H  I  S  T  O  I  R  E

D U  V I C O M T E

D  E   T  U  R  E  N  N  E.

L  I  V  R  E    S  E  C  O  N  D.

  J U S Q U ' I C I  nous avons passé assez légèrement sur toutes les actions militaires que nous avons décrites, parce qu’elles ne regardoient pas directement le vicomte de Turenne, qui ne commandoit point en chef. Car, quoiqu’il fût peut-être supérieur par la capacité à ceux qui étoient au-dessus de lui par le grade ; quoique par le conseil et par l’exécution il eût en certaines occasions plus contribué à faire réussir les entreprises, que ceux-mêmes qui en étoient chargés, cependant comme c’est un usage établi de donner aux généraux tout l’honneur des succès, nous laissons à ceux qui écrivent la vie des capitaines sous lesquels le vicomte de Turenne a servi, le soin de raconter plus au long les siéges et les batailles dont nous venons de parler, comme faisant plutôt partie de leur histoire que de la sienne. Mais désormais que presque toujours seul maître des armées où il se trouvera, il sera aussi presque toujours seul chargé des événemens, nous les décrirons avec toutes leurs circonstances, et dans tous les détails qui pourront convenir à un ouvrage du caractère de celui-ci.

    Le maréchal de Guébriant, qui après la mort du duc de Veimar avoit été mis à la tête de son armée, venoit de mourir de la blessure qu’il avoit reçue au siége de Rottweil, ville impériale située à la source du Necker. Le comte de Rantzaw, qui étoit le plus ancien officier de l’armée, en avoit pris le commandement, et l’avoit menée aux environs de Dutlinghen, ville peu éloignée de la source du Danube, où le baron de Mercy, général des troupes du duc de Bavière, qui s’étoit ligué avec l’empereur contre nous, l’enleva avec tous ses officiers généraux et toute son armée, à la réserve de cinq à six mille hommes qui se sauvèrent en-deçà du Rhin sans chef, sans argent et sans armes. C’est à quoi se trouvoit réduite cette armée, qui avoit été la terreur de l’empire sous le duc de Veimar ; et ce fut avec ce débris de troupes, sans autres forces, qu’on chargea le vicomte de Turenne de défendre la France du côté de l’Allemagne, contre les efforts des armées de l’empereur, du duc de Bavière et du duc de Lorraine, que les ennemis avoient réunies, dans l’espérance de profiter du triste état où l’affaire de Dutlinghen nous avoit réduits. Pour surcroît de malheur, Torstenson, général de l’armée Suédoise, qui jusque-là avoit agit de concert avec la nôtre contre les Impériaux, s’en alla dans le Holstein, sans même nous donner avis de son départ.

    Tel étoit l’état de nos affaires en Allemagne, lorsque le vicomte de Turenne y arriva. Il commença par emprunter sur son crédit une somme considérable d’argent pour subvenir aux besoins des troupes ; et cependant que presque tous les grands du royaume survendoient à la reine régente les moindres services qu’ils rendoient à la couronne, il fit remonter la cavalerie et rhabiller l’infanterie à ses propres dépens ; il acheta de nouveaux équipages d’artillerie, et les recrues de chaque régiment ayant faites, il trouva, par la revue qu’il en fit, que ce petit corps de troupes étoit de six à sept mille hommes. Avec une aussi foible armée, bien loin d’être en état de faire aucune entreprise, il n’y avoit pas d’apparence qu’il pût seulement tenir la campagne. Néanmoins, comme au commencement d’une minorité il étoit très-important, pour les intérêts de la France, de faire tête par-tout aux ennemis, le vicomte de Turenne passa le Rhin à Brisac ; et ayant su que le frère du général Mercy étoit avec un corps de deux mille chevaux aux environs d’Hutinghen, au-delà de la forêt-noire, il le fit attaquer par quatre ou cinq régimens ; il lui tailla en pièces six cent hommes, avec beaucoup d’officiers ; le reste se sauva vers le général Mercy, qui, malgré cet échec, ayant encore quinze ou seize mille hommes, alla mettre le siége devant Fribourg, capitale du Brisgaw. Quelque foible que fût le vicomte de Turenne, il vouloit tenter de secourir cette place ; mais la reine régente lui ayant défendu de rien entreprendre de ce côté-là jusqu’à ce que le duc d’Anguien y fût arrivé avec le maréchal de Guiche, qui y conduisoit douze mille hommes, il fut obligé de les attendre.

    Cependant les Bavarois ayant vivement pressé Fribourg, ils s’en rendirent maîtres avant que le duc d’Anguien fût arrivé. Mais ce prince n’eût pas plutôt joint ses troupes à celles du vicomte de Turenne, qu’il résolut d’aller chercher l’ennemi, et de le combattre en quelque endroit qu’il fût. Le général Mercy, après la prise de Fribourg, étoit resté dans le camp qu’il avoit auprès de cette ville, ne croyant pas pouvoir se poster ailleurs plus avantageusement. En effet, il étoit dans une plaine toute environnée de marais et de montagnes, qui formoient une espèce de carré long, lequel n’avoit pour toute ouverture, de notre côté, que le grand chemin de Brisac à Fribourg. Il avoit derrière lui cette dernière ville : la tête de son armée faisoit face au chemin de Brisac, par lequel on devoit naturellement venir à lui ; car les marais qu’il avoit sur sa droite étoient absolument impraticables, et les montagnes qui fermoient sa gauche, étoient si près l’une de l’autre, que l’espace qui se trouvoit entre deux devoit plutôt être regardé comme un défilé, que comme un vallon. Cependant comme son armée prêtoit le flanc à ceux qui l’auroient attaquée par ce passage, il y avoit fait faire des retranchemens outre ceux que les ravins y formoient déjà : il l’avoit fait barrer de sapins couchés en travers, dont les branches étoient coupées par la moitié, et qui, par ce moyen, hérissés de pieux en tous sens, servoient de chevaux de frise : il avoit garni le bois à droite et à gauche de mousquetaires ; si bien qu’il étoit persuadé qu’on n’oseroit pas l’attaquer par cet endroit. Quant au chemin de Fribourg à Brisac, il croyoit y avoir assez bien pourvu, en mettant un gros corps de troupes sur la montagne, qui étoit à la tête de ce chemin et qui le commandoit entièrement.

    Le duc d’Anguien ayant reconnu la disposition de ce camp, résolut de l’attaquer, et par le chemin de Brisac, et par le vallon tout-à-la-fois. L’armée des Bavarois étoit de quinze mille hommes, et la nôtre de dix-neuf mille. Le duc d’Anguien prit la moitié des troupes, et voulut attaquer les ennemis par la montagne qui défendoit le chemin de Brisac à la tête de leur camp ; et le vicomte de Turenne, avec l’autre moitié de l’armée, se chargea de les attaquer par le vallon. Pour cela il falloit faire le tour de la montagne à travers les bois. Il partit donc dès la pointe du jour, afin d’arriver assez tôt, et de pouvoir faire son attaque en même temps que le duc d’Anguien feroit la sienne, comme cela arriva ; car à l’heure dont ils étoient convenus, c’est-à-dire, trois heures avant la nuit, le duc d’Anguien fit charger les ennemis au pied de la montagne, et en ayant gagné le sommet, après trois heures de combat, il résolut d’y passer la nuit, et d’attendre au lendemain à descendre dans la plaine.

