En mefme temps Gondebaud, fuivant le traité fait avec Clovis conqueroit les deux Narbonnoifes, & la ville de Narbonne, d'où il chaffa Gefalic. Ainfi s'appelloit le fils baftard d'Alaric, qui s'eftoit emparé du Royaume des Vifigoths, parce qu'Amalaric le fils legitime, né de la fille de Theoderic, eftoit encore en enfance.

Le bruit de la valeur de Clovis fe porta jufqu'en Orient. L'Empereur Anaftafe, afin de le tenir autant qu'il pouvoit attaché à l'Empire, luy envoya des lettres de Conful (honoraire) & les ornemens Imperiaux : fcavoir la robe de pourpre, le manteau & le diadême. Clovis les ayant veftus dans l'Eglife de S. Martin, monta à cheval dans le parvis, & fit largeffe au peuple. Depuis ce jour-là on le traitta de Conful & d'Augufte ; Ce qui ne luy eftoit pas inutile pour accouftumer les peuples Gaulois à fon obeïffance par des noms qu'ils reveroient encore.

Theodoric Roy des Oftrogoths, jaloux de fes progrés, prend en main la deffenfe de fon petit fils, & envoye une grande armée deçà les Monts, compofée de Goths & de Gepides, & commandée en chef par le Comte Ibba. Les François tenoient alors la ville de Carcaffonne affiegée, & les Bourguignons celle d'Arles ; les premiers quitérent leur fiége & fe joignirent aux autres devant Arles pour luy empefcher le paffage du Rhofne.

Il y eut là plufieurs combats, & enfin une tres-fanglante bataille : le Comte la gagna ayant tué 30000. François & Bourguignons, & leur arracha enfuite tout ce qu'ils avoient conquis en Provence & en Languedoc, horfmis Toulouze & Uzez.

Aprés cét avantage Theodoric demeura Roy des Vifigoths ; & ayant ofté la Couronne & la vie à Gefalic, joignit ce qu'ils tenoient en Gaule & en Efpagne à fon Royaume d'Italie, en attendant qu'Amalaric fon petit fils fuft en âge.

Clovis chagrin de ces pertes, malade d'une longue fiévre, & ayant un efprit de Conquerant, c'eft à dire injufte & fanguinaire, tend des embufches aux autres petits Rois des François qui eftoient fes parens, & s'en desfait par des moyens pleins de cruauté & de perfidie. Il incita Chloderic fils de Sigebert Roy de Cologne à tuer fon pere, & aprés le fit maffacrer par fes domeftiques. Il força Cararic & fon fils, (on ne fçait pas en quel païs ils régnoient, c'eftoit peut-eftre à Tréves ou à Arras) de prendre les Ordres Sacrez ; Et comme il fçût que le fils s'évaporoit en menaces, il leur envoya couper la gorge à tous deux. Il fendit la tefte à coups de hache à Ragnacaire Roy de Cambray & à Riquier fon frere, qui luy furent livrez par leurs propres fujets ; & fes Satellites affaffinérent Rignomer Roy du Mans, dans fa propre ville.

Il meurt luy-mefme à Paris le 26. de Novembre de l'an 511. & y eft inhumé en l'Eglife S. Pierre & S. Paul qu'il avoit baftie ; & où Ste Geneviefve avoit efté enterrée le mefme année. Son regne fut de 30. ans, & fa vie de 45. Quelques-uns le mettent en parallele avec Conftantin le Grand, & les trouvent fort femblables pour le bien & pour le mal.

Il avoit quatre fils vivans, Thierry, Clodomir, Childebert, & Clotaire : le premier d'une concubine, les trois autres de Clotilde, & de la mefme encore une fille nommée Clote ou Clotilde, qui, feize ans aprés, efpoufa Amalaric Roy des Vifigoths en Efpagne.