    Le vicomte de Turenne étoit entré dans le vallon à la même heure, et avoit fait charger l’infanterie que le général Mercy avoit logée à droite et à gauche, dans les bois dont les deux montagnes étoient couvertes. Cette infanterie s’étoit fait par-tout des retranchemens par des abattis d’arbres, et il falloit livrer un nouveau combat à chaque pas qu’on faisoit. Cependant le vicomte de Turenne poussa si vivement les ennemis, qu’il se rendit maître des deux côtés du défilé, passa tous les fossés et les ravins qui le traversoient, et pénétra dans la plaine, où il fit entrer une partie de ses troupes. Comme ce fut justement le temps où le duc d’Anguien avoit cessé le combat, le général Mercy, qui n’étoit plus obligé à partager ses forces, vint contre le vicomte de Turenne avec toute son armée. Le feu fut continuel de part et d’autre durant toute la nuit, c’est-à-dire, plus de sept heures entières. Les Bavarois firent les derniers efforts pour nous obliger à repasser le défilé ; néanmoins quoique l’infanterie fût soutenue de toute leur cavalerie, et que nous n’eussions pu avoir qu’un seul escadron derrière la nôtre, faute d’espace, le vicomte de Turenne conserva le terrein qu’il avoit gagné, et le général Mercy ayant déjà trois mille hommes hors de combat, crut devoir penser tout de bon à sauver le reste de son armée. L’obscurité de la nuit empêchoit que le vicomte de Turenne ne vît les mouvemens qu’il faisoit ; il n’y avoit déjà plus vis-à-vis de nous que quelques rangs de mousquetaires, qui faisoient de fréquentes décharges de leurs armes, pour nous faire croire que toute l’armée y étoit encore ; et Mercy s’étoit retiré avec le reste de ses troupes, sans qu’on s’en fût apperçu ; de sorte que lorsque le jour parut, ces mousquetaires ayant pris la fuite, le vicomte de Turenne vit qu’il n’y avoit plus personne dans la plaine, et y entra avec le corps qu’il commandoit ; ce que le duc d’Anguien ayant aperçu de l’endroit où il étoit, il descendit aussi dans la plaine avec ses troupes. Cependant les Bavarois ayant gagné la montagne-noire, commençoient à s’y retrancher. Nous n’étions à la vérité qu’à une lieu de cette montagne ; mais comme les soldats que commandoit le vicomte de Turenne, étoient extrêmement fatigués du combat qui avoit duré toute la nuit, et de la pluie qu’ils avoient eue, outre cela, continuellement sur le corps, on ne jugea pas à propos de marcher aux ennemis qu’on n’eût fait reposer les troupes. Il est vrai que pendant ce temps-là les ennemis travaillèrent sans relâche à fortifier leurs retranchemens : néanmoins, quand le lendemain on fut arrivé au pied de la montagne sur laquelle étoient les Bavarois, on se prépara à les attaquer de telle sorte que le vicomte de Turenne, qui n’étoit pas d’un caractère à se flatter, se tenoit assuré de leur défaite, sur la seule disposition des attaques dont il devoit ce jour-là conduire la principale ; mais s’étant avancé avec le duc d’Anguien, pour aller reconnoître encore une fois le camp des ennemis, d’une hauteur qui étoit à deux mille pas de là, d’Espenan qui commandoit toute l’infanterie de l’armée du duc d’Anguien, et à qui le vicomte de Turenne avoit dit expressément de ne rien engager jusqu’à ce qu’il fût revenu, comme s’il avoit prévu ce qui devoit arriver ; d’Espenan, dis-je, pour se faire valoir par une aussi petite action que celle de la prise d’une redoute, en attaqua une qui étoit au pied de la montagne, d’où les ennemis firent une si furieuse décharge de canon et de mousqueterie, que nos soldats, croyant le combat engagé, s’avancèrent de tous côtés, sans ordre, et sans chefs. Les Bavarois, tirant avantage de cette confusion, sortirent de leurs retranchemens, et firent un grand carnage de nos gens. Le vicomte de Turenne, ayant été averti, accourut à eux ; mais le désordre étoit si grand qu’il ne put, ni se faire reconnoître, ni se faire entendre ; de sorte qu’il fallut qu’il gagnât les rangs de nos troupes les plus avancées, et qu’à leur tête il poussât les ennemis et les fit rentrer dans leurs retranchemens, pour retirer nos gens du danger où ils s’étoient précipités. Le duc d’Anguien voulut réparer ce contre-temps par de nouvelles attaques, qui n’eurent pas le succès qu’on en avoit espéré. On soutint par honneur le combat jusqu’au soir, afin qu’il parût que c’étoit la nuit seule qu’y avoit mis fin ; mais il nous en coûta la meilleure partie de notre infanterie, qui y fut défaite. Cependant, comme les ennemis n’avoient perdu guère moins de monde que nous dans cette dernière affaire, et qu'ils en avoient beaucoup plus perdu dans le premier combat, notre armée se trouvoit encore supérieure à la leur. Nous nous préparâmes donc à les attaquer, lorsqu’ils auroient abandonné la montagne où ils avoient tant d’avantage sur nous : et comme ils ne pouvoient se retirer que par le Val de Saint-Pierre, nous allâmes nous poster à Lansdelinghen, à dessein d’enfiler le Val du Bloterdal lorsqu’ils entreroient dans celui de Saint-Pierre, et de les couper à l’abbaye qui est au bout de cette vallée ; ce qui arriva comme nous l’avions prévu. Mais les ennemis, qui ne vouloient point en venir aux mains avec nous, voyant que nous nous mettions en bataille auprès de cette abbaye, nous abandonnèrent leur canon, leur bagage, et toutes leurs munitions, et s’enfuirent avec précipitation dans le pays de Wirtemberg, par les montagnes de la forêt-noire. Le duc d’Anguien les poursuivit jusqu’à Holgrave, et le vicomte de Turenne encore deux lieues plus loin, ayant campé cette nuit-là à cinq grandes lieues de l’abbaye du Val de Saint-Pierre, où s’étant rendu le lendemain, toute l’armée retourna à Lansdelinghen, d’où elle étoit partie.

    La retraite des ennemis nous laissant maître de la campagne, le duc d’Anguien s’avança vers le marquisat de Baden, et descendant le long du Rhin, s’empara de Lichtenaw, de Baden, de Durlach, Landau, Philisbourg, Neustas, Spire, et les autres villes et forteresses qui se trouvèrent à droite et à gauche sur sa route, et qui firent peu de résistance, à la réserve de Philisbourg ; si bien qu’en une seule campagne il se rendit maître d’une grande partie de Brisgaw et de l’Ornaw, du marquisat de Baden, du palatinat du Rhin, du landgraviat de Darmstat, de l’électorat de Mayence, et de tout le cours du Rhin depuis Strasbourg jusqu’auprès de Coblentz dans l’électorat de Trèves, c’est-à-dire, d’une étendue de pays de plus de cinquante lieues. Il donna ordre qu’on ramenât son armée en France : il s’en retourna à la cour, pour y jouir de la gloire de tant de conquêtes ; et laissa le vicomte de Turenne sur la frontière, pour les conserver, avec cinq à six mille hommes qui lui restoient.

    Cependant le général Mercy, ayant eu le temps de rétablir son armée, s’approcha du Rhin ; et menaçant trois ou quatre de nos villes à la fois pour nous mieux embarrasser, il se jeta tout d’un coup sur Manheim, où nous n’avions pu mettre pour toute garnison que quatre compagnies, dont les officiers se sauvèrent à l’arrivée des Bavarois, qui après cela s’emparèrent aisément de la ville.

    D’autre côté, Gléen, général des Impériaux avoit joint son armée à celle que le duc de Lorraine commandoit en personne sur la Moselle ; et il étoit à craindre que ces trois généraux unissant leurs troupes, ne vinssent nous accabler tout d’un coup ; ou qu’agissant séparément, l’un ne nous surprit, tandis que nous serions en garde contre l’autre.

    Le vicomte de Turenne étoit peut-être l’homme du monde le plus capable de défendre une aussi grande étendue de pays avec un aussi petit nombre de troupes. C’étoit là son véritable talent : néanmoins comme il avoit des sentimens très-modestes de lui même, il demanda du renfort à la cour, témoignant que sans cela, il ne croyoit pas pouvoir empêcher que plusieurs de nos places n’eussent le même sort que Manheim. On ne lui répondit autre chose, sinon qu’on avoit besoin des troupes ailleurs, qu’il fît de son mieux, et que c’étoit tout ce qu’on demandoit de lui. Voyant donc qu’il ne pouvoit rien obtenir de plus que ce qu’il avoit, il fut obligé de suppléer au nombre par ses stratagêmes, et de se multiplier pour ainsi dire de lui-même par son activité, afin de pouvoir faire tête aux ennemis, qui étoient devant et derrière lui, et qui se préparoient à l’attaquer de tous côtés.

    Les Bavarois ayant pratiqué des intelligences dans Spire, mirent douze cents mousquetaires sur des bateaux, espérant les faire descendre par le Rhin dans la ville. Mais le vicomte de Turenne ayant découvert leurs desseins, borda ce fleuve d’infanterie, et empêcha les bateaux de passer : il fit arrêter les traîtres et sauva Spire.

    Presque dans le même temps le général Gléen et le duc de Lorraine, étant venus assiéger, avec deux armées, Baccarach, ville du Palatinat, située sur le Rhin, le vicomte de Turenne laissa un corps de deux mille hommes sous Philisbourg, pour empêcher toutes sortes de surprises de la part du général Mercy, et prenant seulement cinq cents chevaux avec lui, il s’avança jusqu’auprès de Binghen, d’où ayant envoyé vers Baccarach des officiers et des commissaires, pour marquer un camp et préparer des vivres à une grande armée, les ennemis qui crurent qu’effectivement il marchoit à eux avec un grand nombre de troupes, levèrent le siége avec précipitation, et se retirèrent au-delà de la Moselle.

    Quelques jours après, le régiment de Nettancourt, qui étoit dans Creutznach, poste important entre le Rhin et la Moselle, ayant abandonné la place à l’arrivée des Bavarois, le vicomte de Turenne la fit attaquer et la reprit. Il renforça les garnisons de toutes les autres villes, il les mit en état de faire vigoureuse défense, au cas qu’elles fussent attaquées, et il se posta si bien entre les trois généraux ennemis, qu’ils ne purent joindre leurs armées ensemble durant tout le reste de l’hiver.

    Dès le mois de mars, ayant voulu commencer la campagne, il fit attaquer Germesheim, qui est un peu au-dessus de Philisbourg, et prit cette place par escalade. Il passa le Rhin à Spire : il fit marcher son petit corps de troupes à Pforszheim dans le marquisat de Baden ; le général Mercy se retira aussitôt au-delà du Necker, nous abandonnant ce qui étoit en-deçà. Le vicomte de Turenne, entré dans la Suabe, fait lever le siége du château de Magold aux Bavarois, s’empare de Stutgard dans le duché de Wirtemberg, passe le Necker, prend Suabschall d’emblée, et forçant Mercy à se retirer jusqu’à Dunckelspield, s’avance vers le Tauber dans la Franconie, y prend Rottembourg et Mariandal, où s’étant rétabli pour avoir derrière lui les états de la landgrave de Hesse notre alliée, qui devoit joindre son armée à la nôtre, quand le temps du quartier d’hiver seroit fini, il envoya des partis dans la Souabe, dans la Franconie, et dans tous les pays des environs, d’où par ce moyen il faisoit apporter dans son camp toutes sortes de provisions en abondance ; si bien qu’avec un aussi petit nombre de troupes que celles qu’on lui avoit laissées, non-seulement il conserva toutes les places que nous avions conquises, mais il en prit encore aux ennemis cinq fort considérables, d’où il faisoit des courses jusqu’aux portes de Wirtembourg, de Nuremberg, et de plusieurs autres villes auxquelles il fit payer toutes les contributions qu’on a coutume d’exiger quand on est maître de la campagne.

    Ces heureux succès furent suivis d’un revers de fortune, que le vicomte de Turenne avoit prévu, contre lequel il s’étoit même précautionné, et qu’il ne sut néanmoins éviter. Car, comme ses troupes, fatiguées de tant de mouvemens, d’actions et de marches, lui demandoient à aller dans les petites places des environs, pour s’y reposer et subsister plus commodément, il le leur refusa ; quoique jamais aucun capitaine ne se soit fait un plus grand plaisir que lui, de procurer à ses soldats toutes sortes de commodités : mais en cette occasion il appréhendoit que les ennemis ne fussent encore assemblés en correspondance, et que retournant sur leurs pas, ils ne vinssent attaquer ses quartiers lorsqu’ils seroient séparés. Cependant ses officiers le lui demandèrent avec nouvelles instances : et comme le général major Rose le pressoit sur cela jusqu’à l’importunité, il lui donna un détachement de cavalerie, pour aller reconnoître ce que faisoient les ennemis, et il envoya encore quelques autres officiers en parti pour le même sujet. Tout le monde lui rapporta que l’armée ennemie étoit séparée, et que les Bavarois se fortifioient dans les diverses places où on les avoit mis en quartier, comme des gens qui ne songeoient à rien moins qu’à en sortir. Il céda donc enfin à l’importunité de Rose, sur le rapport duquel il crut qu’il devoit compter, parce que c’étoit un vieil officier ; n’y ayant pas d’apparence que des gens qui fuyoient devant nous, dussent venir sitôt nous attaquer ; et que quand ils le voudroient ils le pussent faire si subitement que nous n’en fussions pas avertis, étant à plus de seize lieues de nous. Néanmoins le vicomte de Turenne appréhendant toujours quelque surprise, retint autour de lui le canon et l’infanterie, et ne voulut pas que la cavalerie s’éloignât de plus de deux ou trois lieues de Mariandal, dont il fit le quartier général, commandant aux officiers de s’y rendre en diligence au premier ordre qu’ils en recevroient.

    Le lendemain du jour auquel il sépara ainsi son armée, ne se tenant pas assuré de la séparation de celles des ennemis, quelque chose qu’on lui en put rapporter, il fit rapprocher de Mariandal tous les autres quartiers. Plus il y réfléchissoit, plus il se reprochoit d’avoir cru trop légèrement que les ennemis se fussent séparés, sur le rapport de quelques officiers qui pouvoient s’être acquittés de leur commission avec négligence. Voulant donc s’en éclaircir par lui-même, il prit la grande garde de l’armée, il s’avança trois lieues dans le chemin par où on le pouvoit venir attaquer, et n’ayant rien découvert, il envoya un parti encore plus loin, avec ordre à l’officier qui le commandoit de ne point revenir qu’il ne lui rapportât des nouvelles bien certaines des ennemis, et ce fut cet officier qui, le lendemain, dès cinq heures du matin, vint lui dire que le général Mercy s’avançoit à grands pas avec toute son armée, et n’étoit pas fort éloigné de lui. Le vicomte de Turenne se lève à la hâte, il envoie ordre à tous les quartiers de se rendre à Herbstausen, village où étoit la grande garde, à une lieue et demie de Mariandal, et commande au général-major Rose de s’y rendre en diligence, pour y recevoir les troupes à mesure qu’elles arriveroient. Le général-major Rose reconnut la disposition des lieux, et ayant vu qu’il y avoit une assez grande plaine au-delà d’un bois qui étoit à la tête de notre grande garde, il lui fit passer ce bois qui avoit cinq ou six cents pas de longueur, et commença à ranger quelques régimens dans la plaine ; en quoi il fit une très-grande faute d’exposer ainsi à découvert le petit nombre de nos troupes ; au lieu que si nous fussions demeurés en-deçà du bois, et que nous en eussions fermé l’entrée avec quelques bataillons, les ennemis, qui eussent pu craindre que toute notre armée ne fût derrière ces bataillons, n’auroient peut-être osé nous attaquer, et se seroient retirés sans combattre. Le vicomte de Turenne connut la faute aussi-tôt qu’il fut sur le lieu ; et sans s’amuser à en faire des reproches au général-major Rose, il donnoit ses ordres pour faire repasser le bois à nos troupes, lorsqu’ayant découvert l’avant-garde de l’armée ennemie, qui n’étoit plus qu’à un quart de lieue de nous, il vit bien qu’il n’avoit pas assez de temps pour aller se mettre derrière le bois, et que le seul parti qu’il avoit à prendre étoit de ranger promptement en ordre de bataille le peu de troupes qui étoient là ; car il n’y avoit que trois mille hommes d’infanterie d’arrivés, et sept ou huit régimens de cavalerie. Dans cet état, voulant profiter de tous les avantages du lieu, et ayant vu à droite un petit bois, il y mit toute son infanterie, soutenue seulement de deux escadrons, et en fit son aile droite ; il composa l’aile gauche de tout le reste de la cavalerie qu’il mit sur une seule ligne, excepté deux escadrons, dont il fit une espèce de seconde ligne, et attendit ainsi l’ennemi.

    Le général Mercy, qui avoit eu le temps de ranger régulièrement son armée, pendant que le vicomte de Turenne s’étoit appliqué à tiré avantage de la disposition du terrein, commença à nous canonner ; mais voyant que son canon ne faisoit pas grand effet, et que cependant il nous arrivoit à tout moment de nouvelles troupes qui auroient bien pu à la fin rendre notre armée égale à la sienne, il se mit à la tête se son infanterie pour aller attaquer le petit bois, dont il falloit absolument qu’il se rendît le maître, afin de pouvoir faire agir son aile gauche. Le vicomte de Turenne marcha en même temps avec sa cavalerie contre l’aile droite de l’ennemi, l’enfonça, rompit tous les escadrons, ébranla même la seconde ligne, et prit douze étendards. Mais pendant qu’il renversoit ainsi la cavalerie des Bavarois, notre infanterie, alarmée de ce que le vicomte de Turenne avoit pris tant de précautions, et se croyant à cause de cela dans un péril inévitable, jeta les armes bas à la première attaque des ennemis et se sauva à travers le petit bois, dont le général Mercy s’étant rendu maître, il fit avancer toute la cavalerie de son aile gauche derrière la nôtre pour l’envelopper. C’étoit en quoi consistoit alors toute notre armée, n’y ayant plus d’aile droite. Le vicomte de Turenne, qui avoit rompu la seconde ligne de l’aile droite des ennemis comme la première, et qui n’avoit plus devant lui que trois escadrons du corps de réserve à défaire, ayant vu son infanterie jeter les armes bas, et le mouvement que les ennemis faisoient pour le venir envelopper, cessa de combattre ; et ayant fait en un moment le plan de sa retraite, il commanda à l’infanterie de marcher droit à Philisbourg sans s’arrêter : il y envoya Beauregard – Chabris pour la rallier, la faire descendre sur le Rhin jusqu’à Mayence, et la lui amener dans le Landgraviat de Hesse, où il résolut d’aller avec toute sa cavalerie, quoiqu’il en fût à plus de trente lieues, et qu’il lui fallût pour cela traverser toute la Franconie, pays qui étoit à la dévotion du vainqueur.

    Suivant ce plan, il ordonna à d’Espence de Beauveau de se mettre à la tête de la cavalerie, de passer le Tauber et le Mein, et de marcher toujours jusqu’à ce qu’il fût arrivé aux frontières du pays de Hesse ; et pour lui, s’étant mis à l’arrière-garde, il repassa le bois, en soutenant avec les derniers escadrons tous les efforts des ennemis qui le poursuivoient. Mais il fut bien surpris, lorsqu’étant arrivé à la sortie du bois, il se vit coupé par un corps de cavalerie à qui le général Mercy avoit fait faire le tour de ce bois, dans l’espérance que cette cavalerie, marchant toujours sans trouver aucun obstacle, arriveroit au grand chemin de Mariandal avant le vicomte de Turenne, qui seroit obligé de s’arrêter souvent pour faire tête à l’autre corps de cavalerie, qu’il avoit détaché après lui. Cependant, le vicomte de Turenne ne pouvant pas reculer, et se trouvant renforcé de trois régimens tout frais qui venoient d’arriver là, suivant l’ordre qu’il leur avoit envoyé de se rendre à la grande garde, crut qu’il n’avoit point d’autre parti à prendre, que celui de passer sur le ventre des ennemis, et de s’ouvrir un passage à la pointe de l’épée ; ce qu’il effectua très-vigoureusement, sans autre perte que celle de quelques cavaliers ; après quoi il gagna Mariandal. Il passa le Tauber, où il fit ferme deux ou trois fois, pour s'opposer aux Bavarois, qui vouloient passer au même gué que nous : il continua sa retraite, en faisant tête aux ennemis à tous les défilés, et en ralliant à droite et à gauche tous ceux qui s’écartoient ; il arriva au Mein, qu’il passa à gué, et craignant que quelque corps de cavalerie ne nous poursuivît, il demeura deux jours entiers dans les bois avec quinze cents chevaux, avant que d’entrer dans la Hesse, où il rejoignit enfin ses troupes.