S O U S fon regne les François s'affranchirent entiérement de l'Empire Romain, & devinrent fes alliez de pair à pair ; jufques-là, comme je croy, ils avoient efté ftipendiaires ou fes tributaires. La partie de la Gaule, qui eft depuis le Rhin jufqu'à la Loire s'appella France. Les François arpentérent ces terres, & en prirent la troifiefme ou quatriefme partie, qu'ils partagérent entre eux. Il n'y avoit parmi eux que deux conditions d'hommes, les libres & les efclaves ; tous les libres portoient les armes. La Gaule, qui eftoit prefque toute déferte, fe desfrifcha & fe repeupla, & les villes fe rebaftirent. Les Gaulois payoient tribut aux François, mais les naturels François ne payoient prefque que de leurs perfonnes. Ceux-cy vivoient fuivant la Loy Salique, les Gaulois fuivant le Droit Romain. On appelloit ceux-cy Romains, & on nommoit Barbares toutes les autres nations qui eftoient venuës d'au delà des limites de l'Empire.

Ils eftoient eflevez aux exercices de la guerre dés leurs plus tendres années, de taille avantageufe, endurcis à la fatigue, robuftes, & fi agiles, qu'ils eftoient fur l'ennemi auffi-toft que le trait qu'ils luy avoient lancé. Ils avoient quité l'ufage des flefches, & fe fervoient pour armes offenfives, de l'efpée, de l'angon, qui eftoit un dard de mediocre longueur, ayant un fer à deux crochets recourbez & la hante ferrée, & de la hache à deux trenfchans, qu'ils nommoient francifque. Elle fe lançoit auffi bien que l'angon, mais de plus prés. Pour toutes armes deffenfives, horfmis leurs Chefs, ils n'avoient que le Bouclier, dont ils fçavoient merveilleufement bien fe couvrir & faire la tortuë pour aller à la charge & à l'affaut. Toutes leurs armées eftoient d'Infanterie ; s'il y avoit quelque petit nombre de Cavaliers, c'eftoit pour environner le Général & porter fes ordres.

Ils gardérent une bonne partie des eftabliffemens faits par les Romains, comme la maniére de lever les impofts, mais beaucoup plus légers, de faire magafins de vivres pour leurs troupes, d'entretenir les chevaux & charrois pour les voitures de grands chemins, de donner des jeux publics, des courfes de chevaux & des combats de beftes. Et leurs Rois fe croyant auffi abfolus que les Empereurs, créoient des Comtes, des Ducs, des Grands Maiftres de leur Gendarmerie ou milice, mefme des Patrices ; Et peut-eftre que les Maires du Palais tenoient lieu de Préfets du Prétoire.

D A N S le cinquiefme & fixiefme Siécle l'Eglife Gallicane ne recevoit gueres que des Saincts pour Evefques, ou les rendoit tels. Ceftoient pour la plufpart des plus grands Seigneurs du païs, qui pour fe mettre à couvert des foupçons & des jaloufies que les Vifigoths & les François pouvoient avoir contre eux, fe jettoient dans l'Eglife comme dans un afyle.

On compte entre les plus Saincts, Honorat d'Arles, forti du Monaftére de l'Ifle de Lérins, laquelle porte aujourd'huy fon nom, Hilaire fon fucceffeur, & Euchere de Lyon, tirez du mefme endroit, Germain d'Auxerre, & Loup de Troyes, Palladius ou Palais de Bourges, Brice de Tours, Agnan d'Orleans, Simplice de Vienne, & Mamert fon fucceffeur. C'eft luy qui inftitua ou pluftoft reftablit ces Proceffions ou Litanies, qu'on nomme L E S R O G A T I O N S , que toute l'Eglife a receuës. Tous ceux-là ne pafférent pas la premiére moitié de ce Siécle, hormis Loup, qui vefcut longtemps aprés. Dans la feconde vivoient Appollinaris-Sidonius de Clermont, Alcimus-Avitus, arriére-Succeffeur de Mamert, Eleutherius de Tournay, Remy de Rheims vray Apoftre des François, & Vaaft d'Arras ; ces trois vefcurent encore longtemps aprés Clovis. On ne doit pas omettre l'illuftre Vierge Geneviefve, qui dés fon vivant fut envers Dieu la Patrone de Paris, & l'eft encore aujourd'huy ; Ni S. Maximin ou Mefmin Abbé de Micy, prés d'Orleans, lieu qui porte maintenant fon nom, & dont il fortit dixhuit ou vingt bons Religieux, qui s'efpandirent en divers païs, où ils font maintenant reclamez pour Saincts ; Ni le bon Hermite Severin, que Clovis, malade d'une longue fiévre, fit venir du Monaftére d'Agaune pour eftre gueri par fes priéres ; Ni cét autre nommé Maixant, qui avoit fa cellule en ce lieu de Poitou, auquel il s'eft bafti une Abbaye & enfuite une ville de fon nom.