    Il n’arrive guère de malheurs à une armée, qui ne soient d’abord imputés au général ; mais bien loin qu’on rejetât celui-ci sur le vicomte de Turenne, qui au fond avoit pris de grandes précautions pour s’en garantir, on releva beaucoup la présence d’esprit avec laquelle il prit le parti de marcher aux Bavarois dans le moment même où il apprit qu’ils venoient à lui ; car s’il fût demeuré à Mariandal pour y attendre ses gens, le général Mercy auroit pu attaquer ses quartiers les plus avancés l’un après l’autre, et les enlever avant qu’ils eussent pu le joindre ; au lieu qu’ayant gagné la tête de tout, il se trouva en état de résister aux ennemis sitôt qu’ils parurent. On fit encore extrêmement valoir cette pénétration par le moyen de laquelle il forma le projet de sa retraite, et en prévit toutes les conséquences comme en un instant. On admira enfin, au-delà de tout ce que j’en saurois dire, cette profondeur de jugement et cet esprit de ressource, qui lui fit prendre la résolution de mener si avant dans l’Allemagne les débris de son armée battue ; car il n’y avoit personne qui, en sa place, ne se fût retiré du côté du Rhin, et qui n’eût cru faire un coup de grand capitaine en allant couvrir Philisbourg, et se mettre tous ensemble à couvert de cette place. Mais le vicomte de Turenne, qui avoit des vues plus étendues qu’un autre, jugea plus à propos d’aller dans la Hesse, persuadé que les ennemis ne manqueroient pas de l’y poursuivre, dans l’espérance d’achever sa défaite, et qu’en y attirant ainsi la guerre, d’un côté nos conquêtes du Rhin seroient en sûreté, et de l’autre la Landgrave de Hesse, qui, suivant l’usage de l’Allemagne, vouloit absolument laisser encore un mois ses troupes dans leurs quartiers d'hiver, seroit obligé de les en faire sortir incessamment pour la défense de son propre pays, et de les joindre aux nôtres ; ce qui nous mettroit aussitôt en état de pouvoir résister aux ennemis.

    En effet, nous ne fûmes pas plutôt dans le comté de Valdek, que le général Mercy vint assiéger Kircheim, ville située à l’entrée du pays de Hesse. Nous n’avions pas plus de trois mille chevaux et douze cents homme de pied. La Landgrave de Hesse fut donc obligée, malgré elle à faire sortir ses troupes de leurs quartiers pour aller au secours de Kircheim. Le vicomte de Turenne fit même si bien, qu’il engagea le comte de Konigsmark, général Suédois, qui hivernoient dans le duché de Brunswic, à sortir aussi de ses quartiers, et à joindre les quatre mille hommes qu’il commandoit aux six mille que la Landgrave de Hesse envoya sous la conduite du général Geis. A la tête de cette armée, le vicomte de Turenne s’avança vers Kircheim, et le général Mercy se retira aussitôt de devant cette place. Nos soldats qui savoient que la disgrace de Mariandal étoit arrivée au vicomte de Turenne, en partie par son trop de bonté pour eux, brûloient d’envie de le venger, et vouloient qu’il les menât en Franconie, où les ennemis s’étoient retirés après la levée du siége de Kircheim ; mais comme il reçut ordre de la cour de ne rien entreprendre jusqu’à ce que le duc d’Anguien et le maréchal de Grammont fussent arrivés avec les huit mille hommes qu’ils conduisoient, il fallut qu’il suspendît l’ardeur de ses soldats ; et tout ce qu’il put, pour satisfaire en quelque façon à leur impatience, fut de les mener au devant du duc d’Anguien, afin d’avancer de quelques jours la jonction des deux armées, et être plutôt en état de poursuivre les ennemis. Pour cela, il repassa le Mein ; il traversa le pays de Darmstad et le Bergstraas. Il prit chemin faisant la ville de Venheim et arriva enfin à Spire, où le duc d’Anguien ayant passé le Rhin et ayant joint son armée à celle du vicomte de Turenne, on marcha vers Hailbron à dessein d’y passer le Necker ; mais comme les ennemis nous avoient prévenus, et avoient déjà rangé leur armée en bataille sur les hauteurs, nous descendîmes à Wimphen, qui est deux lieues au-dessus de Hailbron. Nous nous rendîmes maîtres de cette ville, nous en fîmes un pont, et le général Mercy voyant que nous avions un passage sur le Necker, se retira à Feuchtwang, qui est à plus de vingt lieues de là dans la Franconie.

    Ce fut immédiatement après le passage du Necker, que le général Konigsmark et le général Geis, piqués de ce que le duc d’Anguien leur avoit parlé avec un certain air de hauteur en leur commandant quelque chose, déclarent qu’ils alloient quitter notre armée, et emmener avec eux leurs troupes. Le duc d’Anguien vouloit qu’on les chargeât, pour les retenir par la crainte d’être taillés en pièces ; mais le vicomte de Turenne lui ayant fait entendre que ces étrangers n’étoient pas accoutumés à être traités de cette manière, il parla aux chefs avec sa douceur et sa politesse ordinaires, et il fit si bien qu’il engagea le général Geis à rester avec nous. Quant au général Konigsmark, il fit monter un fantassin en croupe derrière chacun de ses cavaliers, et se retira de cette sorte à Bremen dans la basse Saxe. Les Suédois nous ayant quittés, nous marchâmes avec les Hessiens vers le Tauber, et nous nous emparâmes de toutes les villes qui se trouvèrent sur la route. Les ennemis ne défendirent que Rottembourg ; mais cette place ayant été prise d’assaut en une nuit, le général Mercy décampa de Feuchtwang, et se retira du côté de Donawert, après avoir jeté beaucoup de troupes dans Dunckelspield, persuadé que nous allions faire le siége de cette ville, et que nous n’aurions garde de nous engager entre son armée et une place où il avoit mis une si grosse garnison. En effet, nous ouvrîmes la tranchée, mais dès le soir même, ayant été avertis que le général Mercy s’avançoit vers Norlinghen, nous quittâmes Dunckelspield, et toute l’armée se mit en marche à minuit dans le dessein de prévenir les ennemis.

    A la pointe du jour nous découvrîmes leur avant-garde, qui tenoit la route qu’on nous avoit dit. Le général Mercy nous apperçut aussi dans le même temps, et comme l’endroit où il se trouvoit lui étoit très – favorable, il y rangea son armée en bataille, et résolut de nous y attendre. Il y avoit une rivière devant lui, et de grands étangs à sa droite et à sa gauche. Nous ne pouvions aborder les ennemis par aucun endroit : nous fîmes avancer notre canon, et les Bavarois mirent aussi le leur à la tête de leur camp. On se canonna pendant toute la journée avec une perte à peu près égale de part et d’autre, et comme on ne pouvoit faire autre chose en ce lieu-là, nous en décampâmes deux heures avant le jour pour aller à Norlinghen, où il nous étoit aisé d’arriver avant les ennemis. En effet, dès les neuf heures du matin nous nous trouvâmes dans la grande plaine qui est devant cette ville, et sur le midi, nous apprîmes que le général Mercy, persuadé que nous allions nous attacher au siége de Norlinghen, avoit passé la petite rivière de Wernitz, et commençoit à faire travailler aux retranchemens dans un camp déjà très-avantageux qu’il avoit occupé à deux lieues de nous, et d’où il avoit dessein de nous disputer la prise de cette place. Nous nous rangeâmes aussitôt en bataille ; nous marchâmes aux ennemis, laissant nos bagages derrière nous dans les villages de Petitzhein et de Mexeinghen, et sur les quatres heures nous étant trouvés en leur présence, nous reconnûmes la disposition de leur camp.

    Vers le milieu de la plaine de Norlinghen, qui est très-étendue, se trouve un vallon d’une médiocre grandeur, devant lequel est Allerheim, gros village qui est comme flanqué de deux montagnes qu’il a à ses côtés : la montagne de Wineberg, qui est fort haute, est à droite, quand on va du village à Norlinghen, et la montagne sur laquelle est le château d’Allerheim, est à gauche. Ces deux montagnes sont à un quart de lieue l’une de l’autre, et le village qui est entre deux, est plus avancé vers Norlinghen d’environ trois cents pas. Le terrein, qui est entre le château d’Allerheim et le village, est uni comme une plaine, et celui qui est de l’autre côté, est une pente qui descend insensiblement de la montagne de Wineberg jusqu’au même village.

    C’est là où le général Mercy avoit rangé son armée en bataille. Son aile droite, commandée par le général Gléen, s’étendoit jusque sur le haut de la montagne de Wineberg ; et son aile gauche, où étoit le général Jean de Werth, jusqu’au château d’Allerheim. Le corps de bataille où il s’étoit mis, occupoit le vallon, qui faisoit le centre de l’armée, et avoit à sa tête le village d’Allerheim. Ses deux ailes étoient toutes composées de sa cavalerie, excepté quelques bataillons qu’il avoit mis aux extrémités, c’est-à-dire, sur la montagne de Wineberg, et sur celle du château d’Allerheim, et tout le reste de l’infanterie formoit le corps de bataille. Il avoit fait entrer quelques bataillons dans le village, et avoit jeté quantité de mousquetaires dans l’eglise, dans le clocher et le cimetière qui étoit fermé de murailles. Il avoit fait faire des retranchemens à la tête de toutes ses troupes ; et ceux de deux montagnes étoient bordées de canons ; ainsi que le rideau qui règne de l’un à l’autre, où il avoit fait dresser plusieurs batteries. C’est dans cette situation qu’il prétendoit nous recevoir, si nous venions à lui ; ou demeurer campé, si nous formions le siége de Norlinghen. Son armée étoit de quatorze à quinze mille hommes, et la nôtre de seize à dix-sept mille.

    Tout en ayant été examiné dans le conseil de guerre, le vicomte de Turenne fut d’avis qu’on ne pouvoit engager une affaire générale avec les ennemis ainsi postés et retranchés, sans exposer notre armée à être entièrement défaite. Mais le duc d’Anguien et le maréchal de Grammont, qui étoient d’un autre sentiment, l’ayant emporté sur lui, il fut résolu qu’on donneroit bataille ; que le maréchal de Grammont commanderoit l’aile droite, le vicomte de Turenne l’aile gauche, le comte de Marsin, maréchal de camp, le corps de bataille, et le chevalier Chabot, aussi maréchal de camp, le corps de réserve. Quant au duc d’Anguien, qui disposa de tous ces postes, il n’en choisit aucun pour lui, disant qu’il vouloit être par-tout ce jour-là.

    Il étoit déjà cinq heures après-midi, quand tout fut en état de notre côté. Alors nous commençames à canonner le village, ce qui ne dura qu’une demi-heure : car les batteries des ennemis, qui avoient été dressées les premières, avoient beaucoup d’avantage sur les nôtres, et le duc d’Anguien, voyant qu’il n’avançoit pas beaucoup avec l’artillerie, fit attaquer le village par quelques bataillons, à la tête desquels étoit le comte de Marsin.

    Les premiers retranchemens furent bientôt forcés ; mais quand on fut auprès des maisons, les ennemis qui s’y étoient logés, et qui les avoient percées et crénelées, firent de si furieuses décharges de mousqueterie, que nos gens s’arrêtèrent tout court d’abord, plièrent ensuite, et enfin reculèrent. Le comte de Marsin y ayant été très-dangereusement blessé, le duc d’Anguien y renvoya le marquis de la Moussaye avec un renfort de quelques régimens qui ne purent soutenir le feu des ennemis, non plus que les autres ; et le marquis de la Moussaye ayant été mis hors de combat par les blessures qu’il reçut, le duc d’Anguien mena lui-même nos bataillons à la charge, et se fit suivre de toute l’infanterie. Le général Mercy voyant ce mouvement, vint aussi lui-même à la tête du village, et se fit soutenir par tout son corps de bataille. Le combat fut sanglant et opiniâtre. Le duc d’Anguien y reçut quelques coups dans ses habits, et y eut deux chevaux blessés sous lui. Le général Mercy y fut tué d’un coup de mousquet ; et la mort de ce grand homme excita dans le cœur de ses soldats une fureur de vengeance, qui les fit fondre sur nos gens, comme un torrent qui tire de nouvelles forces de tous les obstacles qu’on oppose à sa violence : ce fut plutôt un carnage qu’un combat. Le duc d’Anguien y fit des actions de valeur étonnante ; mais il ne put néanmoins empêcher que la plus grande partie de notre infanterie ne fût taillée en pièces, et que toute notre cavalerie Françoise ne fût entièrement défaite par le général Jean de Werth, qui, à la tête de l’aile gauche des ennemis, culbuta du premier choc notre aile droite, fit prisonnier le maréchal de Grammont qui la commandoit, battit le chevalier Chabot à la réserve, et pénétra jusqu’à nos bagages avec quelques escadrons qui se mirent à les piller.

    Cependant le vicomte de Turenne, avec notre aile gauche qui étoit tout composée d’Allemands, avoit marché à la montagne de Wineberg contre l’aile droite des ennemis ; et essuyant les décharges continuelles de leur artillerie, sans s’arrêter un moment, avoit eu un cheval blessé sous lui, et avoit reçu un coup dans sa cuirasse d’un canon chargé à cartouches ; mais il étoit enfin arrivé en bon ordre au haut de la montagne, où le duc d’Anguien vint le joindre, voyant qu’il n’y avoit plus rien à faire, ni à l’aile droite, ni au corps de bataille. Ce prince se mit à la tête de la seconde ligne, et le vicomte de Turenne ayant mené la première à la charge, il rompit du premier effort tous les escadrons ennemis qui étoient sur la montagne ; il défit l’infanterie qui y étoit aussi, fit prisonnier le général Gléen, gagna le canon, le fit pointer contre le reste de cette aile qui s’étendoit jusqu’au village ; et prenant les ennemis au flanc, les chargea si vigoureusement, qu’ils furent obligés d’abandonner le champ de bataille, et de se retirer plus de cinq cents pas au-delà du village. Les régimens qui s’étoient retranchés dans l’église et dans le cimetière, se voyant près à être forcés, se rendirent à discrétion. Le général Jean de Werth, ayant appris ce qui se passoit à la montagne de Wineberg, y accourut avec son aile victorieuse, mais le jour étoit déjà fini lorsqu’il y arriva ; et d’ailleurs il trouva les choses dans un si grand désordre, qu’il crut ne pouvoir faire rien de mieux que de profiter de l’obscurité de la nuit pour gagner Donawert, et sauver les débris de son armée, en se retirant au delà du Danube. Le vicomte de Turenne le poursuivit jusqu’au bord de ce fleuve, avec trois mille chevaux, et ne revint point qu’il ne l’eût vu repasser avec toutes ses troupes. Après la retraite de l’armée ennemie, les villes de Norlinghen et de Dunckelspield nous ouvrirent leurs portes. Le duc d’Anguien tomba malade dans ce temps-là ; et s’étant fait porter à Philisbourg et ensuite à la cour, il laissa son armée sous la conduite du maréchal de Grammont, qui avoit été échangé contre le général Gléen.

    Comme les états du duc de Bavière se trouvoient exposés par la victoire de Norlinghen, ce prince sollicita fortement l’Empereur de lui envoyer un renfort de troupes, qui fût capable de nous empêcher de prendre des quartiers d’hiver dans son pays ; et lui manda, que s’il n’étoit promptement secouru, il seroit obligé de s’accomoder avec nous. L’empereur qui appréhendoit qu’il n’écoutât les propositions que nous lui faisions, et qui, venant de faire la paix avec le prince de Ragotski, n’avoit plus besoin de troupes en Hongrie, lui envoya un grand corps de cavalerie et de dragons, sous les ordres de l’archiduc Léopold, qui prit Gallas avec lui : comme il ne menoit point d’infanterie, il eut bientôt joint Gléen, Jean de Werth, et les Bavarois. L’archiduc, secondé de tant de grands capitaines, marcha avec toute la diligence possible.

    Le maréchal de Grammont et le vicomte de Turenne, qui n’avoient pas la moitié tant de troupes que lui, se retirèrent au plutôt vers le Rhin, et ne crurent point leurs armées en sûreté, qu’elles ne fussent sous le canon de Philisbourg. Là ils envoyèrent chercher des bateaux à Spire, pour faire un pont sur le Rhin ; mais à peine en avoit-on amené quelques-uns, que l’archiduc Léopold arriva avec toute son armée, et se campa à une demi-lieue de Philisbourg, dans l’espace qui est entre cette place et le Rhin. Nous nous y retranchâmes : nous fîmes passer nos bagages dans des bateaux au delà du Rhin, à la faveur de nos retranchemens et du canon de Philisbourg. Le maréchal de Grammont y passa lui-même avec l’armée du duc d’Anguien, et toute la cavalerie de celle du vicomte de Turenne, qu’il mena à Landau.

    L’archiduc Léopold demeura deux jours à tâter de tous côtés le camp du vicomte de Turenne, et désespérant enfin de le pouvoir forcer par aucun endroit, il rebroussa chemin, et marcha à Wimphen, qu’il assiégea dans les formes. Comme tout le gros canon de notre armée étoit dans cette place, le vicomte de Turenne voulut la secourir. Pour cela, il envoya chercher sa cavalerie, que le maréchal de Grammont avoit conduite à Landau. Les Français vinrent ; mais les Allemands refusèrent d’obéir à leurs officiers qui vouloient les amener ; de sorte que Wimphen n’ayant point été secouru, l’archiduc Léopold s’en rendit maître en huit jours, après quoi ayant passé le Necker, il s’empara des villes de Dunkelspield et de Norlinghen, et continua sa route vers la Bohème, pour y mettre son armée en quartier d’hiver.

    Les ennemis étant tout-à-fait retirés, le maréchal de Grammont s’en retourna en France avec l’armée du duc d’Anguien, et le vicomte de Turenne demeura encore sur le Rhin avec la sienne. Tout le monde étoit dans l’impatience de voir comment il en useroit avec les Allemands. Il est vrai que, par leur désobéissance, ils avoient été cause de la perte de Wimphen et de celle de notre gros canon. Néanmoins, comme tous les corps étoient coupables, il ne jugea pas à propos de les punir ; d’autant plus qu’il étoit persuadé qu’on ne pouvoit avoir de trop grands ménagemens pour les étrangers ; cette qualité d’étranger lui ayant toujours paru avoir quelque chose de sacré, qui rendoit les personnes inviolables : outre qu’il avoit besoin de ces Allemands pour le succès d’un entreprise dont il avoit formé le dessein, et qu’il ne doutoit point que, touchés d’une indulgence qu’ils méritoient si peu, ils ne se piquassent d’honneur, et ne voulussent expier eux-mêmes leur faute, en signalant leur courage à la première occasion qui se présenteroit.