Le Roy Clovis reftablit les Evefchez de la Belgique, donna de grandes poffeffions aux Eglifes, & en baftit plufieurs. Les François qui s'eftoient convertis imitérent fes pieux exemples. Je ne fçay fi avant fon regne il y avoit bien des Eglifes pour les Paroiffes de la Campagne, mais, depuis luy, on y en voit grand nombre, & mefme quantité d'Oratoires, dans lefquels on n'adminiftroit point les Sacremens.

Il n'eft pas befoin de marquer que les titres de Papes, de Pere de l'Eglife, de Béatitude & de Béatiffime, de Saincteté, de Souverain Pontife, de Serviteur des Serviteurs de Dieu, d'Apoftolique, eftoient communs à tous les Evefques ; ni que prefque tous bâtiffoient des Monaftéres dans leur ville Epifcopale. On en eflifoit fouvent de veufs & de mariez, pourveu qu'ils ne l'euffent efté qu'une fois & à une fille. La voix du peuple paffoit en cela pour une vocation de Dieu : il faloit qu'ils obeïffent & qu'ils vefcuffent avec leurs femmes comme avec leurs foeurs. S'ils avoient des enfans ou des neveux fages & doctes, ils leur fuccedoient fouvent dans leur Siége. Leur eflection fe faifoit par le Clergé de leur Eglife & par le peuple, la confirmation par les Evefques comprovinciaux, principalement par le Metropolitain & jamais fans luy. On devoit avoir efgard feulement au merite, fouvent on l'avoit à la naiffance : Et dés ce temps-là mefme, il y en avoit d'affez mefchans pour y employer la brigue & la corruption.

La fimonie eft la plus ancienne & fera le derniére des héréfies ; De tout temps elle s'eft attachée comme la rouille à l'Eglife, les autres n'ont pas fait grand dégaft dans les Gaules pendant ce Siécle. Celle d'Eutyches ne s'eftendit pas jufques-là, mais fa condamnation par le Concile de Chalcedoine y fut envoyée par le Pape Leon I. qui auparavant avoit demandé les fuffrages des Evefques pour authorifer davantage la lettre célebre qu'il écrivoit au Concile.

Le Moine & Preftre Leporiux avança une héréfie prefque pareille à celle que Neftorius enfeigna depuis : mais ayant efté chaffé pour cela de l'Eglife de Marfeille, il fe retracta par efcrit l'an 425. Celle de Pelage, Moine de la grand' Bretagne, qui commença de dogmatizer vers l'an 412. fut premiérement defcouverte par deux Evefques des Gaules nommez Heros & Lazare, qui pourfuivirent fa condamnation, prémierement en Paleftine, puis en Afrique.

Depuis que Sainct Auguftin eut terraffé cette orgueuilleufe héréfie, qui faifoit dépendre le falut des hommes de leurs propres forces, perfonne en France n'ofa l'embraffer ouvertement. Mais il y eut dans la Provence des Preftres & des Moines qui fe formérent une opinion moyenne entre cette erreur & la doctrine de ce grand Evefque : on les nomma Semipelagiens.