    Le rétablissement de l’électeur de Trèves, étoit cette entreprise qu’il méditoit comme une chose qui étoit capable d’honorer la régence de la reine ; car il y avoit plus de dix ans que l’empereur et le roi d’Espagne avoient dépouillé ce prince de ses états, parce qu’il avoit fait un traité particulier d’alliance avec nous. Le vicomte de Turenne ayant donc résolu de rétablir cet électeur dans Trèves, il y marcha quoiqu’il en fût à quarante lieues, et qu’il fît un froid très-rigoureux pour la saison. Il laissa quelques troupes pour garder les passages du Rhin et les bagages de l’armée : il ne mena avec lui que très peu d’infanterie, pour faire plus de diligence ; mais il en fit venir un corps de l’armée du duc d’Anguien, laquelle étoit à Metz, d’où il fit aussi descendre des canons par la Moselle. Il se donna le soin de tout le détail du siége ; il se saisit des passages par où on pouvoit secourir la place, il l’investit ; et ayant su que les ennemis s’assembloient pour venir la secourir, il fit passer la Moselle au colonel Schûts, et l’envoya contr’eux avec les Allemands, qui, brûlant d’envie de réparer leur faute, ne respiroient que l’occasion de combattre. Le colonel Schûts, ayant donc marché aux ennemis, il les dissipa entièrement, et il les auroit taillés en pièces, s’ils ne se fussent jetés dans les bois dont le pays est tout couvert. Le gouverneur de Trèves, voyant qu’il ne pouvoit plus être secouru, demanda à capituler, et se rendit. Le vicomte de Turenne remit ainsi l’électeur en possession de ses états ; et ce fut pour faire éclater cette glorieuse action dans toute l’Europe, qu’on frappa la médaille N°. I.

    On y voit la France, sous la figure d’une femme, qui remet dans les mains de l’électeur une épée, une crosse et un bouclier où sont les armes de l’électeur. Les mots de la légende, Tutelae Gallicae fidelitas, signifient, La France fidèle à protéger ses alliés. Ceux de l’exergue, Elector Treviensis in integrum restitutus. M. DC. XLV , veulent dire L’électeur de Trèves, rétabli dans la possession de tous ses états. 1645.

    Ce rétablissement engagea nos alliés à nous demeurer fidèles, frustra le duc de Lorraine des quartiers qu’il avoit compté de prendre dans cet électorat, et fit de la Moselle une nouvelle barrière à la France. Le vicomte de Turenne fit faire un réduit près le pont de Trèves, dans lequel il laissa cinq cents hommes : il prit Oberwesel, château que les ennemis occupoient encore en-deçà du Rhin ; il renforça la garnison de Philisbourg ; il visita toutes nos autres places, et il les mit en état de défense ; il distribua son armée le long du Rhin et de la Moselle, et s’en alla à la cour au commencement du mois de février. Il y fut reçu avec tous les applaudissemens que méritoit une campagne si glorieuse. Pour lui il ne cessa de représenter qu’on ne feroit jamais rien en Allemagne, tant que notre armée et celle des Suédois nos alliés seroient séparées : que comme l’une étoit toujours vers les pays héréditaires de la maison d’Autriche, et l’autre côté du Rhin, il étoit facile aux Impériaux et aux Bavarois, qui se trouvoient entre deux, de jetter leurs plus grandes forces du côté où ils étoient le plus pressés, et d’empêcher ainsi qu’on ne remportât de grands avantages sur eux. Ces raisons furent enfin goûtées du cardinal Mazarin, en qui la reine avoit une confiance sans réserve, et qui avoit sous la régence presque la même autorité que le cardinal de Richelieu avoit eue sous le règne de Louis XIII. La jonction des deux armées fut don résolue. Quant à l’exécution de ce grand projet, le cardinal Mazarin s’en remit entièrement à la prudence du vicomte de Turenne.

    Cependant ce ministre, maître des graces, et chargé du poids des affaires, voulant reconnoître les services rendus à la couronne par le vicomte de Turenne, et en faire le principal appui de son ministère, lui offrit le duché de Château-Thierry. Il est peu de cadets, de quelque maison que ce soit, qui n’eussent accepté l’offre avec joie. Néanmoins, comme ce duché étoit du nombre des terres que le conseil avoit proposé de joindre ensemble pour faire l’équivalent qu’on devoit donner au duc de Bouillon en échange de Sedan, le vicomte de Turenne, appréhendant que ce qu’il prendroit ne fût autant de diminué sur ce qu’on devoit donner au duc de Bouillon son frère, remercia le cardinal de Mazarin : et quoique le cardinal l’assurât qu’on remplaceroit le duché de Château-Thierry par quelqu’autre terre, il le refusa toujours avec la même générosité ; et ayant déclaré qu’il n’accepteroit rien que l’affaire de l’échange ne fût consommée, il s’en retourna sur le Rhin. Il assembla son armée aux environs de Mayence ; il fit descendre un pont de bateau auprès de Bacharach : il envoya un homme de confiance au général Wrangel, qui commandoit l’armée Suédoise, pour lui donner part du dessein qu’il avoit de passer le Rhin à Bacharach, de traverser le comté de Nassau et de l’aller trouver dans la Hesse, et concerta avec lui toutes choses pour la jonction.

    Il alloit faire marcher l’armée, lorsque le cardinal Mazarin, se fiant aux promesses que faisoit le duc de Bavière de ne point joindre son armée à celle de l’Empereur, si la nôtre demeuroit en deçà du Rhin, lui envoya ordre de ne point passer ce fleuve, d’abandonner tous les projets qui devoient être exécutés ensuite de la jonction, et d’aller assiéger Luxembourg. Le vicomte de Turenne fut assez surpris de ce changement ; il pénétra tout d’un coup les artifices du duc de Bavière : néanmoins pour ne pas contrevenir à un ordre aussi positif, il ne passa point le Rhin ; mais comme il étoit persuadé que le siége de Luxembourg, dans l’état où les choses étoient pour lors, eût causé la ruine entière de nos affaires du côté de l’Allemagne, il se donna bien de garde de l’entreprendre. Cependant, tandis que le duc de Bavière amusoit le cardinal Mazarin par de belles promesses, son armée marchoit toujours, et ayant enfin joint celle de l’Empereur dans la Franconie, les Impériaux et les Bavarois, avec toutes leurs forces réunies, se mirent encore entre nous et les Suédois ; de sorte que notre pont du Rhin nous devint inutile, puisque nous ne pouvions plus aller dans la Hesse par le comté de Nassau, que les ennemis occupoient. Turenne, alors ayant prit son parti, manda au cardinal Mazarin ce qu’il avoit dessein de faire, et, sans attendre sa réponse, il laissa une partie de son infanterie à Mayence, et marcha avec l’autre, et avec toute sa cavalerie vers la Moselle, qu’il passa à un gué, six lieues au dessus de Coblents. Il traversa l’électorat de Cologne et le comté de Meurs ; et ne pouvant avoir de passage sur le Rhin, que par les villes de Hollande, il envoya demander permission aux Hollandois de le passer à Wesel, où il arriva après quatorze jours de marche. Il dépêcha en même temps un courrier au général Wrangel, pour lui faire part de son dessein ; après quoi il passe le Rhin ; il marche par le comté de la Mark, le long de la rivière de Lippe jusqu’à Lipstat : là il prend sur la droite, il traverse toute la Westphalie ; et ayant trompé les ennemis par un si grand détour, il joignit l’armée Suédoise sur les frontières de la Hesse, entre Wetzlar et Giessen, où le général Wrangel, serré de près par les Impériaux et les Bavarois, se tenoit retranché dans des postes avantageux, en nous attendant.

    A la nouvelle de cette jonction, les ennemis se retirèrent six lieues par-delà l’endroit où ils étoient, et allèrent se camper près de la ville de Fridberg. Nous n’avions que quatorze à quinze mille hommes, et ils en avoient vingt-trois à vingt-quatre mille. Néanmoins le vicomte de Turenne résolut de marcher à eux, et de forcer tout ce qui s’opposeroit au dessein qu’il avoit d’aller à Mein, afin de pouvoir faire venir le reste de son infanterie, qui étoit à Mayence. Il fit donc avancer les deux armées à Fridberg : mais l’archiduc Léopold nous voyant si près de lui, bien loin d’accepter la bataille, ne s’occupa qu’à faire encore creuser nuit et jour les retranchemens de son camp, où il étoit déjà presque tout-à-fait enterré avec son armée. Le vicomte de Turenne, qui ne vouloit que le passage, et qui n’eût eu garde de se flatter qu’on ne le lui eût point disputé, laissa l’archiduc sur ses retranchemens, et continua sa route vers le Mein, où étant arrivé entre Francfort et Hanau, il fit venir son infanterie de Mayence, qui n’étoit qu’à dix lieues de là. Toutes nos troupes étant ainsi jointes, le vicomte de Turenne et le général Wrangel passèrent le Mein avec les deux armées, et prirent les villes de Selingestat et d’Aschaffembourg, dans l’électorat de Mayence.