Quant aux Conciles, ils fe tenoient fouvent par l'ordre des Empereurs & des Rois. Quelquefois le défir des Papes, la requifition d'un Metropolitain, celle d'un feul Evefque, ou la moindre occafion les faifoit affembler. On ne fçait pas en quel lieu fe tint celuy, qui l'an 429. envoya S. Germain & S. Loup en Angleterre, pour y combattre l'erreur des Pelagiens ; Ni celuy, qui l'an 444. défpofa Chelidonius Evefque de Befançon, parce qu'il avoit efté mari d'une femme veuve, & qu'il avoit affifté à des jugemens en matiére criminelle ; Mais on fçait que celuy de Riez fe tint en 439. Le premier d'Orange en 441. Celuy de Vaifon en 442. Celuy d'Angers en 443. Le fecond d'Arles vers l'an 453. Le troifiefme du mefme lieu l'an 455. Celuy de Tours l'an 461. Celuy de Vannes l'an 465. Le quatriefme d'Arles l'an 475. Celuy d'Agde l'an 506. Et celuy d'Orleans (le premier qui fe célébra fous un Roy de France) l'an 511.

Tous ces Conciles n'eftoient compofez que des Evefques de la Province où ils fe tenoient, hormis celuy d'Agde & celuy d'Orleans ; Dont le premier fut des trois Aquitaines & des deux Narbonnoifes, pour lors encore fujetes à Alaric Roy des Vifigoths ; & l'autre des trois Aquitaines nouvellement conquifes par les François, & des deuxiefme, troifieme & quatriefme Lyonnoifes ; Car la premiére eftoit du Royaume de Bourgongne.

Au troifiefme d'Arles fut condamnée l'erreur qu'ils appelloient des P R E D E S T I N A T I E N S ; Et il s'en affembla encore un à Lyon pour le mefme effet : mais tous deux à la pourfuite de Fauftus de Riez qui eftoit Semipelagien.

Au quatriefme d'Arles fe traitta le differend de Fauftus Abbé de Lérins avec l'Evefque Theodore : Et là on fit pour la premiére fois une notable brêche à l'autorité des Evefques, en bornant leur pouvoir dans les Monaftéres : Ils l'y avoient tousjours eu tout entier, jufques-là qu'ils avoient le droit d'y mettre des Abbez & de les prendre de tout le Clergé.

Il fut dreffé dans ces Conciles plufieurs Canons, pour les ordinations, Pour empefcher les entreprifes que les Evefques faifoient les uns fur les autres, Pour conferver les droits, les afyles, & les biens des Eglifes, Pour régler les fonctions du Clergé, l'empefcher de plaider devant des Juges feculiers, & reprimer fes ufures, & la licence de courir hors du diocéfe ; Pour garder la chafteté des vierges & des veuves ; Touchant les homicides & les faux tefmoins ; Touchant la Penitence & les Penitens ; Touchant la faincteté & le célibat, que les Preftres & les Diacres doivent garder. A mefme fin tendoient les Epiftres des Papes Innocent, Zozime, Boniface, Celeftin, Leon I. Simplice, Felix, Gelafe, Anaftafe, Symmaque, qu'ils adreffoient ordinairement à l'Evefque des Gaules.

Comme il n'y avoit point de grands Siéges dans les Gaules, l'Eglife Gallicane leur eftoit beaucoup plus foufmife, que celle d'Orient, ni celle d'Afrique, mais pourtant bien moins que celle d'Italie. On avoit fouvent recours à eux dans les caufes majeures, on les confultoit fur l'ufage & fur l'intelligence des Canons ; & aprés comme ils virent que leurs refponfes tenoient lieu de décifion, ils ordonnérent ce qu'ils trouvoient bon avant mefme qu'on les confultaft. Ils fe rendoient Juges immédiatement des differends entre les Evefques, fans que l'affaire euft paffé devant le Metropolitain, fe mefloient de borner leurs territoires & leurs Jurifdictions, dépofoient ceux qui eftoient mal ordonnez ou criminels, & les contraignoient d'aller à Rome pourfuivre leur caufe devant eux. L'obligation qu'ils avoient par la primauté de leur Siége de faire obferver les Canons, leur donnoit cette grande authorité : mais les Evefques prenoient garde foigneufement, qu'ils ne les enfraigniffent pas, & eux-mefmes avoüoient qu'ils eftoient obligez de les fuivre.