    On peut se figurer qu’elle fut l’alarme qui se répandit dans tous le pays, où l’on croyoit devoir jouir d’une grande tranquillité à l’abri de deux aussi puissantes armées que celles de l’Empereur et du duc de Bavière qui le couvroient. Les paysans se réfugient en foule dans les villes. Les magistrats de ces villes viennent au-devant de nous nous en apporter les clefs. Mais comme notre armée seroit devenue à rien si nous avions laissé des garnisons dans toutes ces villes, on se contenta de faire sauter les fortifications des unes, et d’emmener les principaux habitans des autres pour ôtages. Cet ôtages voyant que nous n’avions pas dix-huit mille hommes, ne pouvoient comprendre comment, avec si peu de troupes, nous pouvions être les maîtres d’une aussi grande étendue de pays. Cependant le duc de Bavière ayant su que nous avions passé le Mein, envoya faire rompre les ponts de Dilinghen et de Hochsted sur le Danube, qui étoit la seule barrière qui restoit entre nous et ses états. Il fit transporter de Munich à Buckausen ce qu’il avoit de plus précieux ; il envoya faire de grandes plaintes à l’Empereur contre l’archiduc Léopold ; qui avoit si mal défendu l’Allemagne. En effet, en nous laissant passer Fridberg, il nous avoit ouvert les trois cercles de Franconie, de Souabe et de Bavière : les places y étoient remplies de toutes sortes de provisions ; les ennemis n’avoient pris aucune précaution pour en empêcher le pillage, les croyant fort en sûreté derrière toutes les forces de l’empire, qui devoient défendre le passage du Mein. Nous y aurions pu faire un butin inestimable ; et le vicomte de Turenne auroit tiré pour lui seul, s’il l’avoit voulu, plus de cent mille écus de contributions par mois, et cela, sans rien faire qui ne fût selon les usages de la guerre. Mais, par un désintéressement sans exemple, il se contenta de tirer des villes où les ennemis avoient fait leurs magasins, de quoi faire subsister son armée ; et pendant qu’au grand étonnement de toute l’Europe, les Impériaux et les Bavarois demeuroient dans le pays de Fulde où ils s’étoient retirés, l’armée de France et celle de Suède entrant dans la Franconie et dans la Souabe, prirent de force Schorendorff, Dunckelspield et Norlinghen, qui voulurent faire quelque résistance, et passèrent le Danube à Donawert et à Lawinghen, dont les ennemis n’avoient point encore fait rompre les ponts.

    Le duc de Bavière n’eut pas plutôt appris que nous avions passé le Danube, qu’il se retira à Brunau, sur la rivière d’Inn, ne se croyant pas en sûreté dans sa capitale. Le vicomte de Turenne et le général Wrangel, avançant toujours dans le pays, passèrent le Lech, et se rendirent maîtres de la ville de Rain, la meilleure forteresse de la Bavière de côté-là ; et voyant que l’archiduc Léopold ne faisoit pas le moindre mouvement pour arrêter les progrès de nos conquêtes, ils marchèrent à Augsbourg, en deçà du Lech, persuadés qu’ils forceroient cette place à se rendre comme les autres, si on leur en laissoit aussi tranquillement faire le siége. Mais le duc de Bavière fit déclarer si positivement à l’Empereur qu’il s’accommoderoit avec nous si on laissoit prendre cette importante ville, entre laquelle et Munich il n’y avoit plus aucune place de défense, que l’archiduc Léopold eut ordre d’en aller faire lever le siége. L’ordre étoit le plus absolu qui se pût donner, il vint donc dans la Bavière, où on lui envoya encore de grand renforts de troupes;  et ayant paru à la vue d’Augsbourg avec une armée fort supérieure à la nôtre, nous nous retirâmes à neuf ou dix lieues de là, du côté de Lawinghen. L’archiduc passa le Lech, vint se camper aux environs de Memminghen, et ayant un grand magasin de vivres à Landsberg, il résolut de demeurer là si long-temps, que nous fussions obligés à sortir de la Bavière, et aller prendre des quartiers d’hiver au-delà du Danube.

    Les choses étoient dans cet état, lorsque le vicomte de Turenne et le général Wrangel, ayant concerté ensemble un nouveau dessein, firent partir notre armée des environs de Lanwinghen, quoique la terre fût déjà toute couverte de neige, et marchèrent droit aux ennemis. L’archiduc, qui avoit devant lui de grands marais et de longs défilés, crut que nous allions le venir attaquer dans un camp si avantageux. Pour le confirmer dans cette persuasion, le vicomte de Turenne et le général Wrangel s’étant approchés à une lieue de lui, laissant là deux mille chevaux qui faisoient face à son camp, et marchèrent avec tout le reste de l’armée vers le Lech. Ils y trouvèrent le pont des Impériaux sur lequel ils passèrent : ils s’avancèrent aussi-tôt jusqu’à Landsberg qu’ils prirent par escalade, et s’étant ainsi rendus maîtres du magasin des ennemis, où ils trouvèrent de quoi faire subsister notre armée pendant six semaines, ils se campèrent en cet endroit, et commencèrent à envoyer des partis jusqu’aux portes de Munich.

    Cependant l’archiduc Léopold, se trouvant sans vivres avec deux grandes armées qu’il étoit obligé de faire subsister, fut contraint de décamper et de repasser le Lech pour gagner les pays héréditaires de la maison d’Autriche, où il mena hiverner l’armée de l’empereur, et laissa celle du duc de Bavière dans les états de ce prince, lequel voyant tout son pays en proie à nos troupes, et ne pouvant espérer de secours d’aucun endroit, nous demanda la paix, offrit de se détacher entièrement du parti de l’Empereur, et de demeurer à l’avenir inviolablement attaché à nos intérêts : promesses frivoles, dont on ne se contente, ainsi que nous avions fait au commencement de la campagne, que quand on n’est pas en pouvoir d’exiger d’autres sûretés. Mais comme nous étions alors en état de lui donner la loi, nous l’obligeâmes à nous remettre entre les mains lawinghen, Gundelfinghen et Hochstet, dont il étoit le maître, afin que s’il venoit encore à nous manquer de parole, nous puissions nous en faire raison par le moyen de ces places, qui nous ouvroient un passage dans ses états. Ce fut en partie à l’occasion de ces conquêtes, que la France fit frapper la médaille N°. 2.

    On y voit Mars portant un javelot chargé de plusieurs couronnes murales. La légende, Mars expugnator, signifie Mars preneur de villes. L’exergue, XIII Urbes aut arces captae. M. DC. XLVI, veut dire, treize villes ou forteresses prises en 1646.

    De ces treize villes, le duc d’Orléans, le duc d’Anguien, le marquis de la Ferté, le maréchal de la Meilleraye, et le maréchal du Plessis, en prirent huit ; et le vicomte de Turenne en prit lui seul cinq.

    La paix ayant été ainsi faite avec le duc de Bavière, et les Suédois étant assez forts pour soutenir eux seuls la guerre contre l’Empereur en Allemagne, le cardinal Mazarin envoya ordre au vicomte de Turenne de mener ses troupes en Flandres, où notre armée n’étoit pas à beaucoup près si forte que celle des Espagnols, qui étoit commandée alors par l’archiduc Léopold. Le vicomte du Turenne quitte donc la Bavière ; et avant que d’aller à Philisbourg pour passer le Rhin, prend Béblighen et Tubingue, dans le duché de Wirtemberg ; Stenheim et Hoechst, sur le Mein ; Darmstat, Ghetsheim, et quelques autres places qui pouvoient assurer nos conquêtes le long du Rhin, et nous ouvrir divers passages dans le reste de l’Allemagne.

    Cependant les Allemands qui étoient à notre solde dans son armée, ayant témoigné assez ouvertement la répugnance qu’ils avoient à aller en Flandre, Rosen, le plus accrédité d’entr’eux, pensa à se rendre maître de ce corps de troupes, de la même manière que le duc de Veimar l’avoit été de son armée. Pour cela il engagea les étrangers à refuser d’aller où on les vouloit mener, sous prétexte qu’il leur étoit dû cinq ou six mois de leur paie ; si bien que lorsque l’armée, qui avoit passé le Rhin à Philisbourg, fut arrivée à Saverne, on vint dire au vicomte de Turenne que les Allemands ne vouloient plus marcher, et qu’ils disoient tout haut qu’ils ne passeroient pas outre. Ce prince, qui étoit bien éloigné de croire que l’auteur de cette révolte fût Rosen, à qui il venoit tout récemment de procurer le grade de lieutenant-général de cavalerie, l’envoya vers ses compatriotes, pour les porter à faire leur devoir : mais bien loin de faire ce qu’il devoit pour cela, il demeura avec eux ; il envoya dire au vicomte, qu’ils le retenoient par force ; et commençant à donner des ordres comme un général qui ne reconnoissoit plus de supérieur, il fit marcher jour et nuit les Allemands, et les mena au-delà du Rhin, qu’il passa au-dessous de Strasbourg. Le vicomte de Turenne le suivit aussitôt avec ce qui lui restoit de troupes, et quoiqu’il eût trois mille hommes d’infanterie, il fit quatorze lieues en un jour, et joignit bientôt les rebelles. Rosen fut bien étonné de voir le vicomte de Turenne ; il ne pouvoit guère douter que son infidélité ne luit fût connue : néanmoins, s’imaginant qu’il pouvoit encore la lui déguiser, ou plutôt n’ayant ni assez de temps, ni assez de liberté d’esprit dans une aussi grande surprise pour réfléchir sur le parti qu’il devoit prendre : Vous voyez, lui dit-il, comme on m’emmène malgré moi.

    Le vicomte de Turenne feignit de croire ce qu’il disoit de la prétendue violence qu’on lui faisoit. Il étoit en droit de donner sur les rebelles ; et comme il étoit beaucoup plus fort qu’eux, il pouvoit les faire passer au fil de l’épée ; mais considérant le besoin que la France avoit alors de ses troupes, il aima mieux essayer de les ramener à leur devoir. Il pria Rosen de persévérer dans l’attachement qu’il avoit pour la couronne, au service de laquelle il s’étoit dévoué depuis si long-temps, et d’employer ses bons offices auprès de ses compatriotes. Il renvoya toutes ses troupes, pour ne donner aucun ombrage aux Allemands : il ne prit avec lui que quatre de ses domestiques ; et marchant toujours avec Rosen sans le quitter d’un pas, cet officier n’eut bientôt plus aucun crédit parmi ses soldats, qui le soupçonnèrent de tramer quelque chose contr’eux avec le vicomte de Turenne, parce qu’il vivoit bien en apparence avec lui ; à quoi il étoit alors en quelque façon engagé d’honneur, sans pouvoir faire autrement. Il voulut persuader au vicomte de Turenne, qu’il y avoit peu de sûreté pour lui parmi ces étrangers, afin qu’il retournât à son armée : mais il lui répondit, sur cela, d’un ton qui lui fit comprendre qu’il n’avoit nul besoin d’être rassuré. Il continua donc de marcher. On arriva à Etlinghen, petite ville du marquisat de Bade, à huit lieues de Philisbourg ; et là, le vicomte de Turenne voyant que Rosen avoit perdu toute la confiance des Allemands, il fit venir de Philisbourg cent mousquetaires qui l’enlevèrent, et qui le conduisirent dans cette forteresse. Alors deux régimens entiers vinrent se joindre au vicomte de Turenne, et le reconnurent pour leur général : tous les officiers de ce corps de troupes, jusqu’aux caporaux, se rendirent aussi auprès de lui, protestant qu’ils lui obéiroient en toutes choses. Les autres ayant choisi des cavaliers pour commandans, prirent le chemin de la Franconie ; et le vicomte de Turenne voyant qu’il n’y avoit plus rien à ménager avec eux, les poursuivit à la tête de ceux qui étoient rentrés dans leur devoir ; et les ayant atteints à Konigshoven dans la vallée du Tauber, il les fit charger, et en tailla en pièces trois cents, il en fit un pareil nombre de prisonniers, et le reste lui échappa par la fuite. Il auroit pu faire punir les prisonniers comme rebelles ; mais ayant égard à leurs services passés, il leur pardonna, et les incorpora dans les troupes qu’il alla rejoindre ; et étant enfin arrivé dans le Luxembourg, il se rendit maître de la ville de Virton, du château de Manguin, et de quelques autres places.

    L’archiduc Léopold, croyant qu’il avoit de grands desseins sur cette province, fut obligé d’y envoyer un détachement de son armée ; et l’ayant ainsi affoiblie, non-seulement il ne fut plus en état de rien entreprendre en Flandre, mais encore il ne put sauver les villes de Dixmude, de la Bassée et de Lens, qui furent prises par les maréchaux de Rantzau et de Gassion.

    La cour se rendit toute la justice qu’elle devoit à la conduite que le vicomte de Turenne avoit tenue à l'égard des Allemands : elle donna des grandes louanges à la prudence avec laquelle, prenant de sages tempéramens dans cette conjoncture délicate, il avoit su si à propos dissimuler, punir, pardonner, ménager les esprits, sans rien perdre de son autorité ; faire des exemples des particuliers, et conserver la confiance du corps ; et pour faire passer jusqu’à la dernière postérité le souvenir des conquêtes qu’il avoit faites durant cette campagne, on fit frapper la médaille N°. 3.

    On y voit un quadrige chargé d’un trophée que couronne la victoire.

    La légende : diverso ex hoste, signifie, la France triomphante de différents ennemis.

    L’exergue : XI urbes aut arces captae. M. DC. XLVII, veut dire, onze villes ou forteresses prises, 1647.

    De ces onze villes, les maréchaux de Rantzau et de Gaston en prirent trois, et le vicomte de Turenne en prit lui seul huit.

    Cependant le duc de Bavière voyant que les Suédois remportoient de très – grands avantages sur l’Empereur, et craignant qu’ils ne devinssent trop puissans, joignit son armée à celle des Impériaux, sans avoir égard au traité qu’il venoit de faire avec nous et avec la couronne de Suède ; et le général Melander, qui étoit alors à la tête des deux armées, étant entré dans la Hesse, avoit déjà passé le général Wrangel jusque dans le pays de Brunswich, lorsque le vicomte de Turenne reçut ordre d’aller à son secours. Il part aussitôt du duché de Luxembourg avec son armée, s’avance dans le Palatinat, fait lever, chemin faisant, le siège de Worms aux Impériaux et aux Espagnols, et passe le Rhin à Mayence. A cette nouvelle, les Impériaux et les Bavarois quittent le pays de Hesse, et se retirent vers le Danube.

    Le général Wrangel se trouvant ainsi délivré d’eux, traverse la Hesse, et s’avance jusqu’à Ghelenhausen, dans le comté de Hanau, entre la Hesse et la Franconie, où le vicomte de Turenne l’étant venu joindre, ils résolurent de passer le Mein, et d’aller chercher les ennemis pour les combattre. Le général Melander ayant appris que nous avions passé le Mein, passe le Danube à la hâte, et marche vers Augsbourg. Nous le poursuivons avec encore plus de diligence. Nous passons le même fleuve après lui à Lawinghen, où nous laissons nos gros équipages, nos malades, et tout ce qui pouvoit nous embarrasser. Le vicomte de Turenne et le général Wrangel prennent les devants avec la cavalerie, en donnant ordre à l’infanterie de suivre avec le canon le plus promptement qu’il se pourroit.

    On atteignit bientôt à Zusmarshausen, l’arrière-garde de l’armée ennemie, qui achevoit de passer un bois à la faveur de trente escadrons que commandoit le comte de Montecucully. Comme l’armée du vicomte de Turenne avoit l’avant-garde de ce jour-là, il chargea les trente escadrons à la tête de notre cavalerie ; il les rompit, les mit en désordre, les obligea à se sauver au travers du bois, et les poursuivit jusqu’à une petite plaine qui étoit au bout de ce bois, où il trouva le général Melander, qui, ayant été averti de ce qui se passoit à son arrière-garde, y étoit accouru avec un grand corps de cavalerie. Le combat fut sanglant en cet endroit, et le terrein long-temps disputé ; mais le général Melander ayant été tué, sa cavalerie gagna un second bois qui étoit au bout de la plaine, pour se retirer à la faveur de l’infanterie, dont il étoit tout bordé du côté de cette plaine. Le vicomte de Turenne poursuivit les fuyards jusqu’au bois : le feu de l’infanterie ennemie suspend l’ardeur de ses soldats ; mais le général Wrangel ayant trouvé moyen d’entrer au milieu du bois par un chemin détourné qui étoit sur la gauche, les ennemis qui se virent coupés perdirent courage. Tout ce qu’ils avoient là d’infanterie fut taillé en pièces ; leur canon et leurs bagages furent pris ; on poursuivit la cavalerie, qu’on mena toujours battant pendant une heure et demie, et on arriva à un ruisseau fort profond où il n’y avoit qu’un seul gué très étroit, qui étoit gardé par le duc de Wirtemberg, général-major de l’armée Impériale, et ce prince avoit avec lui six ou sept escadrons de cavalerie, et trois bataillons retranchés au-delà du ruisseau, pour en défendre le passage. Comme nous n’avions point là d’infanterie pour le forcer, on pointa contre les ennemis l’artillerie qu’on leur avoit prise, croyant les contraindre à coups de canon à quitter ce poste ; mais on eut beau les canonner : le duc de Wirtemberg vit tuer plus de la moitié de ses gens sans abandonner le passage ; il essuya notre feu jusqu’à la fin du jour ; il eut cinq chevaux tués sous lui, et par cette étonnante fermeté, il empêcha que toute l’armée ennemie ne fût taillée en pièces ; ce qui en restoit se retira durant la nuit vers Augsbourg, et y passa le Lech. Le vicomte de Turenne et le général Wrangel les y poursuivirent sans leur donner du relâche ; mais ils n’eurent pas plutôt passé le Lech, que les ennemis fuyant toujours, passèrent l’Amber, l’Iser et l’Inn, et se réfugièrent dans l’Autriche, abandonnant toute la Bavière à notre armée.

    Alors le duc de Bavière ne trouvant plus de sûreté pour lui dans aucune ville de ses états, il en sortit et se retira dans l’archevêché de Saltzbourg, où il fut obligé d’aller chercher un asile à l’âge de soixante et quinze ans. De là il dépêcha courriers sur courriers à l’empereur, et il le pressa tellement de faire la paix, qu’elle fut enfin conclue à Munster entre l’Empereur et le roi de France, et les alliés de l’un et de l’autre. Toute l’Europe reconnut qu’elle étoit due en partie aux grande actions que le vicomte de Turenne avoit faites cette année en Allemagne ; et la France, pour immortaliser une campagne si glorieuse, fit frapper la médaille N°. 4.

    On y voit la victoire, qui d’une main tient une couronne de laurier, et de l’autre une pique, au bout de laquelle est un trophée. La légende : victoria fractae fidei ultrix, signifie, la victoire vengeresse de la foi violée. L’exergue : pulso trans Oenum Bavaro. M. DC. XLVIII, veut dire, le duc de Bavière chassé au-delà de la rivière d’Inn. 1648.

    Par le traité de Munster, le landgraviat d’Alsace, le Suntgaw, Brisach, et la préfecture des dix villes impériales qui sont en Alsace, ainsi que le droit de mettre garnison dans Philisbourg, furent accordés à la France, avec tous les droits de souveraineté que l’Empereur et l’empire pourvoient avoir sur Pignerol, et sur les villes et évêchés de Metz, Toul et Verdun. On céda aussi à la landgrave de Hesse, qui avoit toujours été attachée à nos intérêts, l’abbaye d’Hirschfeld, avec le droit de seigneurie sur quatre bailliages de la Westphalie ; et aux Suédois nos alliés, les duchés de Brémen et de Ferden, avec la ville de Wishusen, la ville et le port de Wismar, toute la Poméranie citérieure, les îles de Rugen et de Wollim, les villes de Stetin, Gartz, Dam et Golnau, et plusieurs autres avantages très-considérables. Ainsi finirent nos guerres avec l’Empereur et avec l’empire.

Fin du second Livre.

 

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